La pie grièche
Quand les deux yeux fermés en un soir chaud d'automne que, par un sûr instinct, il pressentait devoir être le dernier, alors qu'il se tenait membres déployés, parfaitement immobile, sur la lame de granit schisteux que toute la journée le soleil avait chauffée, au fur et à mesure qu'il ralentit sa respiration, il sentit plus fortement la chaleur accumulée pénétrer sa poitrine et son ventre nus contre la pierre. Peut-être était-ce une certaine mémoire enfouie dans le système complexe des interactions physiques, chimiques, électriques dont il était constitué qui le poussait à imiter une fois encore, mais d'une manière s'il était possible plus parfaite que d'habitude, la minéralité des feuillets de roche parmi lesquelles il se dissimulait. Pourtant ce jour-là le vieux chasseur ne sortait pas sa langue sensible, mobile. La saison devait en être passée.
Il portait en lui des fragments de son histoire comme la pierre sur laquelle il reposait portait des fragments de mica. Un doigt cassé s'était reconsolidé de travers: témoin de la rencontre passée d'un rival poussé par la même pulsion à l'accouplement que lui. Sa queue arrachée avait repoussé, grotesquement double: exploit conservé précieusement dans le musée des souvenirs d'un ancien enfant demeuré cruel, mais qui avait cessé depuis longtemps d'être charmant.
Une pie grièche s'abat sur le lézard. D'un coup de bec elle lui casse le dos et clôt l'histoire.
Ainsi il n'y a plus de lézard :)
RépondreSupprimerTon texte très réaliste m'a mis dans la peau du pauvre saurien. Bravo !
Bravo pour cette fable naturaliste, précise comme une illustration de Buffon
RépondreSupprimerMerci. J'aime l'idée d'illustration avec cela implique de sécheresse.
SupprimerC'est une expérience étrange, de lire votre texte.
RépondreSupprimerJ'ai passé mon temps à ressentir parce que vos images sont très détaillées, avec des phrases qui laissent lieu à l'interprétation.
Et pour le coup, j'ai pris la fin de plein fouet.
Bref! J'ai beaucoup aimé.
Merci pour votre lecture attentive et bienveillante. Je suis heureux de vous avoir découvert
SupprimerBravissimo
RépondreSupprimerMercissimo
Supprimerla vérité des êtres, animaux aux vies parfois courtes mais pleines ... ce texte m'a énormément plu, la vie est ainsi (et le texte est fort bien écrit !)
RépondreSupprimerLa vie est ainsi mais également autrement. C'est ce que j'aime découvrir en lisant tous nos textes
SupprimerDu grand La Fontaine en plus moderne, cruel et naturel, précieux et futile; on sent toute l'expertise du contemplateur avisé et sa conclusion sans morale que l'illusoire de la Vie. Bref: excellent.
RépondreSupprimerune triste fin qui passe habituellement inaperçue et que tu nous as fais vivre intensément
RépondreSupprimerMerci Tisseuse. Mais ce mettre dans la peau d'un lézard ce n'est pas triste !
SupprimerMême s'il est triste, ton texte est magnifique!
RépondreSupprimerHum... comme je découvre cette écriture avec un mélange de bonheur et de stupéfaction ! Agréable de se faire surprendre comme ça. Un texte qui nous laisse circonspect ! J'adore !
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