samedi 9 juillet 2016

Célestine - Le temps de vivre



 Il a dévalé la colline. Ses pieds faisaient rouler les pierres. Boudi ! Il en a jamais vu autant !
Sur le Garlaban, comme sur toute la Provence, les pierres sont reines, elles constituent le paysage, elles en sont l’essence même, elles poussent pendant la nuit et vous font au matin de méchants crocs-en-jambe, quand elles ne vous démantibulent pas les souliers en vous ouvrant de grosses brèches dans la semelle pour mieux blesser vos pieds. Pécaïre, elles sont douées de la volonté de nuire, c’est certain !

Sa tête est en feu, comme le soleil qui brûle déjà ce matin l’âpre pays, mais Gaspard n’en a cure. Il a laissé Marie, là-haut, sur le plateau désolé et rebroussé par le mistral, parmi les maigres herbes et les chardons si acérés que même les ânes hésitent à les manger. Marie, le corps déchiré, la jupe trempée, le front étoilé de perles salées. Sa Marie qui pleure immobile et sans bruit, et puis qui râle comme une biche aux abois.
Il l’a laissée seule avec les mouches bleues et les chèvres à la robe cuivrée, et des espigaous plein ses cheveux dorés.
Sur la colline, le temps est figé dans l’air brûlant et ancestral de la garrigue, qui vibre de cigales, d’arbouses et de pins. Mais lui, il en a déjà perdu trop,  du temps. Il pense à Marie, il gémit de douleur essoufflée, il entre en trombe dans la première maison du village, et crie avec une voix de tarasque : «  Docteur ! Venez vite ! Bonne mère du ciel ! Ma petite …Vite vite !
- Gaspard ! fan des pieds ! Tu m’as fait peur, bournefigue ! Mais qu’est-ce y se passe ? Tu vois pas que c’est l’heure du pastis ?
- Mais docteur, vite…vite… ô fatche de…
- Mais quoi, tu accouches à la fin !
- Justement, c’est Marie…elle a fait… les eaux…
- Ô teste d’aï ! Tu pouvais pas le dire plus tôt ! Allez, faï tira, sinon ta galine, elle va nous le faire sans nous, ce petit ! 

20 commentaires:

  1. et voilà un texte comme je les aimes ! il fleure bon la Provence si chère à mon cœur :)
    il parle la langue de Pagnol, et celle de Giono

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je suis née au pays de Giono et Pagnol...j'en ai gardé une tendresse éternelle pour leurs écrits, ces terres arides et cet accent magnifique.
      merci Tisseuse
      ¸¸.•*¨*• ☆

      Supprimer
  2. Un joli texte qui chante et qui enchante !

    RépondreSupprimer
  3. Des accents comme j'aime et ces pierres qui poussent la nuit... quant aux bébés ils poussent aussi,Ô fatche de... :)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Les pierres qui poussent dans la nuit était une expression de ma grand-mère ...
      Je lui rends hommage aujourd'hui par ce clin d'oeil.
      Quant aux bébés, elle disait qu'ils ils arrivent plus vite que le million...
      C'était une rigolote, hein ?
      ¸¸.•*¨*• ☆

      Supprimer
  4. Quel plaisir, La Céleste, de lire ton texte fanfreluché de mots du terroir de la belle Provence chère à Pagnol, Frégni, Giono. Qu'ils seraient contents ces fabuleux écrivains de voir qu'on fait tinter encore leur musique provençale.Merci La Céleste de ton bouquet garni de thym, de lentisques et mêlé à la fleur de genêts,que tu nous offres en cette après-midi d'une journée chaude de Provence.
    Bisous émerveillés

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Tu connais mon goût pour cette langue provençale, chaude, et pleine de senteurs comme celles de la colline où je vais me réfugier quand le monde devient trop lourd...
      Merci de citer Frégni, tu sais l'effet que m'a fait sa découverte récente.
      Bises douces
      ¸¸.•*¨*• ☆

      Supprimer
    2. Oui je connais ton goût, tous tes goûts où il y'a de la musique qui enchante qui nous prend dans nos veines et nous dit des choses qui nous font rêver de la pluie et du temps des coquelicots. Frégni était un vagabond que la vie a tanné pour apprendre et dire des choses belles de la vie.

      Supprimer
    3. C'est vrai...un grand injustement méconnu.
      ¸¸.•*¨*• ☆

      Supprimer
    4. René Frégni est encore parmi nous...

      Supprimer
    5. Texte à lire adossé au Ventoux...

      Supprimer
  5. Il m'a semblé entendre les cigales...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Elles y étaient, Pascal, elles y étaient...
      ¸¸.•*¨*• ☆

      Supprimer
  6. Une bouffée de Provence qui fleure bon le pastaga. ;-)

    RépondreSupprimer
  7. Un vrai plaisir de lecture, Célestine, un récit vigoureux et ensoleillé. J'aime beaucoup.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Ton enthousiasme me fait plaisir, Lorraine. J'ai pris plaisir à l'écrire...
      ¸¸.•*¨*• ☆

      Supprimer
  8. Quel bonheur que de lire ce texte ! Je me suis régalée tout du long, par le récit, le choix des mots, l'atmosphère que dégage le texte, vraiment bravo Célestine ! Du vrai bonbon ! menoum 'o)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Quelle joie de déclencher cet enthousiasme ! Merci Zoz
      ¸¸.•*¨*• ☆

      Supprimer

Les commentaires sont précieux. Nous chercherons toujours à favoriser ces échanges et leur bienveillance.

Si vous n'avez pas de site personnel, ni de compte Blogger, vous pouvez tout à fait commenter en cochant l'option "Nom/URL".
Il vous faut pour cela écrire votre pseudo dans "Nom", cliquer sur "Continuer", saisir votre commentaire, puis cliquer sur "Publier".