Le cimetière de Noël
Conte de Noël
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Ceci se passait, il y a longtemps déjà, un 24
Décembre.
Premièrement
Dans ces lieux de cessation, où l’espoir et la sacro-sainte
impatience trouvent un éternel répit, une tombe, mieux célébrée que d’autres
par un monceau de fleurs fraîches, attira mon regard. Encadrée de bronze, la
photo d’un défunt, curieusement en tenue de Père Noël, était posée sur la
grande dalle de granit.
Une femme vêtue de rouge vif se recueillait là en silence
et, comme je passais derrière elle, le bruit du gravillon sous mes pas l’ayant
sans doute tirée de sa méditation, celle-ci se retourna :
- Ah, c’est toi, fit-elle à ma grande surprise et à
voix basse, je savais que tu viendrais.
La beauté de ce visage inconnu, son regard grave et
brouillé de larmes, la solennité du lieu et le trouble dans lequel j’étais jeté
me laissèrent sans voix, et je ne sus qu’émettre un léger grommellement,
certain que cette personne allait reconnaître incessamment sa méprise.
- Ah, mon pauvre Jacques, fit-elle tout au contraire
en s’approchant familièrement de moi, tout est allé si vite… et dire que c’est
ma faute s’il se trouve là aujourd’hui…
Une réplique du Don
Giovanni de Mozart me traversa dans un éclair : « - La burla mi da gusto *», mais la réalité
de la situation la chassa tout aussi vite de mon esprit. Tétanisé par ces beaux
yeux aux longs cils où perlait la rosée d’autant de larmes, et qui plongeaient
si profondément dans les miens, incapable de briser le malentendu dans je ne
sais quelle attente, je demeurai muet.
Et cette inconnue, si belle (était-ce là la cause de
mon mutisme ?), me conta, longuement et d’une voix qui, d’un moment à l’autre
et dans l’oubli des pleurs se faisait plus charmeuse, le dernier jour du
disparu couché là - son cher époux.
Relater ici ce récit dans son entier lasserait Lectrice
et Lecteur tant il fut long : l’ombre des grands cyprès effleurait déjà
l’horizon lorsqu’il prit fin, et je sentais mes jambes atteintes par la
fraîcheur des marbres environnants, alors que je me laissais toujours bercer,
un discret demi-sourire à la lèvre, par le flot si doux de sa parole, jusqu’à
percevoir un changement de rythme et de ton à ces mots :
- Aussi, voilà ce que je te demande, Jacques, fais-le
pour lui, fais-le pour moi, s’il te plaît.
Incapable d’une autre réponse je murmurai, presque à
mon insu :
- Oui.
Secondement
Et voici pourquoi je suis là aujourd’hui, veille de
Noël, à l’autre bout de la ville devant les vastes portes coulissantes de ce
supermarché, gelé plus profond que l’os, en costume de Père-Noël pour la
première fois de ma vie !
Troisièmement
Cette narration aurait pu prendre fin ici même, tant
le contenu en est personnel.
Cependant, porté à satisfaire la curiosité maladive
que tout Lecteur porte en lui (la Lectrice est plus exigeante encore), voici - en
résumé car tout ne sera pas dit -, les raisons de mon bref noviciat en robe
rouge et blanche à capuche :
Quelques jours à peine avant Noël, la jeune femme,
reculant au garage sa nouvelle auto lourdement affligée des derniers
perfectionnements dont elle n’avait pu assimiler toute la portée, écrasa tout à
fait proprement son mari, Père-Noël de son état en saison, contre le mur du
fond où il pestait accroupi contre une clé à pipe égarée. Tué sur le coup,
l’homme ne souffrit point (ceci pour les âmes sensibles).
Cette femme remarquable, égarée un moment devant celui
qu’elle prit pour un autre, affligée par la douleur et trompée par le rideau
déformant de ses larmes, vit aujourd’hui avec un certain Jacques Lantier, dont
le métier de couvreur facilite grandement la tâche saisonnière de Père-Noël,
qu’elle lui assigne désormais à ma suite. Éphémère fonction d’une nuit de Noël qui
me marqua pour toujours…
Finalement
Quant à ma personne, les veilles de Noël sont à jamais
l’occasion de faire revivre cet impérissable et singulier souvenir, une larme
douce au bord de la paupière…
J’adhère aujourd’hui au Cercle des Père-Noëls Indépendants.
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* « La
plaisanterie est à mon goût ». Leporello, Acte II, Sc. 3.
JCP
fichtrement original, ce conte rouge et noir, Jacques Lantier, dis donc, la découverte de l'année ! merci pour cette belle variation, JCP
RépondreSupprimerAh, je me suis gouré Emma, j'ai répondu à Andiamo croyant m'adresser à toi, je récidive :
Supprimer"Merci beaucoup Emma, sans doute un descendant de ce Jacques, à moins qu'il ne se nomme Coupeau, ce couvreur-là..."
ça aurait pu être l'assommoir, mais ça n'est que l'écrasoir. ];-D
RépondreSupprimerAh, faut que j'en cause à Zola... il nous fera peut-être un vingt-et-unième Rougon-Macquart.
SupprimerMerci beaucoup Emma, sans doute un descendant de ce Jacques, à moins qu'il ne se nomme Coupeau, ce couvreur-là...
RépondreSupprimerAh, les bagnoles suréquipées... une plaie mortelle !
RépondreSupprimerTrès très bon texte cher JCP !
Tout à fait d'accord avec toi, il ne se vend plus que du "suréquipé", c'est la règle, et cette dictature du progrès est capable de te laisser à la maison si t'as pas assimilé le manuel. Heureux encore si t'as pas le volant ou la boîte en "mise à jour indisponible" !
SupprimerTu mêles allègrement les époques JCP mais c'est un conte et un très beau conte de Noël. Alors tout est permis pour notre plus grand plaisir en cette période. Merci à toi !
RépondreSupprimerComme dirait Verlaine, "Et tout le reste est littérature"
SupprimerMerci Marité.
drôle d'histoire, et drôle de rituel en hommage au défunt mari
RépondreSupprimerT'as des Mère-Noël vite consolées du veuvage. Peut-être dur de vivre avec l'homme en rouge toujours à l'assaut des cheminées...
RépondreSupprimerComment tu lèches grave les macarons, dis donc !
RépondreSupprimerMmm... l'expression m'étant peu familière (est-elle régionale ?) je cogite et dubite profond dans la Margarine et te souhaite de bonnes fêtes, comme à tous, allez, puisqu'on y est !
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