mardi 15 décembre 2015

Pascal - Noël en couleurs

C’était pendant les vacances de Noël et pendant toute la légitime excitation de la fin de l’enfance. Maman préparait le sapin avec les bons soins décorateurs de mes deux sœurs empressées. Les cartons déballés de l’année dernière ? Je ne pouvais que les regarder ! Chaque fois que je voulais rajouter quelque chose sur une branche épineuse, elles me rabrouaient comme quoi ce n’était pas le bon endroit, la bonne couleur, la bonne hauteur, la bonne figurine ! Les guirlandes brillantes et multicolores ? Ce n’était même pas la peine que je m’approche ! Elles avaient déjà prévu leurs cheminements dans la forêt de l’arbre ! Les boules si fragiles ? Je n’avais pas le droit d’y toucher et si l’une d’elles était seulement fendue, c’était forcément de ma faute ! Et la crèche ! C’était pareil ! Je devais être le mouton enragé dans le troupeau. En remuant, pendant un de mes brusques jeux, j’aurais peut-être renversé le berger, ses rochers et la cabane en paille…

Les recommandations de ma mère et les regards noirs de mes sœurs n’étaient là que pour reculer l’échéance de mes embellissements illicites. J’attendais qu’elles s’en aillent de la pièce pour revisiter le sapin et ses décorations. Ho, bien sûr, je ne dérangeais rien qui puisse me condamner mais j’organisais des retrouvailles heureuses entre les figurines, les guirlandes et les boules enjoliveuses. Je les faisais discuter ensemble, au coin du bois, et ma voix prenait tous les tons d’une conversation en catimini de petits  lutins facétieux. J’aimais bien me regarder dans ces sphères en couleur ; leurs déformations de miroir caricatural avaient quelque chose de surréaliste et, pourtant, il me semble que c’est naturellement moi, aujourd’hui…

Il sentait bon, notre sapin de Noël. Maman savait le choisir dans la forêt du magasin.
Facilement, il touchait le plafond avec son étoile filante ; il exhalait sa condition de conifère avec ses parfums capiteux et quand on rentrait dans la pièce, on réalisait toute son importance en chavirant du plaisir des cadeaux bientôt dessous… Pour ne pas être en reste et décorer à ma façon notre sapin, je cirais les chaussures de toute la maison, toutes celles qui pouvaient se retrouver là, à l’orée du grand jour !...  Après la distribution, j’avais récupéré le papier des papillotes de tous, je les avais remplies avec des billes d’école et avec un fil de laine, je les avais pendues sur une chaise de salon, tout à mon goût de décorateur ! Cela m’occupait des heures, cette aventure d’ornement…

C’est fou comme les choses éphémères durent longtemps dans la tête d’un gamin ; tout s’incruste de façon indélébile, avec une précision sans faille. Je sais le sourire de telle petite poupée, l’allant jovial de tel père Noël en papier, la flamme de telle bougie, le regard de tel bibelot, coincé entre les épines. A cette heure de souvenance, je pourrais me rappeler de chacune des belles décorations de notre sapin. Je pourrais même dire où, précisément, elles se trouvaient pendant leur étalage de Fêtes. Chacun de ces petits objets participait au grand spectacle de Noël. Ils avaient tous une importance d’ornement extraordinaire qui conférait aux festivités à venir des moments enchanteurs. Je passais des heures devant notre sapin ; je l’apprenais comme on apprend une récitation. Il était le point de départ de tous mes rêves ; j’étais bien à côté de lui comme on peut l’être avec un véritable Ami. Souvent, je voulais le prendre dans mes bras…  

Dans la télé, on avait annoncé de fortes précipitations de neige pendant ces vacances. Cela faisait râler mon père, à cause de son boulot, des congères et de la conduite hasardeuse de son auto. Pourtant, sans le montrer vraiment, je crois qu’il était content pour nous. Quand il sortait le chien, il s’habillait comme s’il était sûr d’un blizzard imminent dans notre chemin. A son retour, je surveillais l’état de son manteau, ses impressions de baromètre et ses réflexions de froidure. Pour nous faire plaisir, peut-être qu’il commandait la neige avec tout son pouvoir de papa…

Maman, pour rester dans la normalité de l’hiver, avait saupoudré notre sapin avec de la poudre de flocons ! Il y avait même des stalactites factices pendues au bout des branches, les pères Noël emmitouflés avaient la goutte au nez ! Quand la guirlande clignotait, tout s’éclairait en rouge, en bleu, en jaune, vert, du sous bois du sapin jusqu’aux pointes de ses aiguilles ! Partout, c’était des pépites d’or et d’argent aux intenses scintillements féeriques !

Sans cesse, j’allais du sapin à la fenêtre de la pièce pour surveiller les précipitations à venir. C’était enchanteur, cette notion imminente des flocons embellisseurs de notre quartier. Les éléments allaient plus vite que mon imagination. En y repensant, c’était des moments gigantesques. Je courais jusque dans les chambres pour surveiller les nuages passants ! A l’insu de mes parents, j’ouvrais le portail du garage, j’allais dans la rue, je regardais le Ciel et je les appelais avec mes prières d’enfant !

Dans l’âtre de la cuisinière à charbon, brûlaient des petites pommes de pin et c’était tout un assortiment d’effluves sensationnels qui traversait la maison. Les mille pétillements du feu avaient une insolente consonance de festivités imminentes. Chaque seconde était heureuse comme si la vie n’était plus qu’une suite d’événements merveilleux. On avait tous des sourires de connivence ; de ces sourires qui savent à l’avance, tout des grands moments de Noël. Les jouets, ils ne seraient là que pour les conclusions, l’apothéose, le bouquet final de tout ce déploiement de Bonheur…  

La veille de l’Avènement, dans notre petite rue, j’observais le ciel, toujours en train d’espérer sa neige et ses cristaux de poudreuse. Sans nulle pitié, ma sœur aînée, cette vile sorcière, m’a alors rigolé au nez en me racontant que le père Noël n’existait pas, que c’était nos parents, les faiseurs de cadeaux, les vrais préparateurs de la fête avec ses guirlandes et de tout le tralala ; je n’avais qu’à aller voir sur l’armoire de leur chambre pour m’assurer de ses dires de rapporteuse…

J’ai escaladé une chaise et sur la pointe des pieds, j’ai tâtonné le dessus de la vieille armoire. Quand des larmes ont perlé à mes yeux d’affranchi précoce, dehors, il s’était mis à neiger…


2 commentaires:

  1. J'ai l'impression d'avoir les mêmes souvenirs, c'est bizarre sauf qu'il faut chez nous remplacer le père Noël par Saint-Nicolas. Mais qu'Est-ce que c'était bien... avant la chute dans la réalité !

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  2. Une histoire un peu tristounette qui met en avant les problèmes des fratries... la dure réalité pour un enfant qui voudrait que ce soit un peu plus chaleureux et accueillant. Noël et sa magie est souvent un espoir mais aussi un départ pour une déception. La faille indélébile. ..Merci pour ce partage plein d emotions

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