Paul, c’est le con « grand sport » du Service des Contentieux. Le matin, ignorant des subalternes mais lèche-cul de première, dans les couloirs, il court derrière le chef de Service pour avoir la prime faveur de lui serrer la main. Tout en révérences mielleuses, il l’accompagne jusqu’à son bureau. S’il le pouvait, il lui ouvrirait la porte de sa bagnole quand ce dernier se pointe dans le parking de la boîte ; il touillerait son café de distributeur, il tournerait les pages de son emploi du temps, il cirerait ses pompes et je ne sais quelles gâteries de dessous le bureau. Remarquez, c’est peut-être pour cela qu’il a la tonsure, le Paul…
Quand il vient lui faire son rapport journalier, il ferme la porte derrière lui comme si ses petits secrets étaient vitaux pour l’entreprise. Sans que personne ne lui ait demandé, il s’autorise des prérogatives de petit chef. De sa fenêtre, il surveille les retardataires ; il les note sur son calepin pour si des fois ; quand ils passent à sa portée, il les sermonne avec une autorité sévère, surtout les femmes et les moins costauds que lui. Mariette et Sylvie, les secrétaires, sont ses deux souffre-douleur attitrés. Lucie, la petite stagiaire, morfle aussi ; elle se tape tout le boulot répétitif et je me demande si elle a appris quelque chose depuis qu’elle est arrivée chez nous. Il y a Benoît, le pauvre Benoît ; il picole un peu ; il planque toujours sa fiole dans la poche intérieure de sa veste. Il ne dit jamais rien à cause de ses quatre gosses qu’il élève seul. Bien sûr, il y a moi, aussi. On ne peut pas se blairer tous les deux mais comme je ne suis pas de la dernière pluie, il se méfie… J’ai deux ou trois arrêts de mort sur sa tête, et le jour où je le coince…
A force de fayoter, il est devenu l’éminence grise du boss, son délateur des bruits de couloir ; il est un traître à la solde de ses intérêts. Il prêche le faux pour savoir le vrai, il tire les vers du nez des nouveaux ; il est dans toutes les discussions chuchotées ; il est toujours prêt à dénoncer les grévistes, cet hypocrite. Au moins une fois, on a tous eu envie de lui claquer la gueule mais on a des crédits, des gosses et des obligations.
Quand un dossier est bouclé avec succès, c’est toujours lui l’instigateur et quand tout foire, il n’est jamais trempé dans l’affaire. Quand il met le nez dans un dossier épineux, il l’en sort vite et il le refourgue sans façon à un autre pour se défaire de la difficulté ; il explique comment il faut faire mais ne procède jamais tel qu’il le décrit. Il sait s’accaparer la réussite des autres et s’en sert ouvertement pour se faire valoir dans les hautes sphères. Le sourire en devanture, il aime pavaner ; il est toujours devant, dans la salle de réunion ; il est toujours le premier à répondre aux questions de la hiérarchie ; il a toujours son bon mot pour assouplir l’ambiance, et si ses vannes tombent à plat, il rougit pourtant de ses facéties de mauvais trublion…
Ce jour-là, on recevait dans nos murs le grand directeur de Paris. La veille, le boss, en bon manager, nous avait fait un speech comme quoi la tenue, la ponctualité, l’ordre, etc. Nous devions être irréprochables et encore plus professionnels qu’à l’ordinaire, pendant sa visite de prélat. Sûr, il y aurait des médailles distribuées au cours de son discours. Paul se trémoussait à l’avance, certain de récolter des honneurs à propos de tout son travail rendu. En faisant le tour de l’assemblée, hostile, il nous regardait du haut de sa superbe avec un dédain digne d’un roi sur ses vassaux…
Ce jour-là, donc, il était sapé comme un milord ; costard deux pièces, chemise blanche, cravate, godasses cirées, le bonhomme ! C’est tout juste s’il nous a dit bonjour en arrivant ! Oui, il a bien voulu boire un Moka parce qu’on lui offrait… A peine s’était-il installé à la petite table, devant la machine à café que, derrière lui, une bousculade d’embrassades matinales lui renversa le breuvage sur le pantalon ! C’était Mariette et Sylvie ! Avant qu’il ne réalise le désastre, Lucie frotta la tache brunâtre avec l’éponge de l’évier, imbibée de savon ! Indulgent, Benoît appliqua un peu d’alcool pour cacher l’auréole ! Moi, pour faire bonne mesure, pendant qu’il avait le dos tourné, je foutais mon mégot encore rougissant dans une poche de sa veste. Fou de rage, il voulut s’éclipser jusqu’aux toilettes pour réparer les dégâts ! Avec ses grands mouvements d’acteur en colère, sa veste se prit entre les boutons, dans la poignée de la porte !...
Quelques minutes après, il était là, le big boss parisien ; il passait ses troupes en revue. Serrages de mains, ronds de jambes, sourires de protocole, réflexions mielleuses, c’était l’attroupement des collaborateurs zélés autour de la sommité. Paul devait se faire voir, c’était plus fort que lui ; après tout, il voulait peut-être lui demander un autographe, une photo, voire une augmentation… Ne pouvant s’empêcher de s’approcher, il joua des coudes pour rejoindre le premier rang…
Tout à coup, on entendit : « C’est vous, le fameux Paul ?... Celui dont on me dit le plus grand bien ?... Avez-vous vu votre tenue ?... Avez-vous dormi dans un caniveau ?... Vous empestez l’alcool !... Vous avez bu ?... » La grimace ennuyée du grand dignitaire n’était pas franchement avenante. Dans ce Service, à la pendaison, sur le bûcher ou à l’échafaud, des têtes allaient tomber… A cet instant, même les mouches volaient sans faire de bruit ; innocente, seule la machine à café ronronnait au fond du couloir…
Toujours prévenant, Paul avait anticipé son supplice ; c’est quand il voulut répondre au grand patron qu’il commença à prendre feu ; sans doute à cause de l’alcool. Aussitôt, il se défit de sa veste et de son pantalon. Si on n’avait pas vidé un extincteur à eau, pulvérisée sur sa tronche, je crois qu’il serait encore en train d’appeler les pompiers…
Aujourd’hui, dans le couloir du Service des Contentieux, on peut voir les restes calcinés de son falzar encadrés contre un mur. L’inscription raconte simplement : « Le pantalon de Paul ». Il paraît que c’est le grand ponte de Paris qui l’a exigé, suite à sa visite homérique dans notre bâtiment, mais c’est la légende qui le raconte…
Quand il vient lui faire son rapport journalier, il ferme la porte derrière lui comme si ses petits secrets étaient vitaux pour l’entreprise. Sans que personne ne lui ait demandé, il s’autorise des prérogatives de petit chef. De sa fenêtre, il surveille les retardataires ; il les note sur son calepin pour si des fois ; quand ils passent à sa portée, il les sermonne avec une autorité sévère, surtout les femmes et les moins costauds que lui. Mariette et Sylvie, les secrétaires, sont ses deux souffre-douleur attitrés. Lucie, la petite stagiaire, morfle aussi ; elle se tape tout le boulot répétitif et je me demande si elle a appris quelque chose depuis qu’elle est arrivée chez nous. Il y a Benoît, le pauvre Benoît ; il picole un peu ; il planque toujours sa fiole dans la poche intérieure de sa veste. Il ne dit jamais rien à cause de ses quatre gosses qu’il élève seul. Bien sûr, il y a moi, aussi. On ne peut pas se blairer tous les deux mais comme je ne suis pas de la dernière pluie, il se méfie… J’ai deux ou trois arrêts de mort sur sa tête, et le jour où je le coince…
A force de fayoter, il est devenu l’éminence grise du boss, son délateur des bruits de couloir ; il est un traître à la solde de ses intérêts. Il prêche le faux pour savoir le vrai, il tire les vers du nez des nouveaux ; il est dans toutes les discussions chuchotées ; il est toujours prêt à dénoncer les grévistes, cet hypocrite. Au moins une fois, on a tous eu envie de lui claquer la gueule mais on a des crédits, des gosses et des obligations.
Quand un dossier est bouclé avec succès, c’est toujours lui l’instigateur et quand tout foire, il n’est jamais trempé dans l’affaire. Quand il met le nez dans un dossier épineux, il l’en sort vite et il le refourgue sans façon à un autre pour se défaire de la difficulté ; il explique comment il faut faire mais ne procède jamais tel qu’il le décrit. Il sait s’accaparer la réussite des autres et s’en sert ouvertement pour se faire valoir dans les hautes sphères. Le sourire en devanture, il aime pavaner ; il est toujours devant, dans la salle de réunion ; il est toujours le premier à répondre aux questions de la hiérarchie ; il a toujours son bon mot pour assouplir l’ambiance, et si ses vannes tombent à plat, il rougit pourtant de ses facéties de mauvais trublion…
Ce jour-là, on recevait dans nos murs le grand directeur de Paris. La veille, le boss, en bon manager, nous avait fait un speech comme quoi la tenue, la ponctualité, l’ordre, etc. Nous devions être irréprochables et encore plus professionnels qu’à l’ordinaire, pendant sa visite de prélat. Sûr, il y aurait des médailles distribuées au cours de son discours. Paul se trémoussait à l’avance, certain de récolter des honneurs à propos de tout son travail rendu. En faisant le tour de l’assemblée, hostile, il nous regardait du haut de sa superbe avec un dédain digne d’un roi sur ses vassaux…
Ce jour-là, donc, il était sapé comme un milord ; costard deux pièces, chemise blanche, cravate, godasses cirées, le bonhomme ! C’est tout juste s’il nous a dit bonjour en arrivant ! Oui, il a bien voulu boire un Moka parce qu’on lui offrait… A peine s’était-il installé à la petite table, devant la machine à café que, derrière lui, une bousculade d’embrassades matinales lui renversa le breuvage sur le pantalon ! C’était Mariette et Sylvie ! Avant qu’il ne réalise le désastre, Lucie frotta la tache brunâtre avec l’éponge de l’évier, imbibée de savon ! Indulgent, Benoît appliqua un peu d’alcool pour cacher l’auréole ! Moi, pour faire bonne mesure, pendant qu’il avait le dos tourné, je foutais mon mégot encore rougissant dans une poche de sa veste. Fou de rage, il voulut s’éclipser jusqu’aux toilettes pour réparer les dégâts ! Avec ses grands mouvements d’acteur en colère, sa veste se prit entre les boutons, dans la poignée de la porte !...
Quelques minutes après, il était là, le big boss parisien ; il passait ses troupes en revue. Serrages de mains, ronds de jambes, sourires de protocole, réflexions mielleuses, c’était l’attroupement des collaborateurs zélés autour de la sommité. Paul devait se faire voir, c’était plus fort que lui ; après tout, il voulait peut-être lui demander un autographe, une photo, voire une augmentation… Ne pouvant s’empêcher de s’approcher, il joua des coudes pour rejoindre le premier rang…
Tout à coup, on entendit : « C’est vous, le fameux Paul ?... Celui dont on me dit le plus grand bien ?... Avez-vous vu votre tenue ?... Avez-vous dormi dans un caniveau ?... Vous empestez l’alcool !... Vous avez bu ?... » La grimace ennuyée du grand dignitaire n’était pas franchement avenante. Dans ce Service, à la pendaison, sur le bûcher ou à l’échafaud, des têtes allaient tomber… A cet instant, même les mouches volaient sans faire de bruit ; innocente, seule la machine à café ronronnait au fond du couloir…
Toujours prévenant, Paul avait anticipé son supplice ; c’est quand il voulut répondre au grand patron qu’il commença à prendre feu ; sans doute à cause de l’alcool. Aussitôt, il se défit de sa veste et de son pantalon. Si on n’avait pas vidé un extincteur à eau, pulvérisée sur sa tronche, je crois qu’il serait encore en train d’appeler les pompiers…
Aujourd’hui, dans le couloir du Service des Contentieux, on peut voir les restes calcinés de son falzar encadrés contre un mur. L’inscription raconte simplement : « Le pantalon de Paul ». Il paraît que c’est le grand ponte de Paris qui l’a exigé, suite à sa visite homérique dans notre bâtiment, mais c’est la légende qui le raconte…
Le falzar du mouchard... ça sent le vécu, et pour un pantalon c'est la moindre des choses. ];-D
RépondreSupprimerAh ! Les Paul de ce genre, qui n'en a pas connu dans le monde du travail et même ailleurs.
RépondreSupprimerOn lit ton histoire avec beaucoup d'intérêt et on se demande quand même ce qu'est devenu Paul. Le grand patron l'a peut être embauché pour lui cirer les pompes à longueur de journée. Ces gens là aiment bien : ça flatte leur ego.
j'en ai connu quelques uns de ces personnages dans des multinationales ... mais le tableau du "pantalon de Paul" encadré dans le couloir, alors ça c'est une belle vengeance :o)))
RépondreSupprimeret une excellente idée (des deux filles)
La délicieuse ambiance du travail, avec ses rivalités et ses lèches-bottes ^^
RépondreSupprimerBien vu Pascal !
¸¸.•*¨*• ☆
Piètre trophée que cette nature "morte" :)
RépondreSupprimerQuand même, si Paul n'est plus là (ce que l'histoire, maline, ne dit pas), il va nous manquer
RépondreSupprimer