- Va donc à la cave prendre des pommes terre.
- Grimpe au grenier chercher des oignons.
Combien de fois ai-je entendu ces deux phrases dans mon enfance, dictées par ma mère ou ma grand-mère ? J'en ai fait des aller-retour de la cave au grenier ! Et ce qu'il me reste surtout ce sont les odeurs si différentes de ces deux lieux de la maison familiale. Les autres pièces n'avaient pas d'odeurs aussi particulières.
La cave était sombre, à peine éclairée par un soupirail que mon père garnissait de paille l'hiver afin de protéger les légumes entreposés là. L'ampoule nue qui pendait au milieu donnait une lumière lugubre. Je n'aimais pas m'y rendre. Il fallait descendre trois larges marches de pierre pour accéder au sol en terre battue. Le granit brut qui les composait devenait noir, luisant et surtout glissant quand le temps était pluvieux. Dès la porte de bois ouverte, l'odeur qui émanait du souterrain prenait à la gorge. Sur de larges planches surélevées recouvertes de paille, s'étalaient de grosses quantités de pommes de terre qui voisinaient avec carottes, navets et betteraves rouges. Mon grand-père passait beaucoup de temps durant l'hiver, quand il ne faisait pas trop froid à trier, enlever les légumes gâtés, ôter les germes qui poussaient très vite sur les patates.
Malgré cela, montaient des relents fétides qui se mélangeaient à l'odeur du vin. Le robinet en bois de la barrique en perce - il était plus économique d'acheter le vin en fût plutôt qu'en bouteilles - fuyait toujours et l'on devait placer dessous une casserole où le liquide stagnait libérant des effluves acres.
Dans le coin le moins humide, étaient disposées des étagères où s'alignaient des bocaux de conserves - haricots verts et blancs, purée de tomate, champignons, châtaignes, fruits du verger en compote ou entiers - préparés en grande quantité durant l'été. Y étaient aussi placées les boîtes en fer blanc de différentes tailles contenant les pâtés et autres charcuteries élaborées lors de la fête du cochon. Juste au-dessous des rayonnages, trônaient les saloirs en grès, par ordre de grandeur.
Je prenais sans traîner ce que l'on m'avait demandé et sortait de ce trou malodorant et obscur vite fait.
Je préférais aller au grenier. L'escalier d'accès était étroit et abrupt mais je m'en accommodais : il suffisait de bien se tenir à la rampe. Ça sentait bon ! Dans la première partie, les céréales : blé, orge, avoine, blé noir ruisselaient à même le plancher. Il suffisait de se pencher et de glisser la main dans la semence pour que des parfums d'été vous submergent. Et quel bonheur de laisser filer entre ses doigts les grains blonds qu'un rayon de soleil échappé de la lucarne dorait !
Dans la seconde partie du grenier, l'on plaçait dans des clayettes pommes, oignons, échalotes. A une poutre étaient suspendues des têtes d'ail, des bouquets de fleurs de sureau séchées que ma grand-mère récoltait dans les haies au mois de juin. Par terre, sur des feuilles de journaux, elle disposait tilleul, camomille, verveine, thym pour les tisanes. Juste en écrivant, je sens encore tous ces parfums mêlés qui formaient un bouquet suave que je respirais avec un plaisir immense. Même l'odeur un peu surie des pommes qui doucement se ratatinaient, se gâtaient, donnait à ce lieu un côté magique. Philippe Delerm l'a dit mieux que moi : "l'odeur des pommes est une déferlante".
On mettait aussi en hiver les draps à sécher sur des cordes à linge fixées aux solives. Tout se mélangeait pour former une exhalaison unique et exquise.
Tout au fond, c'était le bric-à-brac. Enfin, ce que ma mère qui aimait bien faire le nettoyage par le vide oubliait là. J'aimais sortir des cartons les cartes postales envoyées par des parents, des amis. Elles ne venaient pas de très loin, d'autres communes peu éloignées mais aussi de Paris. Celles que je préférais, les cartes de vœux délicieusement surannées parsemées de minuscules grains brillants pour figurer le givre ou la neige. Je passais sur l'image un doigt léger pour en sentir le granité.
Ce grenier de mon enfance a abrité mes rêves. J'aimais m'y réfugier pour lire quand le temps ne permettait pas les vagabondages. J'y étais bien, assise sur une vieille chaise en paille ébouriffée. Je profitais du silence et de l'âme de cette partie de la maison. Mon grenier ne sentait pas la poussière et la vieillerie. Il sentait la vie.
Bravo Marité, j'au eu envie de sortir mon Laguiole de ma poche et de trancher dans une belle pomme avant d'en extraire un quartier, puis le déguster en mastiquant lentement. ];-D
RépondreSupprimerElles sont bonnes les saintes germaine en ce moment ! Moi aussi je les épluche avec mon Laguiole Andiamo. Ça va de soi sinon elles n'auraient pas le même goût ! ;-)
SupprimerUne description nostalgique et pleine d'émotion..
RépondreSupprimerAntoine merci. Elle en aurait des choses à raconter ma vieille maison de naissance qui fut d'abord une école !
SupprimerOn te retrouve bien là et c'est précieux ☺
RépondreSupprimerMerci K. J'apprécie beaucoup ton commentaire. Plus je vieillis, plus j'aime évoquer mon enfance. Je me demande s'il n'y a pas là un signe...mauvais ! ;-)
Supprimerdes souvenirs riches et bien doux, superbement évoqués
RépondreSupprimerMerci emma. Je pense que comme moi, tu aimes les maisons "bien arrimées" qui ont tant de choses à raconter.
RépondreSupprimerAh ! ce que j'aime ces beaux souvenirs d'enfance que tu racontes à merveille ! Merci !
RépondreSupprimerSuperbement réussi, Marité, il n'y manque rien, et tes mots magnifient tout ça !
RépondreSupprimerj'aime bien ta chaise en paille ébouriffée - entre autres.
Et j'apprécie comme toi les petits textes en prose de Ph Delerm, qui parfois inspirent - plus modestement - les miens.
Les courtes histoires de Delerm sont pour moi un vrai bonheur JCP. Je m'y plonge souvent en ouvrant un de ses ouvrages - je les possède à peu près tous - au hasard et je déguste ces petites touches de vie avec délectation. Tu as raison : elles sont source d'inspiration.
SupprimerDes oignons aux patates, un florilège de senteurs et souvenirs parfumés.
RépondreSupprimerJoli !
à chacun de tes textes tu me fais penser au ravissement que j'avais, enfant vivant dans un appartement en ville, à lire des livres tels que ceux de Pagnol, Giono, Bosco, Frison Roche, ou de mes régals, plus jeune, avec les histoires de Heïdi et de Belle et Sébastien. Je rêvais alors àcses vies plus proches de la nature et avec des maisons d'enfance....
RépondreSupprimerje retrouve dans tes descriptions ces bonheurs là :)
Vivre près de la nature a toujours été très important pour moi Tisseuse. J'ai souffert des quelques années passées en région parisienne et je n'avais qu'une seule idée en tête : revenir vers mes racines corréziennes.
SupprimerMerci à tous. Je ne sais pas si je mérite vos compliments mais c'est toujours pour moi un extrême plaisir de me pencher sur mon enfance.
RépondreSupprimerEvocation odorante... à tes souhaits ! Chargée d'une belle histoire, que tu portes avec brio, Marité ♥
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