Cagouilles
en brochette
Il a dévalé la colline
Ses pieds faisaient rouler des pierres
Il a dévalé la colline
Ses pieds faisaient rouler des pierres
En
bas, dans le bois du père Martenot où il avait établi sa cabane
une fumée montait droite comme un cierge pascal à Saint-Bénigne.
Quel
sauvage osait faire du feu dans son fief en plein mois de juin?
A
mi-chemin – si tant est qu'il y eut un chemin – il évita d'un
bond une profonde rigole creusée par les dernières pluies mais ne
vit pas une ronce qui l'envoya mordre la poussière d'un sournois
croc-en-jambe.
“Vindiou”
jura-t-il en frottant ses genoux couronnés et il reprit sa course en
gambillant (boitant); il en avait vu d'autres comme cette fois où
ceux de Verjus l'avaient rossé pour les avoir traités de beusenots.
Celui-là
qui faisait du feu chez lui allait payer pour cette félonie.
Il
s'arrêta un instant pour souffler, trouva à travers sa poche le
contact rassurant du lance-pierre; dans la combe, c'est pas les
pierres qui manquaient et il saurait en trouver de belles pour la
tête du quéqué qui osait faire du feu sans sa permission...
Il
en soupesa plusieurs qu'il garda en main, pas trop lourdes mais assez
tranchantes pour apprendre les bonnes manières à ce busard !
Le
busard était assis de dos devant un maigre feu de bois trop humide
qui fumait comme dix sapeurs... il ne pouvait pas l'avoir entendu
arriver.
Comme
il bandait son lance-pierre en direction de la nuque échevelée, le
busard tourna la tête. Ses longs cheveux blonds – pas comme les
tignasses des gars de Verjus – encadraient un visage aux traits
fins... il n'était pas de chez nous, peut-être un cul-terreux, un
de la Saône-et-Loire ou de plus loin encore, un vrai étranger. Que
faisait-il ici près de sa cabane à faire du feu?
Il
n'eut pas le temps de questionner.
Le
busard s'était redressé, un timide sourire aux lèvres et lui
tendait quelque chose :”T'en veux une?”
Il
désarma son lance-pierre pour prendre ce qui ressemblait aux tiges
de sureau qu'il crapotait pour faire comme les adultes, mais là
c'était une cigarette, une vraie.
L'autre
lui tendit un briquet :”C'est un Zippo” dit le busard d'une voix
fluette.
Il
dévisagea l'étranger :”T'es pas d'ici... qu'est-ce que tu viens
rebeuiller (fouiller) sur mes terres?”
Le
busard ne quittait pas son petit sourire et le regard bleu acier
s'était adouci.
Décidément
il était trop chaponné (efféminé) pour un cul-terreux. Il faillit
lui demander s'il était une fille mais il savait trop bien que si
c'était faux il lui en cuirait et si c'était vrai il lui en cuirait
aussi...
Il
n'eut pas à prendre le risque.
“J'm'appelle
Florentine mais t'as qu'à m'app'ler Flo” dit l'étrangère et elle
ajouta :”Tu t'allumes tout seul ou j'viens r'prendre le Zippo
moi-même?”
Malgré
le sourire l'étrangère avait pas l'air de plaisanter.
Il
alluma gauchement la vraie cigarette et en tira une vraie grosse
bouffée d'homme en pouffant (toussotant).
”C'est
la fumée de ta foutue fouillère” se défendit-il en lui rendant
le Zippo “faut être tarée pour faire une fouillère (feu en plein
air) en été! Et pis faut prendre du châtaignier ou du robinier
bien sec... j'en ai une réserve là-bas”.
Flo
eut un franc sourire :”Oh ça va! C'est juste pour faire cuire ma
brochette de cornus”
Il
chercha à voir à travers l'épaisse fumée :”Une brôchette de
quoi?”
Flo
désigna du doigt une tige noirâtre :”Des cornus... des
cagouilles, quoi!”
Instinctivement
il serra les pierres coupantes qu'il avait gardées en main :”Les
cagnoles, où don qu'tu les as trouvées?”
“Dans
la cabane, c'te blague” dit-elle sur un ton léger.
Il
s'était cheurté (assis) lourdement et jeta sa cigarette dans le
feu, le souffle coupé, le regard fixé sur le tiau charbouillé
(baguette noircie) qui crâmait.
Cette
embistrouilleuse venait d'incinérer sa meilleure équipe de
cagnoles, une dream team classée première aux derniers championnats
régionaux de Chassagne-Montrachet: Cinquante et un centimètres en
moins de trois minutes, des jours et des semaines d'entraînement.
“Vindiou...
Cré Vindiou” répéta-t-il en retenant un sanglot. Forcément, à
c't'heure ses Helix pomatia allaient jarter (courir) bien moins vite.
Flo
avait perdu son sourire :”Y'a un problème?”
Il
aurait pu lui sauter à la gorge, lui hurler sa haîne, la pousser
une bonne fois dans la fouillère. Il ne fit rien de tout ça.
Pour
sûr y'avait un problème de taille. Une gouine qui crapotait des
Craven A et allumait un feu de bois vert en plein été avait ruiné
ses espoirs de gagner le championnat du monde de course de
cagnoles... ceux de Verjus allaient en mourir de rire!
“T'as
crevé mes championnes” chouina-t-il à l'instant où une soudaine
rabasse (averse) s'abattait sur eux, un garot d'été qui les força
à courir se réfugier dans la cahute.
Jusque
là il n'avait eu ni le temps ni l'envie de reluquer l'intruse.
Il
découvrait un minois picassé de nantilles (taches de rousseur) qui
lui donnaient des airs
de
poulbot, un minois mangé par deux quinquets bleu océan qui lui
filaient le virot...
La
rabasse n'avait pas eu le temps de les gauger (tremper) jusqu'aux os
mais il devinait la poitrine naissante sous le mince tricot mouillé.
Il
détourna la tête pour sortir d'un panier une fillette d'aligoté
chipée dans la cave d'Oncle Hubert :”T'en veux un galopin?”
Flo
éclata de rire :”C'est quoi un galopin? Un chenapan, comme toi?”
”C'est
juste ça” dit-il en ramassant un verre.
Elle
lui prit la bouteille des mains :”J'préfère boire au goulot”.
Il
trouva qu'elle buvait bien, comme un mec en s'essuyant la bouche d'un
revers de main et en rotant de plaisir.
Il
but à son tour au goulot qu'elle venait de suçoter à l'instant et
c'était bon.
Il
rota à son tour.
“Vindiou,
tu fais un sacré busard” trouva-t-il à dire pour tenter de
dissiper sa gêne grandissante.
“T'es
toujours fâché pour les cagouilles?” demanda-t-elle.
Il
ne savait plus.
Dehors,
un franc sulot (soleil) avait séché la rabasse mais il n'avait pas
envie de bouger.
Il
frotta ses genoux couronnés où le sang avait séché.
Flo
l'interrogea du regard.
“Ton
feu aura crevé” dit-il simplement.
L'homme
ne vaut rien. La femme pas grand chose, mais l'un et l'autre font le
monde disait souvent Oncle Hubert aux veillées de famille...
C'était
ben vrai
Un bon patois bien piquant et une morale bien réaliste. Merci pour ce moment qui fait sourire.
RépondreSupprimerTendre et tragi-comique juste persillé de patois, ton texte m'a fait passé un bon moment de lecture...
RépondreSupprimeravec le sourire
Ma grand-mère n'avait pas son pareil pour le persillé... j'en ai hérité :)
Supprimerqu'il est loin ce temps de rencontres croustillantes comme celle-ci :)
RépondreSupprimerJ'aurais pu la vivre mais elle est imaginaire... comme d'habitude
Supprimerj'adore tes histoires en patois bourguignon
RépondreSupprimerj'avais des amis à Paray le Monial et puis à Dijon ... certains un peu beutiot voire même beurdin, mais on s'éclatait vraiment et on mangeait et buvait plus que de raison :o))
On ne sort jamais intact avec de tels amis !
Supprimerun brin de guerre des boutons, un zeste de Giono, un clin d'oeil à Bourvil, une moralité surréaliste, le tout lié à la sauce bourguignonne, voilà une recette fort savoureuse
RépondreSupprimerJe ne pensais pas avoir été autant influencé :)
SupprimerTon patois m'hallucine, je rends les armes...mais j'applaudis une imagination aussi fertile, qui nous entraîne chez le busard puis chez Flo qui lui offre des cagoules, à défaut de la pomme du Paradis Terrestre!
RépondreSupprimerLa pomme du Paradis est à l'appréciation du lecteur...
SupprimerMoi, je dis bravo!
RépondreSupprimerMerci chri !
SupprimerSucculent. Comme la brochette de cagouilles. Heu...un peu fumées et noircies semble-t-il ! Moi, je les préfère persillées...justement !
RépondreSupprimerMoi aussi mais les embistrouilleuses ne savent pas faire la cuisine :)
SupprimerCré vingt dieux ! Maupassant, Zola, Balzac, Eugène le Roy, sortez de ce corps !
RépondreSupprimerTu es fabuleux Vegas. Foi d'une picassée de nantilles, rapport à de lointaines origines irlandaises...
¸¸.•*¨*• ☆
C'est trop de compliments, Célestine :)
SupprimerJ'aime beaucoup; heureusement que tu as rajouté la traduction des mots du terroir. Ta manière de raconter avec tant de détails donne à penser que le p'tit môme, c'est toi. On est tellement près de l'histoire qu'on devient le voyeur de ces deux enfants. Enfin, l'épilogue de cette aventure me fait penser à Alfred de Musset. "Tous les hommes sont menteurs, inconstants, faux, bavards, etc. "
RépondreSupprimerTes textes sont toujours pour moi « un voyage à l'étranger », une langue nouvelle, des mots nouveaux de plus à mon lexique personnel... Cher Végas, c'est succulent !
RépondreSupprimerMerci zoz, ton commentaire me touche... vindiou !
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