Nous dessinions des maisons.
Souvent, les jeudis pluvieux. Avec Odette la petite voisine. Brune, jolie, espiègle. Nous devions avoir tout juste quatorze ans à nous deux. De belles maisons avec des toits de tuiles rouges, de l’herbe bien verte autour, et le chemin incurvé respectant la perspective que mon père m'avait apprise. Nous les peignions aussi. A la gouache. Sur la table de la salle à manger, recouverte par prudence d’une toile cirée fleurie. Parfois, on découpait de petits carrés peints en vert, qu’on collait sur le côté des fenêtres, afin de faire comme des volets qui pouvaient s’ouvrir et se fermer. Il fallait bien plier le bord du carré pour que celui-ci ne se déchire pas, et le coller juste avant la pliure. Mais le résultat était bien, vraiment bien. Entre nous on disait « vachement bien » en pouffant et en rosissant un peu.
Odette peignait des fleurs, plein de fleurs. Moi, je mettais la cheminée sur le toit, avec la fumée qui en sortait. Je rajoutais toujours des oiseaux, plein d’oiseaux. Ou des avions qui laissaient derrière eux des lignes blanches et cotonneuses. En tout cas, c’est ainsi que je les voyais.
Un jour j'ai dessiné un bonhomme un peu bizarre. Avec un grand chapeau et un bâton à la main, qui tournait le dos à la maison, comme pour en partir. On sentait bien que c’était définitif ce départ. Que le bonhomme étrange n’allait jamais se retourner.
A Odette qui me demanda "c’est qui ?" je répondis d’instinct : "le berger".
Mes parents ont vu le berger et mon père intrigué m'a expliqué que dans le temps, il y a longtemps, mon ancêtre, mon arrière grand-père, était parti, très jeune, de sa maison. Tout comme le bonhomme de mon dessin. Mais pas une maison aussi jolie que la nôtre. Non, non. Une vieille ferme cachée dans un ourlet de la montagne. Loin, dans les Hautes Alpes.
Je savais déjà ce qu’était les Alpes. Mais les « hautes » Alpes, ça devait être quelque chose d’encore plus immense. Plus grand que le Mont Blanc que j'avais déjà vu depuis le balcon du chalet de madame Taboury, amie de ma grand-mère, à Chamonix. Et depuis Chamonix, le Mont Blanc, il est vachement grand.
- Et comment qu’il s’appelait l’arrière-grand-père, alors ?
- Vincent.
Je mis tout ça au fond de ma mémoire et n’y pensai plus. Un jour nous nous rendîmes là-bas, dans les Hautes Alpes. J'avais bien grandi. Je ne dessinais plus de maisons avec des volets verts. Odette était partie dans une autre région. On a retrouvé la vallée étroite, le village, puis le hameau de l’ancêtre. On a vu le registre de la paroisse, puis le cimetière où sont enterrés les parents du berger. Je compris d’où venait Vincent et d’où moi-même je venais. Un pays très rude, austère mais d’une beauté sauvage et où la lumière est d’une pureté inouïe.
Longtemps, très longtemps après, j'étais un homme mûr à la mémoire remplie à ras bord. Un dimanche matin mon père m’appela pour me dire "ma femme est morte", puis aussitôt après, "ta Maman est morte". J'ai pensé derrière le rideau des larmes que les pages de la vie se tournaient ainsi, brutalement, même si les vrais enterrements avaient commencé depuis celui de ma grand-mère, plus de vingt-cinq auparavant. Onze années plus tard, l’hôpital m'annonçait que mon père à son tour venait de partir.
En rangeant les affaires, en triant les meubles et les souvenirs du vieux grenier de la maison de mon enfance, je retrouvai quelques pages à l’encre passée. Un très long poème en alexandrins, écrit par le petit berger alors devenu instituteur dans la vallée industrielle où il était arrivé à pied, depuis ses montagnes. Le récit du voyage d'un jeune homme audacieux porté par sa foi en l'avenir et par la providence. Juste en dessous des feuillets jaunis, se cachait un dessin d’une maison aux volets verts d’où un bonhomme bizarre paraissait s'en aller.
Une dernièe anecdote :
Vincent avait été remarqué par le prêtre de la paroisse où il vivait. Ses parents ont accepté qu’il aille à l’école. Il a appris le latin et tout le reste, puis vers vingt ans, il est parti à pied, avec son balluchon, depuis le Valgaudemar jusque dans la vallée de l’Ondaine, vallée industrielle et ouvrière. Nous sommes au XIXième siècle. Cette région (stéphanoise) était la première région industrielle de France (ruban, acier et charbon).
Vincent devint instituteur et précepteur dans une famille bourgeoise possédant plusieurs usines. Les enfants avaient aussi un professeur de musique. Alors il demanda de ne pas être payé comme précepteur, mais que ses enfants à lui puissent suivre les cours de musique. La musique est entrée dans la famille et est toujours présente. Mon grand-père, mon père et ses frères et sœurs jouaient tous de plusieurs instruments. Mes cousins et cousines et leurs enfants également. La musique est l’âme de notre famille.
En rangeant les affaires, en triant les meubles et les souvenirs du vieux grenier de la maison de mon enfance, je retrouvai quelques pages à l’encre passée. Un très long poème en alexandrins, écrit par le petit berger alors devenu instituteur dans la vallée industrielle où il était arrivé à pied, depuis ses montagnes. Le récit du voyage d'un jeune homme audacieux porté par sa foi en l'avenir et par la providence. Juste en dessous des feuillets jaunis, se cachait un dessin d’une maison aux volets verts d’où un bonhomme bizarre paraissait s'en aller.
Une dernièe anecdote :
Vincent avait été remarqué par le prêtre de la paroisse où il vivait. Ses parents ont accepté qu’il aille à l’école. Il a appris le latin et tout le reste, puis vers vingt ans, il est parti à pied, avec son balluchon, depuis le Valgaudemar jusque dans la vallée de l’Ondaine, vallée industrielle et ouvrière. Nous sommes au XIXième siècle. Cette région (stéphanoise) était la première région industrielle de France (ruban, acier et charbon).
Vincent devint instituteur et précepteur dans une famille bourgeoise possédant plusieurs usines. Les enfants avaient aussi un professeur de musique. Alors il demanda de ne pas être payé comme précepteur, mais que ses enfants à lui puissent suivre les cours de musique. La musique est entrée dans la famille et est toujours présente. Mon grand-père, mon père et ses frères et sœurs jouaient tous de plusieurs instruments. Mes cousins et cousines et leurs enfants également. La musique est l’âme de notre famille.
Les mains d'or de Bernard Lavilliers
La chapelle en Valgaudemar |
Les aciéries de Jacob Holtzer |
Le château de Dorian et Fraisses, berceau de ma famille |
Je suis profondément émue.
RépondreSupprimerIl y a tellement de beauté, de pudeur et de sincérité dans ton texte.
Je m'attendais à un récit fictif et j'ai été fauchée par la profondeur de ta véritable histoire.
Chaque mot est juste. A sa place.
Merci.
Très émouvant en effet. Et la chanson de Lavilliers (une de mes préférées)
RépondreSupprimerajoute encore à l'émotion.
Merci cher Arpenteur pour t'être épanché de la sorte. C'est tout simplement beau.
¸¸.•*¨*• ☆
Quelles belles racines !
RépondreSupprimerJ'ai du mal à réaliser ce que sont les racines, mais là... j'en ai les yeux humides...
merci
Je suis bien placée pour confirmer que c'est une histoire vraie (même la voisine...) puisque nous descendons du même arrière arrière grand-père paternel. Son histoire en rime est lisible sur mon ancien blog "L'arbre à liens". Je ne suis pas chez moi mais je vais essayer de retrouver le billet en question.
RépondreSupprimerQuelle famille mes aïeux :)
Merci ma chère cousine :)
Supprimerj'ai retrouvé dans ton blog le poème de notre arrière-arrière-grand-père (!) ... J'en publie les trois première strophes :
Je suis le vieil enfant de ces Alpes altières
Où l'agile chamois bondit
Où plane le vautour aux allures si fières
Où la marmotte s'engourdit
Où le mouton paît l'herbe fine
L'agneau broute le serpolet
L'abeille activement butine
Parmi le thym et le muguet
Je suis aussi l'enfant de ces plaines divines
Qui s'étendent en tapis verts
Au fond du grand vallon qu'entourent ces collines
Et ces monts de frimas couverts
D'où descendent en nappes blanches
Vingt torrents aux bruyantes eaux
Et les neiges en avalanches
Terreur sublime des hameaux
Je suis aussi l'enfant du village
Au nom bénit de Chaussendens
Qui me donna le jour qui vit de mon jeune âge
Couler joyeux les doux printemps
Cueillir verte encore la groseille
Parmi l'épineux groseillier
Dans les bois la fraise vermeille
L'airelle parmi l'airellier
Ça y est je l'ai retrouvé : http://arbreliens.blogspot.fr/2011/02/histoire-rimee-de-mon-arriere-arriere.html?m=1
SupprimerIl fallait ta "patte", l'Arpenteur pour évoquer tes ancêtres de belle manière! Tu connais la musique :)
RépondreSupprimerstouf (arrière arrière arrière claque-dent de Canut)
SupprimerEt le Gaga d'Arpitan,ça te cause ? Tu veux bien arrêter ta chanforgne, ça me fout la lourde. 8O)
stouf...l'erreur.
SupprimerAh zut,j'voulais pas répondre à Vegas mais commenter l'Arpitan. Désolé !
Que dire d'autre ? Je t'aime, l'Arpi.
RépondreSupprimerRevenir à toi sur ce texte me hérisse les poils ;)
Les enfants dessinent comme des voyants ... ce berger de la mémoire
RépondreSupprimerQuant à toi tu écris bien
Superbement émouvant et criant de sensibilité, quel beau texte !
RépondreSupprimeroui, un bien beau texte.
RépondreSupprimerNos racines portent l'arbre que nous sommes. Et c'est à l'automne, l'Arpenteur, que tu laisses tomber ici tes plus belles feuilles.
RépondreSupprimerQue dire de plus ? Le plaisir de te lire est sans fin...
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