Marceline.
Cette nuit-là, mars avait refermé l’horizon jusqu’aux confins des monts d’Auvergne. Un vent glacé hurlait sur le toit des maisons et courbait la tête aux grands chênes.
Paysanne rabougrie aux mains toutes tavelées et au regard de charbon noir, Marceline veillait, courbée sur un feu vacillant. Cela faisait plus de dix ans que son Joseph avait été écrasé sous le poids d’un tombereau de terre que le grand cheval roux n’avait pu retenir. Mais pour la première fois, elle avait peur.
Les signes ne trompaient pas. Le rat mort trouvé la semaine dernière devant le seuil de la chaumière. Ces empreintes à six doigts, laissées dans la boue autour du puits dans la cour. La lueur orangée qui l’avait suivie depuis le haut des mélèzes alors qu’elle appelait les poules au grain de sa voix perçante. Elle sentait une présence, elle percevait un souffle glacé mêlé au vent en longs sifflements sombres.
Alors elle était allée voir le vieux Baptiste. Celui à qui plus personne ne parlait. Un vieux fou toujours à courir la campagne pour trouver des plantes, des herbes, des pierres. Toujours à fouiner dans les ruines du château en haut sur la colline, là où personne n’osait s’aventurer. Elle avait simplement dit « Baptiste, la bête va venir ». Dans sa cuisine crasseuse Baptiste l’avait regardée avec ses yeux délavés. Puis, il avait ouvert en marmonnant un ou deux livres, avait coupé quelques branches, confectionné une sorte de sac de tissu dans lequel il avait fourré un petit flacon de verre et, contre une poule et un canard, lui avait donné la marche à suivre : « fais exactement ce que je t’ai dit, et tu sauveras ta fille »
Marceline veillait, rajoutant sans cesse des bûches dans l’âtre. Elle regardait les flammes rouges qui dansaient, et créaient des ombres étranges sur les murs de pierre.
Dans le lit à côté de la cheminée dormait un ange à la peau transparente, blonde comme une moisson de soleil. Elle savait qu’il allait venir la chercher. Elle le devinait dans sa chair de femme de la terre, de cette terre noire, rude et sauvage sous laquelle couvait le feu de l’enfer. Elle l’attendait, elle était prête.
Le vent se tut soudain. Marceline risqua un œil au carreau derrière le lit et ce qu’elle vit lui glaça les sangs. Une calèche noire tirée par deux chevaux noirs sans regard s’était arrêtée devant la chaumière. Une forme inhumaine en descendit en silence. Elle se retourna en sentant un froid terrible sur sa nuque : la forme était là, juste sur le seuil, sans que la porte ne se fut ouverte. Pas de visage ; juste une respiration et une voix venue du fond des âges « elle est à moi » et comme un rire …
Marceline murmura « la bête », puis elle jeta dans l’âtre les plantes de Baptiste. Il y eut comme un hurlement. La forme devint immense, remplit toute la pièce et enveloppa le lit d’une épaisse obscurité. La voix gronda « qui es-tu toi qui oses me combattre ? ». Alors, Marceline sortit de sous sa blouse le petit sachet et dit d’une voix forte : « regarde, ce sac de tissu, il contient un peu de ton sang » et elle le jeta à son tour dans le feu. Les flammes s’étouffèrent d’un seul coup laissant Marceline atterrée. La voix fit entendre un horrible grincement « pauvre folle, que croyais-tu donc ; ta fille est à moi, à moi… »
Du feu, une lumière étincelante avait jailli, remplissait à présent la pièce. Un éclair claqua, sec. Une langue incandescente se dressa et frappa l’ombre noire. Un cri, un bruit de chute, puis plus rien. Plus rien que le silence.
Cette nuit-là, mars avait refermé l’horizon jusqu’aux confins des monts d’Auvergne. Un vent glacé hurlait sur le toit des maisons et courbait la tête aux grands chênes.
Paysanne rabougrie aux mains toutes tavelées et au regard de charbon noir, Marceline veillait, courbée sur un feu vacillant. Cela faisait plus de dix ans que son Joseph avait été écrasé sous le poids d’un tombereau de terre que le grand cheval roux n’avait pu retenir. Mais pour la première fois, elle avait peur.
Les signes ne trompaient pas. Le rat mort trouvé la semaine dernière devant le seuil de la chaumière. Ces empreintes à six doigts, laissées dans la boue autour du puits dans la cour. La lueur orangée qui l’avait suivie depuis le haut des mélèzes alors qu’elle appelait les poules au grain de sa voix perçante. Elle sentait une présence, elle percevait un souffle glacé mêlé au vent en longs sifflements sombres.
Alors elle était allée voir le vieux Baptiste. Celui à qui plus personne ne parlait. Un vieux fou toujours à courir la campagne pour trouver des plantes, des herbes, des pierres. Toujours à fouiner dans les ruines du château en haut sur la colline, là où personne n’osait s’aventurer. Elle avait simplement dit « Baptiste, la bête va venir ». Dans sa cuisine crasseuse Baptiste l’avait regardée avec ses yeux délavés. Puis, il avait ouvert en marmonnant un ou deux livres, avait coupé quelques branches, confectionné une sorte de sac de tissu dans lequel il avait fourré un petit flacon de verre et, contre une poule et un canard, lui avait donné la marche à suivre : « fais exactement ce que je t’ai dit, et tu sauveras ta fille »
Marceline veillait, rajoutant sans cesse des bûches dans l’âtre. Elle regardait les flammes rouges qui dansaient, et créaient des ombres étranges sur les murs de pierre.
Dans le lit à côté de la cheminée dormait un ange à la peau transparente, blonde comme une moisson de soleil. Elle savait qu’il allait venir la chercher. Elle le devinait dans sa chair de femme de la terre, de cette terre noire, rude et sauvage sous laquelle couvait le feu de l’enfer. Elle l’attendait, elle était prête.
Le vent se tut soudain. Marceline risqua un œil au carreau derrière le lit et ce qu’elle vit lui glaça les sangs. Une calèche noire tirée par deux chevaux noirs sans regard s’était arrêtée devant la chaumière. Une forme inhumaine en descendit en silence. Elle se retourna en sentant un froid terrible sur sa nuque : la forme était là, juste sur le seuil, sans que la porte ne se fut ouverte. Pas de visage ; juste une respiration et une voix venue du fond des âges « elle est à moi » et comme un rire …
Marceline murmura « la bête », puis elle jeta dans l’âtre les plantes de Baptiste. Il y eut comme un hurlement. La forme devint immense, remplit toute la pièce et enveloppa le lit d’une épaisse obscurité. La voix gronda « qui es-tu toi qui oses me combattre ? ». Alors, Marceline sortit de sous sa blouse le petit sachet et dit d’une voix forte : « regarde, ce sac de tissu, il contient un peu de ton sang » et elle le jeta à son tour dans le feu. Les flammes s’étouffèrent d’un seul coup laissant Marceline atterrée. La voix fit entendre un horrible grincement « pauvre folle, que croyais-tu donc ; ta fille est à moi, à moi… »
Du feu, une lumière étincelante avait jailli, remplissait à présent la pièce. Un éclair claqua, sec. Une langue incandescente se dressa et frappa l’ombre noire. Un cri, un bruit de chute, puis plus rien. Plus rien que le silence.
Le matin clair la surprit couchée à même la terre battue de la maison. Quelques morceaux de verre brillaient encore dans la cheminée. Elle se releva péniblement et dirigea son regard vers le lit. Aurore dormait encore paisiblement. Elle se signa et sortit. Deux superbes Frisons attelés à une calèche d’ébène broutaient tranquillement l’herbe rase.
Quelques jours plus tard elle se rendit à la ville pour vendre les deux chevaux et la voiture. On ne lui posa aucune question. Le prix qu’elle en retira lui permettait de vivre le restant de ses jours et d’assurer l’avenir de sa fille. Elle retourna voir Baptiste pour payer son dû. A sa question, il répondit qu’il avait recueilli le sang sur la pierre d’une tombe cachée dans la chapelle détruite du vieux château. Il dit aussi qu’il avait rempli sa mission. Marceline le regarda vraiment pour la première fois. Sous la barbe grise, il avait les traits d’une jeune homme vigoureux et des yeux clairs ; les mêmes yeux que son Joseph.
Quelques jours plus tard elle se rendit à la ville pour vendre les deux chevaux et la voiture. On ne lui posa aucune question. Le prix qu’elle en retira lui permettait de vivre le restant de ses jours et d’assurer l’avenir de sa fille. Elle retourna voir Baptiste pour payer son dû. A sa question, il répondit qu’il avait recueilli le sang sur la pierre d’une tombe cachée dans la chapelle détruite du vieux château. Il dit aussi qu’il avait rempli sa mission. Marceline le regarda vraiment pour la première fois. Sous la barbe grise, il avait les traits d’une jeune homme vigoureux et des yeux clairs ; les mêmes yeux que son Joseph.
Belle histoire M'Sieur le conteur, en Bretagne cet attelage s'appelle la charrette de l'Ankou, fais pas bon entendre le grincement des roues le soir sur la lande. ];-D
RépondreSupprimeril me semble que la charrette de l'Ankou (la mort avec la faux) n'a qu'un cheval ... là, l'ombre a deux chevaux ... enfin c'était plutôt mon idée :o)
SupprimerArpenteur : Avec deux bourrins, c'est un enterrement de première classe ];-D
Supprimerah c'est certain, très très chic !!
SupprimerEt là elle croisa son dentiste qui lui lança : « J'ai vos dents ! j'ai vos dents ! » et elle s'évanouit.... ;-)
RépondreSupprimer¸¸.•*¨*• ☆
#mouhaha !! XD
Supprimerle Gévaudan est un peu au sud de l'Auvergne, plutôt en Lozère où vivent les loups ... sinon son dentiste n'avait pas tort :o))
RépondreSupprimerJ'aime ces histoires qu'on raconte le soir au coin du feu et qui terrorisent et captivent à la fois... et que tu narres si bien
RépondreSupprimermerci Vegas ... des fois j'aime bien faire peur :o)
SupprimerMerci de ce plaisir qui fait peur!
RépondreSupprimerc'était juste fait pour cela :o))
Supprimermais, peur juste un peu
et alors Gaspard des montagnes pour vaincre la galipote et épousa la belle Aurore !
RépondreSupprimerFinalement on se contente de peu deux chevaux et à l'aise pour le reste de ses jours.
Un certain candidat à la présidence n'a pas dû lire ton histoire magnifique au demeurant.. J'ai adoré.
avec le sourire
merci Lilou ... sinon, quel candidat à la présidence n'a pas lu cette histoire (tous les autres l'ont lue) ?? :o))
SupprimerUn conte dans la pure tradition, comme ma "mémé" aimait à raconter, à la lueur des flammes de la grande cheminée ; une histoire comme je les aime.
RépondreSupprimerstouf
RépondreSupprimerCela me rappelle les méchantes histoires que me contait mémé le soir au coin du feu (pépé riait sous cape en fumant sa pipe) j' était terrifié et lorsqu' il était temps d' aller au lit... je ne pouvais m'endormir. La Burle hurlait derrière les volets et des ombres maléfiques dansaient au plafond et... je finissait inmanquablement dans le lit de pépé et mémé, en sécurité. Cela se passait il y a fort longtemps en cette auberge qu' ils tenaient dans le village de Peyrebeille en Ardèche. Un peu plus bas que toi. ;o)
le village de Peyrebeille ... tu connais forcément Fernandel alors :o)))
Supprimerj'aime bien ton com' en fait !!
stouf
SupprimerFernandel n'est pas vraiment ma tasse de bouillabaisse mais je prends tout les jours le train et Sais Nager Comme Fernandel. ;o)
J'ai lu ce conte avant de m'endormir, et c'est un tort
RépondreSupprimertu as dû finalement dormir dans de bonne condition :o)
SupprimerLà encore, je me suis régalée en te lisant l'Arpenteur. Comme tu sais bien raconter en même temps qu'écrire ! J'aime les contes et j'en ai entendu beaucoup durant les veillées de mon enfance. Le tien m'a ramenée longtemps en arrière. :-) Merci l'ami !
RépondreSupprimermerci Marité ... nos aïeux nous ont toujours raconté des histoires étranges et qui parfois faisaient peur dans nos âmes d'enfant :o)
SupprimerFantastique ! J'ai beaucoup aimé; je suis content que ça finisse bien. :)
RépondreSupprimerj'ai toujours aimé finir mes histoires plutôt positivement :o) ... mais pas toujours tout de même
SupprimerC'est sûr, ici, ton conte est bon !
RépondreSupprimerDu velours, comme toujours, mais avec un certain ton de roman terrifiant de la plus belle facture. Encore bravo, l'Ami.