samedi 28 avril 2018

Yrieix - Le jardinier amoureux

Le rond-point au milieu du boulevard !

Vous vous souvenez de ce rond-point. A l’origine, avec sa vingtaine de mètres de diamètre au plus, il couvrait un parc de stationnement. Son centre accueillait quelques arbustes sur une pelouse garnie de massifs de roses robusta. Un rond-point point banal. Puis, d’améliorations en modifications et aménagements divers, il s’était agrandi, avait mordu sur le bitume, repoussé la chaussée, et de proche en proche s’était développé au point d’atteindre la taille d’un parc et de susciter une réputation internationale propre à l’attribution de prix. Alain en était le jardinier et ses initiatives avaient grandement contribué à cette situation, ce qui lui inspirait une fierté légitime.

Des lapins s’y étaient installés en cohorte. Les pigeons avaient envahi les platanes d’où ils engraissaient consciencieusement les graminées et les buissons taillés. Un groupe influent insistait pour qu’on y introduise le loup, voire l’ours, plus royal, et peut-être même l’aigle, impérial quant à lui. Ce jardin avait été adopté, en dépit de sa situation, par les gens des environs. Certains y organisaient de petites fêtes. D’autres s’y promenaient assez sagement. Il y en avait même, les plus pratiques, qui y laissaient sécher du linge. Ce sans-gêne exaspérait Alain.

Ceux qui n’ont pas vécu ce qu’être amoureux d’une femme qu’on ne parvient pas à aborder représente peuvent sauter les quelques lignes qui suivent. Elles n’évoqueront rien pour eux. Les autres se souviendront à quel point il est difficile de mettre en œuvre la bonne stratégie pour attirer l’attention de la belle, de lui dire ces quelques mots qu’elle consente à écouter, d’obtenir de la revoir, et le reste. C’était précisément la situation d’Alain était, lequel était amoureux d’une belle et ne savait pas comment le lui dire. Il la voyait au rond-point et, de loin, reconnaissait sa démarche au milieu de la foule avant même de voir son visage. Quant il plantait les fleurs, elle passait trop vite pour s’engager dans une conversation utile. Quand elle rêvait assise face au soleil, il était en plein travail.

Ce soir-là, Alain s’était couché, rompu de fatigue, après avoir passé la journée à jardiner le rond-point du boulevard. Il avait respecté à la perfection le cahier des charges : les bancs de tulipes, les rosiers, les pelouses serrées et rasées de près comme un tapis pour le boulingrin, les pâquerettes, les buissons et tout le reste.

La sonnerie du téléphone le réveilla le lendemain matin en sursaut. Un troupeau de vaches avait, pendant la nuit, envahi le rond-point et l’avait ravagé. Il y courut plus vite que jamais. Le piétinement du troupeau avait ravagé les pelouses en s’y enfonçant à mi-jarret. Il restait peu de choses des fleurs. Il constata avec satisfaction que le linge avait disparu, arraché par les ruminants apeurés dans leur fuite.

Il avait traversé tout le rond-point et, essoufflé, était presque parvenu au trottoir d’en face lorsque la belle apparut. Celle à qui il n’avait jamais osé adresser la parole. Elle fouillait dans son sac en montant sur le trottoir du boulevard. Elle trébucha. Son bâton de rouge à lèvre jaillit et tomba à ses pieds. Il le ramassa. Le lui rendit. Il en oublia le désastre et ne lui demanda pas ce qu’elle venait faire là. Tout de même pas chercher son linge!

« Gilles, dit-il, c’était avant ta naissance ».
Gilles resta pensif. Puis il demanda :
« Et quelle était la couleur du rouge à lèvre ? »
« Celle de la plus belle de mes roses », répondit Alain.

6 commentaires:

  1. Ah, si les rond-points et boulevards de nos villes étaient aussi épanouissants !!!
    Bienvenue en tout cas chez les Impromptus :)

    RépondreSupprimer
  2. ça ne manque ni de piquant, ni d'originalité... bravo

    RépondreSupprimer
  3. Bienvenue cher ami au coeur de la plus belle fleur des ateliers d'écriture: les Impromptus !
    Joli début. Tout y est.
    Bravo
    ¸¸.•*¨*• 🦋

    RépondreSupprimer
  4. Une belle histoire, finement contée ! Super !

    RépondreSupprimer
  5. Un texte chargé en croisements de sens, pour cette entrée en matière; bravo, Yrieix.
    Yrieix...? Pas une anagramme de Yann Moix, on est d'accord. Lors donc, bien le bon jour à vostre mère, Cunégonde... nan, euh... Pas besoin d'en faire tout un fromage, non plusse... Ah, vouiche ! Pouf, pouf : ...à vostre chère mère Pélagie (de la dynastie Got-de-Mouton; si vous aimez Pierre Dac, on est raccord).
    Littéralement déconstraté,
    tiniak ;)

    RépondreSupprimer
  6. Une histoire que j'ai lue avec grand plaisir !
    Merci.

    RépondreSupprimer

Les commentaires sont précieux. Nous chercherons toujours à favoriser ces échanges et leur bienveillance.

Si vous n'avez pas de site personnel, ni de compte Blogger, vous pouvez tout à fait commenter en cochant l'option "Nom/URL".
Il vous faut pour cela écrire votre pseudo dans "Nom", cliquer sur "Continuer", saisir votre commentaire, puis cliquer sur "Publier".