Le rond-point au milieu du boulevard !
Vous
vous souvenez de ce rond-point. A l’origine, avec sa vingtaine de mètres de
diamètre au plus, il couvrait un parc de stationnement. Son centre accueillait
quelques arbustes sur une pelouse garnie de massifs de roses robusta. Un rond-point point banal. Puis, d’améliorations en modifications
et aménagements divers, il s’était agrandi, avait mordu sur le bitume, repoussé
la chaussée, et de proche en proche s’était développé au point d’atteindre la
taille d’un parc et de susciter une réputation internationale propre à
l’attribution de prix. Alain en était le jardinier et ses initiatives avaient
grandement contribué à cette situation, ce qui lui inspirait une fierté
légitime.
Des
lapins s’y étaient installés en cohorte. Les pigeons avaient envahi les
platanes d’où ils engraissaient consciencieusement les graminées et les
buissons taillés. Un groupe influent insistait pour qu’on y introduise le loup,
voire l’ours, plus royal, et peut-être même l’aigle, impérial quant à lui. Ce
jardin avait été adopté, en dépit de sa situation, par les gens des environs.
Certains y organisaient de petites fêtes. D’autres s’y promenaient assez
sagement. Il y en avait même, les plus pratiques, qui y laissaient sécher du
linge. Ce sans-gêne exaspérait Alain.
Ceux qui
n’ont pas vécu ce qu’être amoureux d’une femme qu’on ne parvient pas à aborder représente
peuvent sauter les quelques lignes qui suivent. Elles n’évoqueront rien pour
eux. Les autres se souviendront à quel point il est difficile de mettre en
œuvre la bonne stratégie pour attirer l’attention de la belle, de lui dire ces
quelques mots qu’elle consente à écouter, d’obtenir de la revoir, et le reste. C’était
précisément la situation d’Alain était, lequel était amoureux
d’une belle et ne savait pas comment le lui dire. Il la voyait au rond-point et,
de loin, reconnaissait sa démarche au milieu de la foule avant même de voir son
visage. Quant il plantait les fleurs, elle passait trop vite pour s’engager
dans une conversation utile. Quand elle rêvait assise face au soleil, il était
en plein travail.
Ce soir-là,
Alain s’était couché, rompu de fatigue, après avoir passé la journée à jardiner
le rond-point du boulevard. Il avait respecté à la perfection le cahier des
charges : les bancs de tulipes, les rosiers, les pelouses serrées et rasées de
près comme un tapis pour le boulingrin, les pâquerettes, les buissons et tout
le reste.
La
sonnerie du téléphone le réveilla le lendemain matin en sursaut. Un troupeau de
vaches avait, pendant la nuit, envahi le rond-point et l’avait ravagé. Il y
courut plus vite que jamais. Le piétinement du troupeau avait ravagé les
pelouses en s’y enfonçant à mi-jarret. Il restait peu de choses des fleurs. Il
constata avec satisfaction que le linge avait disparu, arraché par les
ruminants apeurés dans leur fuite.
Il avait
traversé tout le rond-point et, essoufflé, était presque parvenu au trottoir d’en
face lorsque la belle apparut. Celle à qui il n’avait jamais osé adresser la
parole. Elle fouillait dans son sac en montant sur le trottoir du boulevard.
Elle trébucha. Son bâton de rouge à lèvre jaillit et tomba à ses pieds. Il le
ramassa. Le lui rendit. Il en oublia le désastre et ne lui demanda pas ce
qu’elle venait faire là. Tout de même pas chercher son linge!
« Gilles,
dit-il, c’était avant ta naissance ».
Gilles resta pensif. Puis il demanda :
Gilles resta pensif. Puis il demanda :
« Et
quelle était la couleur du rouge à lèvre ? »
« Celle
de la plus belle de mes roses », répondit Alain.
Ah, si les rond-points et boulevards de nos villes étaient aussi épanouissants !!!
RépondreSupprimerBienvenue en tout cas chez les Impromptus :)
ça ne manque ni de piquant, ni d'originalité... bravo
RépondreSupprimerBienvenue cher ami au coeur de la plus belle fleur des ateliers d'écriture: les Impromptus !
RépondreSupprimerJoli début. Tout y est.
Bravo
¸¸.•*¨*• 🦋
Une belle histoire, finement contée ! Super !
RépondreSupprimerUn texte chargé en croisements de sens, pour cette entrée en matière; bravo, Yrieix.
RépondreSupprimerYrieix...? Pas une anagramme de Yann Moix, on est d'accord. Lors donc, bien le bon jour à vostre mère, Cunégonde... nan, euh... Pas besoin d'en faire tout un fromage, non plusse... Ah, vouiche ! Pouf, pouf : ...à vostre chère mère Pélagie (de la dynastie Got-de-Mouton; si vous aimez Pierre Dac, on est raccord).
Littéralement déconstraté,
tiniak ;)
Une histoire que j'ai lue avec grand plaisir !
RépondreSupprimerMerci.