Les tentacules du temps
Venues de la pointe extrême de mes fondements intimes, en ces régions distantes de mon être - mais non de ma conscience - régions à la fois douées de la meilleure part de ma sensibilité et soustraites à mon regard, diffuses sous le voile des fonds obscurs, me parviennent depuis quelque temps d'étranges sensations.
Un sentiment de crainte vient troubler le cours de ma vie, une vie que d'autres créatures disent longue, et dont je ne me soucie de tenir le compte, ignorant de la mesure d'un temps dont la substance même se dérobe à mon entendement.
Et c'est ainsi que, venue de ces appendices longs dont la forme, le nombre et la situation exactes m'échappe tant le maillage de leur multiplicité s'étire au fil du temps, l'idée d'une rupture possible dans le cours de mon existence, sereine jusqu'alors, s'empare insensiblement de moi. Une forme de panique lente qui impliquera, je le sens bien, certaines restrictions des présents que la vie m'a toujours offerts, et renouvelés ; en somme les effets de ce qui, dans le langage d'autres êtres vivants reliés tout comme moi à la Nature par des liens plus ou moins ténus, voire ignorés d'eux-mêmes, porte le nom de "vieillissement". Un terme qui, à l'image du temps et de ses enfantements de durée, n'éveille en moi rien de palpable.
Mais dans l'immédiat de ce présent qui semble me fuir - un présent mobile où de tout temps s'enracina le cours de mon existence - la sensation se fait plus forte et, par trois fois, le flux nourricier sans lequel je ne serais pas s'est ralenti. On croirait que le réseau infini de mes capteurs vitaux, qui serait pareil à ce que d'autres espèces nomment poumons si on devait en inverser le relief, bute contre l'insurmontable, ou n'a plus la force de s'immiscer aux profondeurs, désorienté, oublieux de ces points cardinaux, mes guides de toujours.
Ah oui. Car il faut que je vous dise, je suis un chêne, un très vieux chêne - un arbre, savez-vous. Et mes vieilles, mes pauvres racines qui ne sont plus ce qu'elles étaient, vont je le crains m'instruire de la notion de ce temps que vous chérissez tant - vous autres humains.
Venues de la pointe extrême de mes fondements intimes, en ces régions distantes de mon être - mais non de ma conscience - régions à la fois douées de la meilleure part de ma sensibilité et soustraites à mon regard, diffuses sous le voile des fonds obscurs, me parviennent depuis quelque temps d'étranges sensations.
Un sentiment de crainte vient troubler le cours de ma vie, une vie que d'autres créatures disent longue, et dont je ne me soucie de tenir le compte, ignorant de la mesure d'un temps dont la substance même se dérobe à mon entendement.
Et c'est ainsi que, venue de ces appendices longs dont la forme, le nombre et la situation exactes m'échappe tant le maillage de leur multiplicité s'étire au fil du temps, l'idée d'une rupture possible dans le cours de mon existence, sereine jusqu'alors, s'empare insensiblement de moi. Une forme de panique lente qui impliquera, je le sens bien, certaines restrictions des présents que la vie m'a toujours offerts, et renouvelés ; en somme les effets de ce qui, dans le langage d'autres êtres vivants reliés tout comme moi à la Nature par des liens plus ou moins ténus, voire ignorés d'eux-mêmes, porte le nom de "vieillissement". Un terme qui, à l'image du temps et de ses enfantements de durée, n'éveille en moi rien de palpable.
Mais dans l'immédiat de ce présent qui semble me fuir - un présent mobile où de tout temps s'enracina le cours de mon existence - la sensation se fait plus forte et, par trois fois, le flux nourricier sans lequel je ne serais pas s'est ralenti. On croirait que le réseau infini de mes capteurs vitaux, qui serait pareil à ce que d'autres espèces nomment poumons si on devait en inverser le relief, bute contre l'insurmontable, ou n'a plus la force de s'immiscer aux profondeurs, désorienté, oublieux de ces points cardinaux, mes guides de toujours.
Ah oui. Car il faut que je vous dise, je suis un chêne, un très vieux chêne - un arbre, savez-vous. Et mes vieilles, mes pauvres racines qui ne sont plus ce qu'elles étaient, vont je le crains m'instruire de la notion de ce temps que vous chérissez tant - vous autres humains.
Formidable chant du cygne...euh, du chêne...
RépondreSupprimer¸¸.•*¨*• ☆
Merci Célestine, en effet...
SupprimerCe chêne est aussi farceur que touchant :-)
RépondreSupprimerEt très à l'aise avec les mots des hommes.
Merci beaucoup.
Les arbres parlent, c'est assez peu connu.
SupprimerJ'ai d'abord pensé à un boulet, mais le boulet c'était moi :)
RépondreSupprimerBelle idée que ce chêne, JCP
Mon maître Raymond Devos aurait ajouté “Lorsqu'un chêne sent le sapin, il sait que sa dernière heure est arrivée.”
Ha ha, merci Vegas, justement je connais cette tirade de Devos, l'inoubliable !
Supprimerstouf (qu'a les chassent qui biglent de fatigue)
RépondreSupprimer"Venues de la pointe extrême de mes fondements intimes, en ces régions distantes de ma tête".
Bonsang mais... j'ai l'esprit tordu ou ça démarre dans le scato ? Bon ben j'arrête de lire le net,ça irat mieu demain !
Oh la bonne sousoupe que j'ai piquer au clebs...
Allez,au dodo aprés !
Bonjour, sûr qu'on pouvait penser autre chose - c'était un peu le but d'attiser la curiosité jusqu'à la fin.
SupprimerMerci pour ton commentaire.
J' ai adoré et jamais deviné avant de longues lignes qu'il s'agissait d'un pauvre vieil arbre .
RépondreSupprimerMerci beaucoup Didier d'être venu sur ce site, auquel je participe quand l'inspiration est là.
SupprimerHeureux d'avoir pu maintenir le suspens jusqu'à la fin - même si, du coup, c'est sans doute un peu obscur jusque là... le mot "racines" étant banni.
JC
oh la belle idée qui nous emmène dans ton texte jusqu'à la chute géniale ! :o)
RépondreSupprimertu es un chêne aux racines profondes et il y a "des chênes en paradis" (de Georges bien sur)
Merci Arpenteur, j'ai bien sûr quelque peu pensé au grand Georges.
SupprimerSuperbe idée! Le suspense est de plus très bien mené
RépondreSupprimerMerci beaucoup Tisseuse, je pensais pas parvenir à la fin sans lever le moindre coin du voile...
SupprimerRetournons l'arbre comme un sablier (qui mesure le temps chéri), les racines seront les branches
RépondreSupprimerCertains parlent ainsi du baobab, tant son feuillage est clairsemé. Les racines d'un arbre demeurent toujours un mystère pour nous, tant il ne nous est pas donné de les observer. Étudiant, j'avais cependant des jacinthes en vase de verre empli d'eau dans ma chambre, et observais la croissance de ces longs appendices blancs.
SupprimerAprès les trois cheveux blancs et ceux qui suivent qui tout compte fait ne nous empêchent pas de bien vivre notre quotidien, le sujet devient plus inquiétant perdre ses racines, la vie ...
RépondreSupprimerVivement le printemps et que le gland prenne vie dans une terre riche qui lui permettra d'affronter les tempêtes
Merci Gérard, pour ces mots que tu as pris le temps de choisir.
SupprimerDès que paraît l'hiver, vrai qu'on voudrait sauter au printemps...
J'ai eu du mal au début avec les considérations métaphysiques parce que si les chênes se mettent aussi à penser, où allons-nous?! Je vous le demande !... :)
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