Comme un fantôme ...
« Derrière les murs de ce collège
Où frissonnait les feuilles mortes
Moi j’écoutais le doux solfège
Que joue la pluie contre la porte … »
Une éternité, une vie, combien de temps exactement … Il ne sait plus vraiment. Les années s’entassent comme s’entassent les feuilles emportées par le vent d’octobre. Leurs couleurs voluptueuses c’est le sang de l’automne, un jus épais d’or et de rouille. Bientôt aux pieds des arbres, il n’y a plus qu’un humus brun et visqueux. Des parfums subtils à la macération ; de la somptueuse harmonie à la putréfaction … Drôle de raccourci de la vie …
Il y a bien longtemps, il avait remarqué trois cheveux blancs dans le miroir de la salle de bain, un matin de printemps. Il avait aimé cette maturité masculine qui lui apportait une forme d’autorité, de puissance et de charme indéniable. Il avait pensé la reconquérir, mais n'avait jamais osé.
Aujourd’hui, sa chevelure est blanche et diffuse. Il déplie sa vieille carcasse. Il est monté une fois encore sur le petit coteau au dessus de la ville, voir un soleil couchant qu’il regarde à peine. Les langues rougeâtres et minces des rares nuages lèchent le haut des peupliers bordant la rivière. Des bandes compactes d’étourneaux dessinent des arabesques compliquées avant de s’abattre en criant sur les terres brunes, juste labourées …
En bas, il regarde disparaître derrière une brume légère, son enfance, son adolescence. … Des jeunes gens passent à côté de lui sans le voir, enlacés. Lui, il s’en fout. Il l’enlaçait également quand il venait ici même il y a une éternité, une vie …
Ils venaient juste d’avoir seize ans.
« Allez savoir ce qui se passe
Dans des cœurs de seize ans à peine,
Alors qu’à peine le temps qui passe
Dénoue son écheveau de laine.
Quand la main et la main se frôlent
Et quand les lèvres se rejoignent,
On tente de jouer son rôle,
Sachant déjà que qui perd gagne. »
Seize ans … l’âge où l’on réinvente le monde. Des yeux noisette et une taille incroyablement fine. Ils commençaient leur voyage. Il lui écrivait des poèmes. Ils riaient, pour n’importe quoi, elle, elle riait parfois de lui. Mais c’était sans importance …
« File l’hiver, puis le printemps,
Cette année là fut la plus douce :
On s’essayait à être amants,
On n’était rien que jeunes pousses.
Mais il fallut que tu découvres,
Que ton cœur était papillon
Qui attendait que les fleurs s’ouvrent,
Pour goûter à d’autres saisons. »
Il relit inlassablement ce poème qu’elle lui avait rendu dans l’éclat de rire de ses dents trop blanches. Puis elle s’était retournée d’une pirouette et avait couru vers l’autre sans remords, avec l’insolence cruelle de la jeunesse. C’était à cet endroit même, il y a une vie, une éternité …
Elle est encore de ce monde. Lui, il a quitté la vie il y a plus de dix ans, mais il y a bien plus longtemps qu’il est mort, à seize ans, sur ce petit coteau qui domine la ville.
Voilà, il a fini son parcours. Cette année encore, il a célébré l’anniversaire de ses amours défuntes. Il a refait le chemin, forme diaphane et tremblante, silhouette fragile, vapeur glacée poussée par l’air du soir. Il sait confusément qu’un jour il accomplira le rite avec l’ombre de celle qu’il a aimée pour la vie. Deux fantômes enlacés pour l’éternité avec pour seule flamme le souvenir de leur amour.
« Derrière les murs de ce collège
Où frissonnait les feuilles mortes
Moi j’écoutais le doux solfège
Que joue la pluie contre la porte … »
Une éternité, une vie, combien de temps exactement … Il ne sait plus vraiment. Les années s’entassent comme s’entassent les feuilles emportées par le vent d’octobre. Leurs couleurs voluptueuses c’est le sang de l’automne, un jus épais d’or et de rouille. Bientôt aux pieds des arbres, il n’y a plus qu’un humus brun et visqueux. Des parfums subtils à la macération ; de la somptueuse harmonie à la putréfaction … Drôle de raccourci de la vie …
Il y a bien longtemps, il avait remarqué trois cheveux blancs dans le miroir de la salle de bain, un matin de printemps. Il avait aimé cette maturité masculine qui lui apportait une forme d’autorité, de puissance et de charme indéniable. Il avait pensé la reconquérir, mais n'avait jamais osé.
Aujourd’hui, sa chevelure est blanche et diffuse. Il déplie sa vieille carcasse. Il est monté une fois encore sur le petit coteau au dessus de la ville, voir un soleil couchant qu’il regarde à peine. Les langues rougeâtres et minces des rares nuages lèchent le haut des peupliers bordant la rivière. Des bandes compactes d’étourneaux dessinent des arabesques compliquées avant de s’abattre en criant sur les terres brunes, juste labourées …
En bas, il regarde disparaître derrière une brume légère, son enfance, son adolescence. … Des jeunes gens passent à côté de lui sans le voir, enlacés. Lui, il s’en fout. Il l’enlaçait également quand il venait ici même il y a une éternité, une vie …
Ils venaient juste d’avoir seize ans.
« Allez savoir ce qui se passe
Dans des cœurs de seize ans à peine,
Alors qu’à peine le temps qui passe
Dénoue son écheveau de laine.
Quand la main et la main se frôlent
Et quand les lèvres se rejoignent,
On tente de jouer son rôle,
Sachant déjà que qui perd gagne. »
Seize ans … l’âge où l’on réinvente le monde. Des yeux noisette et une taille incroyablement fine. Ils commençaient leur voyage. Il lui écrivait des poèmes. Ils riaient, pour n’importe quoi, elle, elle riait parfois de lui. Mais c’était sans importance …
« File l’hiver, puis le printemps,
Cette année là fut la plus douce :
On s’essayait à être amants,
On n’était rien que jeunes pousses.
Mais il fallut que tu découvres,
Que ton cœur était papillon
Qui attendait que les fleurs s’ouvrent,
Pour goûter à d’autres saisons. »
Il relit inlassablement ce poème qu’elle lui avait rendu dans l’éclat de rire de ses dents trop blanches. Puis elle s’était retournée d’une pirouette et avait couru vers l’autre sans remords, avec l’insolence cruelle de la jeunesse. C’était à cet endroit même, il y a une vie, une éternité …
Elle est encore de ce monde. Lui, il a quitté la vie il y a plus de dix ans, mais il y a bien plus longtemps qu’il est mort, à seize ans, sur ce petit coteau qui domine la ville.
Voilà, il a fini son parcours. Cette année encore, il a célébré l’anniversaire de ses amours défuntes. Il a refait le chemin, forme diaphane et tremblante, silhouette fragile, vapeur glacée poussée par l’air du soir. Il sait confusément qu’un jour il accomplira le rite avec l’ombre de celle qu’il a aimée pour la vie. Deux fantômes enlacés pour l’éternité avec pour seule flamme le souvenir de leur amour.
C'est beau, un homme qui s'accroche au souvenir d'un amour perdu...
RépondreSupprimerC'est beau, mais c'est terriblement triste... :-(
Beau texte, l'arpenteur.
¸¸.•*¨*• ☆
Derrière la canitie et ses mélanocytes fatigués... le souvenir nostalgique d'un grand amour.
RépondreSupprimerUn texte qui se voit de phrase en phrase
RépondreSupprimerUn texte qui se boit mot à mot
un texte qui touche cœur à cœur
une vie d'homme à la fidélité romantique
L'émotion est au rendez-vous de ses cheveux blancs
Ce thème (il me semble qu'il revient parfois ou souvent sous ta plume, le thème de l'amour perdu)... Me fait toujours penser au roman Fermina Marquez, de Valéry Larbaud... Je pense que tu aimerais.
RépondreSupprimerJ'ai lu ton texte sur ton site, et je le retrouve ici.
RépondreSupprimerCe qu'il me rend triste! Pas une affreuse tristesse, mais plutôt une tristesse aussi diffuse que les cheveux blancs de cet homme.
J'ai le même doute, en te lisant chez toi et ici: cet homme dont tu nous parles est déjà mort depuis 10 ans, n'est-ce pas?
en effet, c'est un sorte de fantôme qui vient chaque année revivre l'anniversaire de ses amours mortes ... je sais que ce texte n'est pas très gai, mais j'ai essayé de lui apporter un peu de poésie :)
SupprimerMagnifiquement triste...
RépondreSupprimer"Les chants désespérés sont les chants les plus beaux", disait Musset je crois... voilà qui s'applique bien ici, à travers cette triste célébration d'un passé qui colle à la peau.
RépondreSupprimerMais c'est beau, très bon texte.
stouf (rêveur)
RépondreSupprimerEt oui,notre prison est un royaume...à seize piges.
Pour paraphraser Woody Allen, je dirais que ce texte me donne l'envie de prendre la vie à rebours : naître dans un râle, vivre chaque jour avec toujours plus de jeunesse au cœur et mourir dans un orgasme ! ;)))
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