Les tribulations de Jeannie.
Il fait froid. Il pleut en ce mois de novembre lugubre. Jeannie grelotte assise sur son banc sous l'abri bus. "Son" banc ! Un bien grand mot. Elle le retrouve chaque soir pour s'y installer afin de dormir un peu. Alors, tout simplement, elle se l'approprie. Elle ne possède rien alors qui pourrait lui disputer ce minuscule espace à part un autre paumé comme elle ? Mais elle sait que cela ne se produira pas. Entre gens qui galèrent, on se respecte la plupart du temps. Bien entendu, elle ne reste pas là durant la journée. Elle a essayé au début mais les regards de pitié, de mépris ou même les regard indifférents - les pires - ont eu raison de sa confiance en l'être humain.
Au petit matin, avant que les employés de la ville n'arrivent, elle se lève en toute hâte, endolorie, frigorifiée. Elle replie sa bâche en plastique et sa couette, en fait soigneusement un paquet et se dirige vers la gare pour les déposer à la consigne. Cette solution, un peu coûteuse, lui permet de circuler dans les rues plus facilement. Elle ne garde avec elle que son sac contenant ses maigres richesses : tout ce qu'elle a pu sauver du naufrage. Bien peu en réalité. Jeannie marche. Toute la journée, elle marche. Pour se réchauffer, pour ne pas penser. Pour ne pas sombrer dans la folie.
Sans cesse, lui revient en mémoire l'accroc qui a fait basculer sa vie. Et elle ne peut que s'en prendre à elle bien sûr. Pourquoi, mais pourquoi a-t-elle ce jour là gardé le chèque en blanc qu'une cliente avait détaché par mégarde en même temps que celui pour payer ses courses ? Elle a imité la signature de la dame et fait des achats avec ce moyen de paiement sans réfléchir. Elle se revoit cet après midi là. Elle a acheté des aliments et des produits de beauté auxquels elle ne pouvait pas prétendre en temps ordinaire avec son maigre salaire de caissière. Elle s'est fait plaisir sans penser aux conséquences ou plutôt en les écartant délibérément. Une aberration inexplicable qu'elle ne se pardonnera jamais.
Le résultat de cet acte insensé ne s'est pas fait attendre. Dans le courant de la semaine suivante, la direction, après la plainte de la cliente et une rapide enquête lui a signifié son licenciement. Et, lui a-t-on précisé : estimez-vous heureuse que personne ne porte plainte contre vous.
Une catastrophe ! Comment allait-elle retrouver du travail à l'âge de 55 ans ?
Elle ne possédait pas d'économies, ayant tout donné à sa fille unique pour s'installer à l'étranger. Elle a cherché partout, même des petits boulots mal rémunérés. La concurrence est rude sur le marché du travail par les temps qui courent. A part quelques travaux saisonniers très pénibles, elle n'a rien obtenu.
Puis l'escalade dans la déconfiture s'est accélérée. Plus moyen de se nourrir convenablement et surtout de payer son loyer. Elle a immédiatement pensé à sa fille mais la honte qui la submerge l'a empêchée de la solliciter. Elle a vendu ce qu'elle a pu pour tenir encore un peu. Puis elle a changé de ville et s'est coupée de tous ses amis et connaissances. Comment croiser le regard des gens qui vous ont connue honnête et travailleuse ? Jeannie n'a pourtant pas changé au fond d'elle. Mais l'appréciation des autres sur elle, si certainement. Ça, c'est insupportable à ses yeux.
En contrepartie d'un peu de ménage, un patron de bar accepte de la nourrir. Elle prend un petit-déjeuner - son seul repas chaud - et emporte quelques sandwichs. Elle peut aussi se laver et conserver ainsi une allure décente. Mais elle doit dormir dehors. La rue vous happe vite, la chienne !
Jeannie est perdue dans ses sombres pensées. La pluie fouette les parois de l'abri bus et un vent fort s'est levé balayant les dernières feuilles toutes recroquevillées. Il fait trembler le reflet blafard de la lune dans une flaque d'eau. On jurerait que l'astre noctambule git là. Aussitôt une poésie lui revient en mémoire.
Un sourire mélancolique affleure sur son visage. Elle se revoit, certains soirs d'hiver de son enfance, alors que la bourrasque faisait rage dehors et qu'elle se pelotonnait frileusement devant le feu de cheminée dans la maison de ses parents. Elle aimait réciter ces vers d' Emile Verhaeren :
"Le vent sauvage de novembre...
L'avez-vous vu, cette nuit-là
Quand il jeta la lune à bas..."
Le sourire de Jeannie devient amer et elle murmure tout haut :
- tout comme moi, la lune est à bas, la lune est dans le caniveau.
Il fait froid. Il pleut en ce mois de novembre lugubre. Jeannie grelotte assise sur son banc sous l'abri bus. "Son" banc ! Un bien grand mot. Elle le retrouve chaque soir pour s'y installer afin de dormir un peu. Alors, tout simplement, elle se l'approprie. Elle ne possède rien alors qui pourrait lui disputer ce minuscule espace à part un autre paumé comme elle ? Mais elle sait que cela ne se produira pas. Entre gens qui galèrent, on se respecte la plupart du temps. Bien entendu, elle ne reste pas là durant la journée. Elle a essayé au début mais les regards de pitié, de mépris ou même les regard indifférents - les pires - ont eu raison de sa confiance en l'être humain.
Au petit matin, avant que les employés de la ville n'arrivent, elle se lève en toute hâte, endolorie, frigorifiée. Elle replie sa bâche en plastique et sa couette, en fait soigneusement un paquet et se dirige vers la gare pour les déposer à la consigne. Cette solution, un peu coûteuse, lui permet de circuler dans les rues plus facilement. Elle ne garde avec elle que son sac contenant ses maigres richesses : tout ce qu'elle a pu sauver du naufrage. Bien peu en réalité. Jeannie marche. Toute la journée, elle marche. Pour se réchauffer, pour ne pas penser. Pour ne pas sombrer dans la folie.
Sans cesse, lui revient en mémoire l'accroc qui a fait basculer sa vie. Et elle ne peut que s'en prendre à elle bien sûr. Pourquoi, mais pourquoi a-t-elle ce jour là gardé le chèque en blanc qu'une cliente avait détaché par mégarde en même temps que celui pour payer ses courses ? Elle a imité la signature de la dame et fait des achats avec ce moyen de paiement sans réfléchir. Elle se revoit cet après midi là. Elle a acheté des aliments et des produits de beauté auxquels elle ne pouvait pas prétendre en temps ordinaire avec son maigre salaire de caissière. Elle s'est fait plaisir sans penser aux conséquences ou plutôt en les écartant délibérément. Une aberration inexplicable qu'elle ne se pardonnera jamais.
Le résultat de cet acte insensé ne s'est pas fait attendre. Dans le courant de la semaine suivante, la direction, après la plainte de la cliente et une rapide enquête lui a signifié son licenciement. Et, lui a-t-on précisé : estimez-vous heureuse que personne ne porte plainte contre vous.
Une catastrophe ! Comment allait-elle retrouver du travail à l'âge de 55 ans ?
Elle ne possédait pas d'économies, ayant tout donné à sa fille unique pour s'installer à l'étranger. Elle a cherché partout, même des petits boulots mal rémunérés. La concurrence est rude sur le marché du travail par les temps qui courent. A part quelques travaux saisonniers très pénibles, elle n'a rien obtenu.
Puis l'escalade dans la déconfiture s'est accélérée. Plus moyen de se nourrir convenablement et surtout de payer son loyer. Elle a immédiatement pensé à sa fille mais la honte qui la submerge l'a empêchée de la solliciter. Elle a vendu ce qu'elle a pu pour tenir encore un peu. Puis elle a changé de ville et s'est coupée de tous ses amis et connaissances. Comment croiser le regard des gens qui vous ont connue honnête et travailleuse ? Jeannie n'a pourtant pas changé au fond d'elle. Mais l'appréciation des autres sur elle, si certainement. Ça, c'est insupportable à ses yeux.
En contrepartie d'un peu de ménage, un patron de bar accepte de la nourrir. Elle prend un petit-déjeuner - son seul repas chaud - et emporte quelques sandwichs. Elle peut aussi se laver et conserver ainsi une allure décente. Mais elle doit dormir dehors. La rue vous happe vite, la chienne !
Jeannie est perdue dans ses sombres pensées. La pluie fouette les parois de l'abri bus et un vent fort s'est levé balayant les dernières feuilles toutes recroquevillées. Il fait trembler le reflet blafard de la lune dans une flaque d'eau. On jurerait que l'astre noctambule git là. Aussitôt une poésie lui revient en mémoire.
Un sourire mélancolique affleure sur son visage. Elle se revoit, certains soirs d'hiver de son enfance, alors que la bourrasque faisait rage dehors et qu'elle se pelotonnait frileusement devant le feu de cheminée dans la maison de ses parents. Elle aimait réciter ces vers d' Emile Verhaeren :
"Le vent sauvage de novembre...
L'avez-vous vu, cette nuit-là
Quand il jeta la lune à bas..."
Le sourire de Jeannie devient amer et elle murmure tout haut :
- tout comme moi, la lune est à bas, la lune est dans le caniveau.
Les abris bus sont parfois des abris de (mauvaise) fortune..
RépondreSupprimerComme elle est triste cette histoire...Et personne pour tendre la main à la pauvre jeannie ?Pas un parent, pas une amie ?
RépondreSupprimerLes SDF sont souvent des gens qui se sont retrouvés, un jour, abandonnés de tous, et terriblement seuls.
¸¸.•*¨*• ☆
SDF... un nom à coucher dehors. Les vers de Verhaeren lui mettront-ils un peu de baume au coeur ?
RépondreSupprimerencore un texte fort réussi qui nous dit la réalité de la vie pour quelques uns (et unes. Une femme cultivée, abandonnée, et qui vit dans la rue, sans ami(e)s, sans parents ... l'histoire est forcément vraie ...
RépondreSupprimerà grelotter de tristesse ( et aussi d'impuissance)
RépondreSupprimermerci pour vos commentaires.:-)
RépondreSupprimertellement juste, cette honte qui paralyse et fait su juger le personnage plus durement que probablement sa fille ne le ferait...
RépondreSupprimertrès touchant :(