Malédiction au château
Cher Monsieur Louis Chi-Sing,
Je
ne sais par où commencer ni si je peux vous appeler Louis. Dans la
région on dirait plutôt “le Louis” mais vous n'êtes pas encore
tout à fait de chez nous et beaucoup vous appellent “le chinois”.
Moi,
c'est le Claude et si je me permets de vous écrire alors que vous
devez être bien embistrouillé
à gérer tous vos casinos à Macao, c'est parce que je suis né à
l'ombre de ce château qui est aujourd'hui le vôtre.
On
vous dit amoureux de la Bourgogne et je le crois facilement.
Il faut être beusenot
pour ne pas en tomber amoureux et si on n'a pas la mer de Chine, nous
on a un bareuzai
qui pisse dru chaque année comme personne au monde!
Mais je ratasse au lieu d'en venir à l'essentiel c'est à dire à la Malédiction.
Vous pensez bien que depuis saint Odilon et quelques abbés de Cluny après lui, il s'en est passé des drôles au château, aussi il faut que vous sachiez toutes ces choses puisque à ct' heure vous en héritez avec les pierres.
J'ai appris la Malédiction au mois d'août 1957 puisque j'allais avoir dix ans dans trois mois et que l'Isabelle abandonnait le cancre que j'étais pour rentrer en CM2 à l'école du centre.
De toutes les ptiotes du village la seule qui m'ait donné le virot c'était l'Isabelle et je crois que c'était un petit peu pareil pour elle. Elle habitait rue Gaizot et moi rue de la Croix des Champs si vous voyez - mais je vois bien que vous ne voyez pas - alors disons qu'on habitait à vingt coups de pédale.
On trainaillait souvent autour du château pour l'angelus du soir en évitant Calamity Jane qu'on appelait la “doyenne” avec son oeil noir et sa fourgonnette pourrie, c'est comme ça qu'on a déniché la planque idéale sous le porche de la porterie où on posait nos biclous avant de refaire le monde.
Vous nous auriez vus là, l'Isabelle et moi, assis à croupetons dans l'ombre du pont dormant et des murs surchauffés à regarder le soleil se coucher tout en nous jetant des pignolôts dans le cou... bref, c'est en gravant nos initiales sur une grosse pierre du porche - celle qui dépasse un peu du mur et que vous trouverez facilement, Monsieur Louis - que la Malédiction s'est manifestée.
Je ne pensais pas à mal, juste envie de mélanger mon C à son I pour l'éternité dans le grès couleur de miel qui brille au couchant et qui d'après moi a donné son nom à la Côte d'Or, mais notre grosse pierre s'est soudain enfoncée dans le mur et le parchemin nous est apparu.
On l'a lu ensemble, surtout l'Isabelle car je grebillais trop mais elle s'est mise à trembler elle aussi. Je ne l'avais jamais vue trembler comme ça, même pas quand le Martenot nous pinçait à relever ses pièges à la Combe Lavaux.
Bref, ça causait d'un dénommé Hugues de Chalon, de Robert le Pieux et surtout de tous les malheurs qui s'abattraient sur les curieux qui oseraient chavirer cette pierre comme nous autres.
Vin diou! On n'a pas voulu ça et on n'a même pas pu lire jusqu'au bout car la nuit est tombée d'un coup, une nuit d'encre - comme aux fortes rabasses - avec un foutu coup de vent à décorner les cagouilles et tout a cessé dès qu'on a eu remis le parchemin en place.
Alors on a jarté et on n'en a plus jamais reparlé mais ça n'a pas empêché que l'Isabelle disparaisse sans raison quelques jours plus tard.
Si j'écris tout ça, c'est moins pour vous faire regretter votre investissement que pour vous avertir du danger si vous devez toucher au porche pour vos projets de rénovation.
Si vous allez au bout de ma lettre et que l'envie vous prend de pousser notre grosse pierre, ne rabeutez pas à chercher le parchemin puisque c'est moi qui l'ai repris après la disparition.
Je me dis qu'avec tout votre argent vous pourriez m'aider à vaincre la Malédiction et à retrouver l'Isabelle. Si comme moi vous avez déjà eu le virot pour une ptiote - d'après mes renseignements, il n'y a pas d'endroit au monde plus peuplé de ptiotes que Macao - vous comprendrez pourquoi je vous écris alors que vous devez être bien embistrouillé à gérer tous vos casinos, mais ça je l'ai déjà dit.
Mais je ratasse au lieu d'en venir à l'essentiel c'est à dire à la Malédiction.
Vous pensez bien que depuis saint Odilon et quelques abbés de Cluny après lui, il s'en est passé des drôles au château, aussi il faut que vous sachiez toutes ces choses puisque à ct' heure vous en héritez avec les pierres.
J'ai appris la Malédiction au mois d'août 1957 puisque j'allais avoir dix ans dans trois mois et que l'Isabelle abandonnait le cancre que j'étais pour rentrer en CM2 à l'école du centre.
De toutes les ptiotes du village la seule qui m'ait donné le virot c'était l'Isabelle et je crois que c'était un petit peu pareil pour elle. Elle habitait rue Gaizot et moi rue de la Croix des Champs si vous voyez - mais je vois bien que vous ne voyez pas - alors disons qu'on habitait à vingt coups de pédale.
On trainaillait souvent autour du château pour l'angelus du soir en évitant Calamity Jane qu'on appelait la “doyenne” avec son oeil noir et sa fourgonnette pourrie, c'est comme ça qu'on a déniché la planque idéale sous le porche de la porterie où on posait nos biclous avant de refaire le monde.
Vous nous auriez vus là, l'Isabelle et moi, assis à croupetons dans l'ombre du pont dormant et des murs surchauffés à regarder le soleil se coucher tout en nous jetant des pignolôts dans le cou... bref, c'est en gravant nos initiales sur une grosse pierre du porche - celle qui dépasse un peu du mur et que vous trouverez facilement, Monsieur Louis - que la Malédiction s'est manifestée.
Je ne pensais pas à mal, juste envie de mélanger mon C à son I pour l'éternité dans le grès couleur de miel qui brille au couchant et qui d'après moi a donné son nom à la Côte d'Or, mais notre grosse pierre s'est soudain enfoncée dans le mur et le parchemin nous est apparu.
On l'a lu ensemble, surtout l'Isabelle car je grebillais trop mais elle s'est mise à trembler elle aussi. Je ne l'avais jamais vue trembler comme ça, même pas quand le Martenot nous pinçait à relever ses pièges à la Combe Lavaux.
Bref, ça causait d'un dénommé Hugues de Chalon, de Robert le Pieux et surtout de tous les malheurs qui s'abattraient sur les curieux qui oseraient chavirer cette pierre comme nous autres.
Vin diou! On n'a pas voulu ça et on n'a même pas pu lire jusqu'au bout car la nuit est tombée d'un coup, une nuit d'encre - comme aux fortes rabasses - avec un foutu coup de vent à décorner les cagouilles et tout a cessé dès qu'on a eu remis le parchemin en place.
Alors on a jarté et on n'en a plus jamais reparlé mais ça n'a pas empêché que l'Isabelle disparaisse sans raison quelques jours plus tard.
Si j'écris tout ça, c'est moins pour vous faire regretter votre investissement que pour vous avertir du danger si vous devez toucher au porche pour vos projets de rénovation.
Si vous allez au bout de ma lettre et que l'envie vous prend de pousser notre grosse pierre, ne rabeutez pas à chercher le parchemin puisque c'est moi qui l'ai repris après la disparition.
Je me dis qu'avec tout votre argent vous pourriez m'aider à vaincre la Malédiction et à retrouver l'Isabelle. Si comme moi vous avez déjà eu le virot pour une ptiote - d'après mes renseignements, il n'y a pas d'endroit au monde plus peuplé de ptiotes que Macao - vous comprendrez pourquoi je vous écris alors que vous devez être bien embistrouillé à gérer tous vos casinos, mais ça je l'ai déjà dit.
Quand
vous reviendrez à Gevrey, demandez le Claude à la maison de
retraite de Vigne Blanche, y en a qu'un ici.
embistrouillé
: ennuyé
beusenot : idiot
bareuzai :Statue de Rude place du bareuzai
ratasser : radoter
virot : vertige
grebiller : trembler
rabasse : averse
cagouille : escargot
jarter : s'enfuir
rabeuter : fouiner
beusenot : idiot
bareuzai :Statue de Rude place du bareuzai
ratasser : radoter
virot : vertige
grebiller : trembler
rabasse : averse
cagouille : escargot
jarter : s'enfuir
rabeuter : fouiner
(En
2012 Monsieur Chi-Sing rachète le château de Gevrey-Chambertin et
ses vignes).
Où lire le Claude
Où lire le Claude
stouf (faux apache)
RépondreSupprimerMagueule et les aminches,qui crèchaientt à paname dans les années soixantes,c'était pas de la rue Guaizot et des ploucs en dehors des anciennes fortifs qu'on jactais,plutôt de guizot et de guonzesses michtones (on y connaissais que nibe à nos âges mais ça f'sait vrais mecs).
Et pis est apparue la grande et vl'a nos godeluraux qui entrepreinent de lui parler d'la vie comme des bestiaux (des apaches quoi !8o)).
Le Louis il lui fait une bonne glissade de couteau jusqu'au bidon et v'la t'il pas qu'elle lui souhaite gentiment, en force, de lui guillotiner sec le guizot. Elle lui ferme l'accès d'la loge quoi !
Ah ben merde... ça nous a couper la chique c't'affaire... on s'sentait moins que rien !
Louis a lacher le chlasse qu'a rouler sur l'pavé et on s'est tous mater avant de s'mettre à déquerpire comme des vauriens.
On l'a esgourder la grande en courant à l'envers,a s'marait comme une dératée et... on a ben entraver que c'est au finish qu'on s'explique !
La honte... :o))
Et en plus, c'est une histoire vraie, à ce qui paraît...
RépondreSupprimerAlors comme ça tu es bourguignon...
Moi qui te croyais du Mans ^^
¸¸.•*¨*• ☆
La vente du château est vraie mais pour le reste, ce sont des élucubrations d'un bourguignon et manceau d'adoption :)
SupprimerNon seulement j'ai passé un très bon moment à te lire, mais en plus, je vais dormir moins bête :-).
RépondreSupprimerHabituellement, c'est L'Arpenteur qui conte (mon point de vue de p'tite nouvelle).... Ce soir, ça a été un plaisir de découvrir ton histoire.
Merci Minsky. Ce récit m'a valu un 1er prix dans Bourgogne Magazine en 2013 et je n'en suis pas peu fier (d'être bourguignon) :)
RépondreSupprimerTu as toutes les raisons d'être fier! ;-)
RépondreSupprimerDe ta région.... De ton talent...
Merci encore pour ce beau texte.
C'est excellent, j'aime !
RépondreSupprimerÉtant d'Occitanie et connaissant sa langue originelle, j'aime ces mots régionaux, même s'il m'a fallu ton lexique bienvenu.
Merci !
SupprimerLe lexique ça aide même les gars du cru :)
je connais plutôt bien la langue bourguignonne (des amis qui habitaient Paray le Monial, puis après Is sur Tille).
RépondreSupprimerJ'aime ce texte et le fait que le chinois achète le château de Gevrey ne me satisfait pas trop ... mais c'est comme ça dans toute les régions viticoles de France et d'ailleurs
et en plus normal que tu es le premier prix dans Bourgogne magazine :o)
Merci l'Arpi! Il semble que ce chinois soit respectueux du vignoble et c'est toujours ça de "gagné"
SupprimerJe te décerne quant à moi le prix de l'impromptu persévérant et talentueux qui me charme par des écrits chaque semaine depuis tant d'années :)
RépondreSupprimerMerci Tisseuse. L'émulation du site des Impromptus y est pour beaucoup !
Supprimerça va faire du bruit dans les fermes-auberges les soirs d'étape de randonnée cette histoire
RépondreSupprimeron ne va pas s'embistrouiller (je viens de commencer à apprendre le bourguignon sur internet)
Quelle belle lettre, et quelle belle histoire !
RépondreSupprimerMon très cher vieux croûton, ayé ! Je sais ce qui m'a manqué ces derniers mois : ta joviale absurdité foncière.
RépondreSupprimerEn pluche, impossible de revenir à ton niveau de participation, mais c'est ça qu'est bien ici : on n'est pas en compétition ;)
(J'dis ça parce qu'il y a pas mal de nouveaux, t'as vu ? Z'ont l'air bien dans le ton. Mon billet qu'on va se retrouver sur une nième plateforme en 2017) hin hin.
J'ai une bonne semaine (enfin) devant moi, pour revenir vers toi et nous autres, alors à bientôt, papichou que j'kiffe te dis mm pô com (ah, si j'l'ai dit). #wink
Ah vi, tiens, le hashtag, tu pratiques, Mr. Plum Sgt Major ? Hin hin :p
A la revoyure, le Niak!
SupprimerNon, je ne pratique pas le hashtag... c'est comme ça les vieux croutons :)