dimanche 2 décembre 2018

Marité - Le chemin de l'école


L'école est le chemin.

Elle n'était pas bien longue la distance jusqu'à l'école : à peine  300 m à parcourir depuis la maison familiale. J'habitais le bourg de la commune. Il suffisait de le traverser, de longer le cimetière d'un côté de la route et de l'autre le parc du château et j'arrivais devant le petit portail du savoir. Petit portail mais bâtiment imposant. Il abritait deux grandes salles de classe au rez de chaussée entourant la mairie et l'étage était réservé aux appartements des maitres.

Les salles de classe, de part et d'autre de la maison commune, avaient leur propre cour et préau. Elles dataient du temps où garçons et filles étaient séparés.
Quand j'ai intégré le cours préparatoire en 1954, ne subsistait qu'une classe mixte où les petits côtoyaient les grands du certif qui avaient déjà l'allure d'adultes. Ils ne nous impressionnaient pas beaucoup cependant car nous les connaissions depuis toujours.

La rentrée scolaire s'effectuait - va savoir pourquoi - au début du dernier trimestre.
Il fallait avoir cinq ans révolus à cette date. Pas de chance pour moi qui suis née en fin d'année. J'ai dû attendre la rentrée suivante. Donc celle de mes six ans. Et j'enrageais. Je trouvais injuste d'être écartée alors que ceux de mon âge avaient déjà intégré l'école. Le pire était les récréations. Insupportable de les entendre rire et crier. Insupportable de les voir jouer ensemble alors que j'étais seule. La jalousie me dévorait et comme elle devient mauvaise conseillère, j'avais décidé de  me venger. J'assemblais quelques cailloux au bord de la route, me cachais dans une petite cabane à bois et au passage des écoliers, après la sortie du soir,  les canardais.  J'endurais quelques fessées de la part de ma mère quand il y avait des plaintes auprès de mes parents mais cela ne faisait qu'envenimer les choses et augmenter ma colère. Quant à la maîtresse, n'en parlons pas : je lui gardais un chien de ma chienne à la Dame. C'est ainsi que nous la nommions.

Mon père, comprenant ma détresse avait résolu d'acheter un livre de lecture. Je soupçonne qu'il n'était pas d'accord lui aussi avec cette injustice puisqu'il n'avait pas demandé l'avis de l'institutrice pour le choix du livre. Ou, s'il l'avait demandé et devant la réponse négative de la Dame, ce que je crois plutôt, il avait passé outre.

Je me souviens parfaitement de ce premier matin d'école. Pour l'occasion, j'étrennais un tablier écossais neuf et mémé Louise m'avait tricoté une grosse veste de laine bleue. Maman avait ciré mes chaussures du dimanche. Je n'ai pas pris de petit déjeuner tellement j'avais hâte d'être une grande. Parce que quand on va à l'école, on est grand. C'est en tout cas ce que je pensais. Mon père m'accompagnait et portait mon cartable en cuir marron qui devait durer toutes les années du primaire. Je lui donnais la main droite et de l'autre main, je serrais contre moi mon précieux livre de lecture. Il n'était pas question de le laisser à la maison. Ni à l'intérieur du cartable. Il était mon laisser-passer.

Mon père me fit entrer dans la cour et partit. J'étais la seule nouvelle mais pas du tout intimidée. Je n'imaginais pas ce que les camarades me réservaient. Défense d'intégrer leurs jeux. Ils tenaient leur revanche sur mes jets de pierres. On me boudait. Mais je crois que je m'en moquais. L'essentiel était d'être là. D'ailleurs, cela n'a pas duré. Bien vite, j'ai été acceptée. La petite peste, il faut bien le dire, c'était moi.

Quant à la maîtresse, ce fut une autre histoire. Déjà, elle me demanda de ranger mon livre dans mon cartable. Ce que je fis à contre-cœur. J'étais tellement impatiente de déballer ma science et lui montrer que je savais lire. Elle me donna un nouveau livre, un cahier où elle avait écrit mon prénom et mon nom en lettres rondes. Petite victoire :  j'existais : quelle fierté de voir mon identité portée là, sur ces documents que j'espérais depuis longtemps !

En plus de m'avoir appris à lire, papa m'avait appris à compter et aussi à écrire mon alphabet. Deuxième fausse note dès le premier jour de classe. Sur le cahier, la Dame avait tracé en début de  ligne les voyelles. Je devais les reproduire. Quoi ? Qu'est ce que c'était ces "i" avec deux jambes ? Papa n'en mettait qu'une au "i". Qu'est ce qu'elle croyait la maîtresse hein ? L'occasion était trop belle. Voilà que je m'appliquai à reproduire des "i" unijambistes. Malgré les remontrances, la page arrachée, je me permis d'insister. J'en pleurais. Doudou, le "certif" avec qui je partageais le bureau à deux places, crut bon de me souffler : "dis-lui m..." Ce que je fis, tellement j'étais furieuse. Je vous laisse imaginer la suite...Parole : je n'ai jamais recommencé.

En prenant de l'âge, je commençais à traîner sur le chemin du retour vers la maison. Mon grand plaisir : m'introduire dans le parc du château par une petite brèche dans la muraille. Il y avait là des arbres qui poussaient nulle part ailleurs. Ils me faisaient rêver et m'emmenaient loin, vers d'autres horizons, d'autres pays, ceux que je regardais sur les grandes cartes punaisées aux murs de la classe. Les parterres de fleurs étaient entretenus par un jardinier et je volais au passage, une rose, un bouquet de violettes, des hortensias. Chez nous, les fleurs étaient rares. Le jardin servait à cultiver les légumes. Et j'aimais tellement les fleurs !

Et puis, il y avait la châtelaine. Elle s'installait quand arrivait les beaux jours. Elle passait ses journées en bikini et lunettes noires installée sur un transat en plein soleil. Un bikini. Vous imaginez, un bikini. Pour la petite paysanne que j'étais, côtoyant des femmes "couvertes" dont on ne voyait que les bras et les jambes nues quand il faisait chaud, c'était un spectacle. Je la regardais se tartiner de crème et prendre de belles couleurs. Un autre monde. Intrigant. Passionnant.

Les années à l'école primaire ont passé. Plutôt bien. J'étais heureuse de retrouver ma classe, son parfum de craie et de cire et aussi d'encre violette. J'étais heureuse de vivre un peu à part avec mes camarades. J'aimais bien la Dame qui m'a beaucoup appris et surtout m'a permis de lire tout mon saoul les ouvrages de la bibliothèque.

J'ai perdu mon premier livre de lecture. J'ai eu beau le chercher dans la maison familiale, il a disparu. Mais j'ai retrouvé il y a longtemps mon premier recueil de poésie que je conserve précieusement et que j'aime feuilleter souvent tellement il a un parfum d'enfance. Mon enfance à l'école. C'est un petit carnet vert avec deux roses sur la couverture. Il date de 1955 et s'intitule " Dans les jardins du monde" de Louis Groisard. Je me revois récitant un peu partout ces mots que je trouvais si beaux. Les auteurs s'appelaient Maurice Rollinat, Pierre Ménanteau, Emile Verhaeren, Comtesse de Noailles, Paul Fort, Victor Hugo et bien d'autres. De là me vient certainement le plaisir d'écrire : jouer avec les mots.

L'école est le chemin vers l'éveil au monde, la sensibilité et l'intelligence, celui de la liberté d'apprendre qui fait grandir. La mienne existe toujours. Chaque fois que je vais dans mon village et que j'entends les rires des enfants, je suis submergée de nostalgie et de tendresse.

10 commentaires:

  1. comme en écho à ton texte, les souvenirs d'enfance et d'écolier de Marcel Pagnol....

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  2. Un délicieux sorbet à la fraise, merci ! };-D

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  3. Souvenirs émus et nostalgiques de la petite école. Très bien écrit!

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  4. Superbe ! Et puis, de Noailles, quoi... Ça se fête !!!

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  5. Comme Tisseuse j'ai senti les accents de Pagnol… joli !

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  6. Merci Marité, quelle belle évocation, à hauteur d'enfant. On en ressort vraiment ému.

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  7. Splendide chronique du temps passé, avec le château de ma mère en prime...
    Quelle époque épique tu as vécue ! ;-)
    •.¸¸.•*`*•.¸¸✿

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  8. C'est une belle histoire vécue. J'ai les images et les parfums en tête... Je me demande si je ne pourrais pas me lancer dans un petit court métrage ;-))

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  9. Merci pour vos coms.
    Tisseuse, Vegas, Célestine : voyons, pas trop de flatteries. Attention, je pourrais y prendre goût. Pagnol ? Hélas...
    Célestine, ce château existe vraiment. Je n'ai pas vécu différemment de tous les petits paysans de mon époque. Libre dans ma tête, un peu sauvage, avec des vagabondages dans la nature quand le travail à la ferme le permettait. Et l'école évidemment mais j'aimais l'école.

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    1. Aucune flatterie, rien que de la sincérité, ou alors tu me connais mal... :-)
      •.¸¸.•*`*•.¸¸☆

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