mardi 1 décembre 2015

Pascal - Nos profs

Histoire géo  

J’ai un souvenir sympa qui me revient en tête. Peut-être parce que je passe devant mon ancienne école aujourd’hui ou bien, c’est le même parfum des lilas qui se promenait dans la classe à cette époque ou ces petits oiseaux piailleurs alignés sur un fil électrique se répondant aux accents de duvets ébouriffés ou bien même, cette clarté printanière qui s’insinue brillante dans le jeune feuillage des marronniers.

C’est amusant comme les détails les plus anciens viennent à la surface pour quémander un bout d’encre pour enfin se stabiliser sur ce papier cadeau. Ils s’amoncellent, ils réclament, ils supplient d’être présents, ils espèrent la page comme l’ultime bouée de sauvetage d’un passé englouti.

C’était pendant un interminable cours d’histoire géo. C’est peut-être pour ça que je me souviens si bien des branches décorées des marronniers aux bourgeons éclatés.
La lumière jouait avec ces tendres effets verdoyants dans des parties de cache-cache sans réel gagnant que le jeune spectateur assidu que j’étais.

Au fond de la classe, estampillé cancre dans mon carnet de notes, bien loin des feux de l’estrade je m’enfuyais, éternel buissonnier, dans de véritables débordements admiratifs. Je guettais les ondoiements irréguliers des branchages bercés par une houle venteuse. C’est peut-être pour ça que les effluves des lilas traversaient la classe, des fenêtres entrouvertes à la porte toujours mal fermée. Combien de fois l’ai-je pris, cette porte ?...

J’avais, pour l’histoire géo, une forme d’aversion physique prononcée incurable.
Il faut dire que cette prof aurait pu dégoûter à vie tout être vivant normal de cette matière qu’elle enseignait si mal. Elle avait le don d’écœurer les plus fervents adeptes, les tenaces, même les bilieux, les pros des bonnes notes, mis à part les lèche-cul qui buvaient ses longs cours comme des agneaux écoutant sa bonne parole.

Ce jour-là, elle rendait les copies d’une interrogation écrite de la semaine d’avant. C’était son heure de gloire. Elle y allait de son petit laïus un rien tendancieux, un rien moqueur, un rien méchant, prenant à partie le reste de la classe pour enfoncer, encore plus profondément, son clou sadique à l’heureux détenteur de son zéro pointé.

Je n’aimais pas cette femme austère pour des milliers de raisons et d’autres encore que je découvre aujourd’hui en la repensant. C’est peut-être pour ça que je sifflotais avec les moineaux furtifs pour enlever jusqu’à son infernale voix stridente de mes oreilles rebattues.

Pourtant reine incontestée de ses deux heures d’estrade, surplombant ses jeunes vassaux apeurés, du regard et de la voix, elle *inexistait dans mon entendement d’écolier vagabond. Oui, elle rendait les copies, une par une, avec une nonchalance de bourreau diabolique. Elle avait commencé par les zéros. Il y en avait plein… Nous étions beaucoup à regarder par les fenêtres pour nous inventer d’autres histoires que la sienne...

Elle jubilait, cette garce. Ses bulles en caractères gras et rouges ornaient les copies avec ses annotations sommaires comme des exécutions capitales. Les zéros étaient les têtes coupées et l’encre rouge était le sang jaillissant de son assassin stylo tranchant. A l’appel rugueux de son nom, chaque impétrant récupérait sa feuille accompagnée des salves remontrances d’usage tortionnaire…  

Puis elle a attaqué les uns, les deux, les trois, les trois et demi, etc…

Déjà, tous mes meilleurs copains cancres avaient leurs torchons rougeâtres sur leurs bureaux. Le silence était religieux. On aurait pu entendre les prières s’élevant vers la moyenne. Onze, douze, treize… Et toujours pas ma copie…

Pourtant, je ne m’étais pas foulé le poignet avec son interro d’intello… Qu’est-ce que j’en avais à foutre des incursions barbares au quatrième siècle ! Les Huns avaient envahi à plusieurs et alors ! Ils faisaient cuire leur steak sous la selle de leurs chevaux, la belle affaire ! Il n’y avait pas de quoi en faire tout un plat…

Cette prof perverse aurait bien pu être la femme d’Attila ! Avec ses cheveux remplissant un chignon sévère, ses yeux en amandes amères, son faciès en coupe-vent, sa blouse taillée à sa mesure, son stylo aiguisé rouge sanguinolent, elle avait sa place sur la selle du conquérant !

Mes copains de classe me regardaient tous comme si je rentrais dans la postérité des miracles scolaires ! Mais non, je n’avais pas triché ! Je ne savais même pas à quelle page, du bouquin d’histoire, se situait cet évènement primitif !

Quatorze, quinze… J’entrais au Panthéon des historiens ! J’avais peu écrit sur ma copie mais j’avais écrit juste… C’était ma seule explication…irrationnelle. J’entendais déjà, à voix basse, des : « Fayot… fayot… » Voilà : J’étais fâché avec la moitié de la classe et l’autre moitié (les peigne-cul du premier rang) me snobait ! La prof continuait sa distribution des prix mais elle affinait les détails des copies avec des annotations plus sympas pour les récipiendaires heureux.

Il ne restait que deux ou trois copies ! Je serai le lauréat ! Le roi de l’Histoire ! Le héros des steppes ! A moi les félicitations enviées du public hypocrite, le sourire de mes parents et les encouragements de la prof ! Tout à coup, le couperet est tombé…

« Ha, Dupont… Votre chiffon est resté coincé derrière la meilleure copie… Vous avez deux ! Votre moyenne augmente ! Vous progressez ! Vous viendrez faire quatre heures d’efforts samedi matin… Hé oui, il y a les Huns et les autres… »

J’avais retrouvé l’estime de mes potes cancres, la disgrâce habituelle des autres mais les petits oiseaux chantaient mes rengaines préférées dans les branchages lumineux ; ceux ballottés par un vent amical aux fraîches senteurs de lilas…

3 commentaires:

  1. L'Arpenteur d'étoiles1 décembre 2015 à 13:59

    il y en a eu quelques uns de ces profs insupportables et méchants. Le portrait que tu dresses d'elle est fort réaliste et je pense que le tien aussi, poète, rêveur ... tu as échappé de peu aux lauriers amères :o)

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  2. Cela me fait penser au Cancre de Prévert...
    Sur le tableau noir du malheur
    Il dessine le visage du bonheur

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  3. Je vis commencer à compter sur mes doigts... la plupart des textes ont eu pour héros des prof imbuvables!

    Et pourtant, que les textes sont magnifiques!

    J'en déduis qu'il sont nombreux, ceux qui ont juste bien fait leur boulot....ni trop, ni trop... et qui ont laissé à chacun la liberté d'en faire ce qu'ils voulaient (ou pouvaient)!

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