Pêcheur d’Islande
Notre Romans-sur-Isère n’a rien d’une station balnéaire ; celui-là, comment a t-il fait son compte pour se retrouver à l’amarrage d’une table, sous les bâches tendues de mon cher bistrot du dimanche ? En été, je croyais que ce genre de personnage ne fréquentait assidûment que la plage du Coco Beach, les bars mutins d’Ibiza et les boîtes de nuit appropriées, un peu partout dans Paris. Mais c’est sans doute moi qui ne sors plus assez pour le réaliser ici et là. Il n’empêche ; il a peut-être son voilier à quai le long de l’Isère, le bonhomme…
Indéniablement, ce dimanche matin, c’est la vedette de la terrasse ; on dirait un moniteur d’éducation physique, un monsieur univers du milieu du vingtième siècle, propulsé à la terrasse de ce café d’aujourd’hui. Vêtu d’une marinière flambante, d’un pantalon en toile délavée et de petites chaussures marines en cuir bleu-souple, il semble tout droit sorti d’un roman de Somerset Maugham. Tellement cliché, tellement stéréotypé, tellement bien propre sur lui, il pourrait être la vedette d’une pub de Jean Paul Gaultier.
Son polo le serre aux entournures ; sentant mieux ses muscles, il gonfle les biceps, fait rouler ses pectoraux, rentre le ventre, comme des gestes habituels, des poses à l’adresse de photographes invisibles.
Ce quarantenaire passé a une belle gueule carrée de gentil méchant, avec des rides savamment calculées à chacun de ses sourires enjôleurs ; il est beau, il est preux, il est ténébreux, il sent le sable chaud ; il doit avoir un succès fou auprès des femmes. Il a le sourire blanc-salin du loup de mer ; chaque fois qu’il ouvre la bouche, ce doit être pour raconter des aventures de déferlantes. On sent le courage à chacun de ses gestes, surtout quand il touille son café, le petit doigt en l’air…
Les poils blonds de ses bras frisent en presque désordre ; ils sont comme un champ d’avoine qui attend la caresse du soleil matinal. Sur sa peau bronzée, on peut voir un beau tatouage aux nuances multicolores, un arc-en-ciel peut-être, mais dont la haute teneur philosophique ne trouve pas ma traduction.
Il porte des Gay, non, des Ray Ban d’une autre mode sur les yeux et quand il les ôte, on dirait la Mer des Caraïbes dans ses pupilles. Il éblouit, il irradie, il étincelle ; à chacun de ses regards circulaires, on dirait un phare altruiste au chevet des âmes en perdition de la terrasse. Façon pirate, il porte aussi un petit foulard rouge autour du cou et une boucle d’oreille en or qu’il tripote souvent comme pour s’assurer qu’elle est toujours là. Il a des colliers aussi ; des fines nacres arc-en-ciel aux reflets d’îles paradisiaques, portées comme des trophées, qui s’agitent aux mouvements de leur beau capitaine. Sa montre ? Une épaisse Rolex en or véritable, mille carats ! Butin de ses derniers pillages, des bagues et des bracelets figurent aussi dans son arsenal de grand séducteur…
Un instant, j’aimerais lui ressembler pour avoir la chance de harponner, moi aussi, quelques belles femelles attirées par tous ces falbalas de miroir à alouettes. Aussi, je me languis de voir la sirène que ce pêcheur d’Islande, forcément bien loti, a naturellement dû prendre dans ses filets…
Cette femme extraordinaire, cette Aziyadé, je l’imagine tellement fabuleuse, tellement exceptionnelle, tellement radieuse. Vous savez, c’est ce genre de personnage qu’on ne croise que dans ses rêves les plus fous, si bien qu’on ne sait plus s’ils sont des enchantements ou des cauchemars, tant leur attraction furieuse est aussi merveilleuse qu’inaccessible.
C’est peut-être une gravure de mode, la couverture d’un magazine parisien, un mannequin à la mode, à la solde des plus grands couturiers ! Elle a le visage aux mimiques parfaites, les cheveux courant jusqu’à ses reins, la silhouette digne d’une statue de Rodin, une magnifique paire de seins ; quand elle sourit, tous les jeunes rayons du soleil apprennent à briller et quand elle rit, les petits oiseaux du quartier revisitent leurs gammes aux sons de la gaieté !
C’est sûr ! Elle va s’asseoir à sa table, lui donner un petit coup de genou connivent, poser sa main dans la sienne comme un signe de reconnaissance amoureux ! En échange, il va lui murmurer des secrets, des chemins d’îles aux trésors, ceux qu’elle cache si peu sous son petit chemisier ! Pris dans la tourmente de l’Amour, ils vont peut-être s’embrasser et, par-delà, faire gicler dans le ciel plein d’étoiles filantes ! Les ondulations des feuilles de platane ont déjà des soubresauts d’éclats de lumière sur la place !
Et puis, bras dessus, bras dessous, je les regarderai disparaître dans la chaleur de la matinée ; ils vont traverser l’esplanade comme on marche sur la mer, et je me retrouverai seul, tel un Robinson sur son île, à l’ombre de mes illusions. Les nuages de l’Ouest vont cacher le soleil, tuer le clinquant des couleurs, taire les petits oiseaux et je me réveillerai dans la torpeur de mes draps affalés…
Il cocote, le flibustier ; il a dû tomber dans son flacon de Drakkar ; la chevelure à peine grisonnante, la barbe de trois jours, le teint hâlé, c’est aussi dans sa panoplie de Cupidon des plages. Il croise et décroise les jambes comme pour ne pas laisser le temps aux fourmis laborieuses de l’ankyloser. Il tire sur sa longue cigarette blonde mais il n’avale jamais la fumée ; il la recrache aussitôt comme des intenses signaux d’indiens, sur le sentier de l’Amour, qu’il lance innocemment à l’entourage…
Soudain, son visage s’éclaire ! Il se lève, le charmant naufrageur ! C’est la belle de son cœur qui vient rassurer son preux pêcheur ! Il piaffe, il geint, il bout, il s’empresse, le bel harponneur ! Caché dans le fond du bar, mon angle de vision ne me permet pas encore d’admirer sa conquête. A voir toutes ses simagrées, je devine la belle amazone toute proche… J’aimerais tant avoir cet emballement… Enfin, elle apparaît. Elle porte une marinière assortie à la sienne ; sans doute, un membre de son équipage, me suis-je dit. Elle porte aussi une belle barbe, un petit chien dans les bras, des muscles saillants, un jean moulant et ses éclats de rire caverneux font peur à tous les petits oiseaux des platanes ! Ils vont s’embrasser ! C’est sûr ! Maintenant, les nuages vont rappliquer de l’Ouest en courant ! Les éclats de lumière se cachent déjà ! Regardez les ombres contrites ! Elles fondent sur le bitume ! Lové contre une bite d’amarrage, c’est un bateau à voile et à vapeur qui doit faire relâche dans le port de Romans…
Notre Romans-sur-Isère n’a rien d’une station balnéaire ; celui-là, comment a t-il fait son compte pour se retrouver à l’amarrage d’une table, sous les bâches tendues de mon cher bistrot du dimanche ? En été, je croyais que ce genre de personnage ne fréquentait assidûment que la plage du Coco Beach, les bars mutins d’Ibiza et les boîtes de nuit appropriées, un peu partout dans Paris. Mais c’est sans doute moi qui ne sors plus assez pour le réaliser ici et là. Il n’empêche ; il a peut-être son voilier à quai le long de l’Isère, le bonhomme…
Indéniablement, ce dimanche matin, c’est la vedette de la terrasse ; on dirait un moniteur d’éducation physique, un monsieur univers du milieu du vingtième siècle, propulsé à la terrasse de ce café d’aujourd’hui. Vêtu d’une marinière flambante, d’un pantalon en toile délavée et de petites chaussures marines en cuir bleu-souple, il semble tout droit sorti d’un roman de Somerset Maugham. Tellement cliché, tellement stéréotypé, tellement bien propre sur lui, il pourrait être la vedette d’une pub de Jean Paul Gaultier.
Son polo le serre aux entournures ; sentant mieux ses muscles, il gonfle les biceps, fait rouler ses pectoraux, rentre le ventre, comme des gestes habituels, des poses à l’adresse de photographes invisibles.
Ce quarantenaire passé a une belle gueule carrée de gentil méchant, avec des rides savamment calculées à chacun de ses sourires enjôleurs ; il est beau, il est preux, il est ténébreux, il sent le sable chaud ; il doit avoir un succès fou auprès des femmes. Il a le sourire blanc-salin du loup de mer ; chaque fois qu’il ouvre la bouche, ce doit être pour raconter des aventures de déferlantes. On sent le courage à chacun de ses gestes, surtout quand il touille son café, le petit doigt en l’air…
Les poils blonds de ses bras frisent en presque désordre ; ils sont comme un champ d’avoine qui attend la caresse du soleil matinal. Sur sa peau bronzée, on peut voir un beau tatouage aux nuances multicolores, un arc-en-ciel peut-être, mais dont la haute teneur philosophique ne trouve pas ma traduction.
Il porte des Gay, non, des Ray Ban d’une autre mode sur les yeux et quand il les ôte, on dirait la Mer des Caraïbes dans ses pupilles. Il éblouit, il irradie, il étincelle ; à chacun de ses regards circulaires, on dirait un phare altruiste au chevet des âmes en perdition de la terrasse. Façon pirate, il porte aussi un petit foulard rouge autour du cou et une boucle d’oreille en or qu’il tripote souvent comme pour s’assurer qu’elle est toujours là. Il a des colliers aussi ; des fines nacres arc-en-ciel aux reflets d’îles paradisiaques, portées comme des trophées, qui s’agitent aux mouvements de leur beau capitaine. Sa montre ? Une épaisse Rolex en or véritable, mille carats ! Butin de ses derniers pillages, des bagues et des bracelets figurent aussi dans son arsenal de grand séducteur…
Un instant, j’aimerais lui ressembler pour avoir la chance de harponner, moi aussi, quelques belles femelles attirées par tous ces falbalas de miroir à alouettes. Aussi, je me languis de voir la sirène que ce pêcheur d’Islande, forcément bien loti, a naturellement dû prendre dans ses filets…
Cette femme extraordinaire, cette Aziyadé, je l’imagine tellement fabuleuse, tellement exceptionnelle, tellement radieuse. Vous savez, c’est ce genre de personnage qu’on ne croise que dans ses rêves les plus fous, si bien qu’on ne sait plus s’ils sont des enchantements ou des cauchemars, tant leur attraction furieuse est aussi merveilleuse qu’inaccessible.
C’est peut-être une gravure de mode, la couverture d’un magazine parisien, un mannequin à la mode, à la solde des plus grands couturiers ! Elle a le visage aux mimiques parfaites, les cheveux courant jusqu’à ses reins, la silhouette digne d’une statue de Rodin, une magnifique paire de seins ; quand elle sourit, tous les jeunes rayons du soleil apprennent à briller et quand elle rit, les petits oiseaux du quartier revisitent leurs gammes aux sons de la gaieté !
C’est sûr ! Elle va s’asseoir à sa table, lui donner un petit coup de genou connivent, poser sa main dans la sienne comme un signe de reconnaissance amoureux ! En échange, il va lui murmurer des secrets, des chemins d’îles aux trésors, ceux qu’elle cache si peu sous son petit chemisier ! Pris dans la tourmente de l’Amour, ils vont peut-être s’embrasser et, par-delà, faire gicler dans le ciel plein d’étoiles filantes ! Les ondulations des feuilles de platane ont déjà des soubresauts d’éclats de lumière sur la place !
Et puis, bras dessus, bras dessous, je les regarderai disparaître dans la chaleur de la matinée ; ils vont traverser l’esplanade comme on marche sur la mer, et je me retrouverai seul, tel un Robinson sur son île, à l’ombre de mes illusions. Les nuages de l’Ouest vont cacher le soleil, tuer le clinquant des couleurs, taire les petits oiseaux et je me réveillerai dans la torpeur de mes draps affalés…
Il cocote, le flibustier ; il a dû tomber dans son flacon de Drakkar ; la chevelure à peine grisonnante, la barbe de trois jours, le teint hâlé, c’est aussi dans sa panoplie de Cupidon des plages. Il croise et décroise les jambes comme pour ne pas laisser le temps aux fourmis laborieuses de l’ankyloser. Il tire sur sa longue cigarette blonde mais il n’avale jamais la fumée ; il la recrache aussitôt comme des intenses signaux d’indiens, sur le sentier de l’Amour, qu’il lance innocemment à l’entourage…
Soudain, son visage s’éclaire ! Il se lève, le charmant naufrageur ! C’est la belle de son cœur qui vient rassurer son preux pêcheur ! Il piaffe, il geint, il bout, il s’empresse, le bel harponneur ! Caché dans le fond du bar, mon angle de vision ne me permet pas encore d’admirer sa conquête. A voir toutes ses simagrées, je devine la belle amazone toute proche… J’aimerais tant avoir cet emballement… Enfin, elle apparaît. Elle porte une marinière assortie à la sienne ; sans doute, un membre de son équipage, me suis-je dit. Elle porte aussi une belle barbe, un petit chien dans les bras, des muscles saillants, un jean moulant et ses éclats de rire caverneux font peur à tous les petits oiseaux des platanes ! Ils vont s’embrasser ! C’est sûr ! Maintenant, les nuages vont rappliquer de l’Ouest en courant ! Les éclats de lumière se cachent déjà ! Regardez les ombres contrites ! Elles fondent sur le bitume ! Lové contre une bite d’amarrage, c’est un bateau à voile et à vapeur qui doit faire relâche dans le port de Romans…
il est vrai que les quais de Romans ont un charme certain ... deux hommes beaux qui s'aiment entre ombres et lumière et leurs descriptions est au top :o))
RépondreSupprimerOn dirait bien que le pêcheur d'Islande est allé à la chasse au phoque :)
RépondreSupprimer