La Golden Oil Well
« Il
a dévalé la colline. Ses pieds faisaient rouler des pierres. C’est comme je
vous le dis, monsieur le journaliste interviewer ! Il est passé devant
moi avec le diable aux trousses ! Il surfait sur les cailloux tant il
dégringolait !... Ce n’était pas dans ses usages, à Purdy mac Dohell,
toute cette débauche de gesticulation, en dehors de ses travaux d’excavation. Alors,
je me suis dit : mon vieux Jock Ewing, ça c’est louche ; le Purdy mac
Dohell, il est tombé sur quelque chose de pas ordinaire…
Ouaip,
au temps de la ruée vers l’or, il s’est installé sur ce maudit plateau avec sa
tente, sa mule, son tamis et sa pelle, et il a fait son trou comme les autres.
Mais il n’y avait que de la caillasse par ici ! A peine de quoi aller se rincer
le gosier chez la belle Miss Ellie ! Juste un peu de joncaille, un peu de
verroterie, pour ne pas crever de faim ! Ce qui nous fait vivre, nous,
c’est chercher ! Elle est là, notre mine insolente qui brille son trésor
inestimable, dans notre tête malade ! Elle y prend toute la place et quand
on transpire, c’est toujours la fièvre de l’or ! Et plus on creuse, et
plus notre cervelle se liquéfie ! C’est cette obstination, cet espoir de
tomber enfin sur le filon, le King size, le mahousse, le jackpot, celui qui
nous rendra milliardaire ! C’est ça qui nous tue à la tâche ! Nous
sommes comme des joueurs de poker ! On mise sans relâche, sur le tapis de
la Chance, notre vie contre la fortune ! Mes mains n’étaient que
cales, crevasses, ampoules !...
Comment ?...
D’où venait-il ? De l’Ohio ou bien du Vermont, voire du Kentucky, que
sais-je ? Personne, ici, n’a de passé ; on ne mise que sur l’avenir.
Alors, d’ici ou de là, c’est bien égal. Comprenez ! On était tous au Texas
pour se refaire !...
Que
faisait-il avant ?... Tu ne sembles pas comprendre, monsieur le biographe.
Il était peut-être tricheur de tables de jeux dans le Missouri, pilleur de
banques dans l’Oregon, dévaliseur de diligences dans le Montana ou voleur de
bétail dans le Dakota, ou pêcheur sur le Mississippi, ou sudiste en Alabama, ou
businessman dans le Delaware… Tu piges le topo ? On veut remonter la pente ;
on devient prospecteur ! On veut notre part du gâteau, on veut croquer
dedans et éblouir les autres avec les miettes !...
Lui,
il la dévalait, plutôt…
D’habitude,
quand il passait devant mon bivouac, pour descendre en ville, il me balançait
toujours un petit salut, avec le sourcil froncé et deux doigts au coin de son
chapeau, un peu comme s’il était le propriétaire des lieux. Il me regardait de
haut, Purdy ; c’est parce que sa mine était au-dessus de la mienne, qu’il
se la jouait grand seigneur. Sa maigre parcelle, il l’appelait pompeusement sa
Golden Mine. C’était le jeu habituel entre nous ; moi, je lui renvoyais
quelques sarcasmes du genre : « Hé, Purdy, où descends-tu comme
ça ?... T’as encore rendez-vous avec la belle Miss Ellie ?... T’es
pas assez riche ! Elle va t’engloutir tes dernières pépites ! Bois
pas tout le whisky du saloon !...
Là,
il fonçait trop vite !... « Hé, Purdy, tu pourrais dire
bonjour ! T’as déterré un nœud de crotales ?... T’es tombé sur le
squelette d’un chef indien ?... T’as trouvé le magot à Billy the… »
mais il était déjà au fin fond de la ravine !...
Dans
un souffle, il m’a réclamé des tuyaux ! Lui qui ne demande jamais rien, « Hé,
Purdy, c’est pour le tiercé de ce dimanche ? Des conseils pour canaliser
la belle Miss Ellie ? T’as l’intention d’installer l’arrosage devant ta
mine ?... Tu vas enfin prendre une douche ?... » Il m’a
crié d’arrêter de fumer parce que c’était dangereux !... « Hé Purdy,
t’as peur pour mes poumons ? Ha, ha ! Il y a tellement de poussière
dedans que même le cancer, il ne trouve pas sa place ! Arrête tes
blagues ! C’est un mégot que je remâche depuis l’aube et je suce les
derniers grains de tabac à l’intérieur !... Remonte et viens boire un
café ; tu me raconteras tes problèmes ! L’écho de la montagne
renvoyait mes paroles comme si je criais dans un porte-voix…
Tout
à coup, l’or noir a giclé de la Golden Mine ! Une véritable cascade de
pétrole, à la fois liquide et visqueuse, brûlante et glacée ! Ma
clope encore rouge m’en est tombée du bec, juste dans le caniveau de pierres
qui courait jusqu’à Purdy ! Tout a pris feu ! C’était les flammes de
l’Enfer qui le poursuivaient ! Oui, monsieur le journaliste, il est mort
comme cela, en spectacle sons et lumières, immolé par sa mine au moment du
terminus de sa misère. Et comme par enchantement, la source de pétrole s’est
tarie ; ce n’était qu’une modeste poche… On l’a enterré dans sa mine qu’on
a renommée la Golden Oil Well. Oui, sa concession, maintenant, il l’a à perpétuité…
Et
vous savez ce qu’a fait le vieux Jock, monsieur le journaliste ? Et bien,
avec mes dernières économies, je suis allé acheter des planches, des tuyaux et
des vannes et j’ai monté un derrick. Très vite, je suis tombé sur une immense nappe
de mazout digne d’alimenter toutes les voitures de l’Amérique ; j’ai
construit plein de derricks et j’ai bâti une ville : Dallas. Je suis
milliardaire et j’ai arrêté de fumer ; tout ça grâce à Purdy mac Dohell.
Je me souviens encore quand il a dévalé la colline ; ses pieds faisaient
rouler des pierres… Ma chère et tendre pourra vous confirmer tous mes
dires : « Chérie ?... Chérie ?... C’est le journaliste
qui rédige ma biographie ! Raconte-lui, les débuts, Purdy et sa
mine !... » Mais non, Miss Ellie, je n’ai pas fait exprès avec mon
mégot… Mais non, je n’étais pas jaloux… Que vas-tu donc inventer là… Repose
donc cette bouteille de whisky... »
voilà une sacrée histoire qui nous plonge dans la grande épopée du Far West et de ses fortunes "miraculeuses"
RépondreSupprimerAh...la rue Everlor, si célèbre et si mythique...
RépondreSupprimer¸¸.•*¨*• ☆
Un rebondissement et bien des sous-entendus dans cette aventure!
RépondreSupprimerUn texte captivant
Le temps des gold diggers, une fabuleuse histoire le bonheur des uns fait le malheur des autres. ;-)
RépondreSupprimerQu'est ce que c'est bien raconté Pascal ! Bravo.
RépondreSupprimerVoilà un excellent récit qui fait de nous aussitôt des chercheurs d'or. On suit le bonhomme, on le découvre, on le connait, et chaque détail le dessine de mieux en mieux. Bravo! Peut-être que "s'il n'avait pas dévalé la colline"...nous ignorerions toujours ce destin flamboyant!
RépondreSupprimerOn entre dans tes histoires à petits pas et on dévale le texte à toute allure tellement c'est bien écrit ! Comme j'aime te lire ! En plus, on apprend des choses. Et quelle belle récupération de l'incipit, bravo Pascal!
RépondreSupprimerune histoire des grands espaces et des conquérants de l'impossible, des pionniers qui ont construits l'Amérique, un récit fort réussi de la découverte de l'or noir ... et la biographie d'un homme qui a eu de la chance et du flair.
RépondreSupprimerL'incipit t'a remarquablement inspiré !
Merci pour vos commentaires sympas.
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