Dans cette maison perdue au milieu des
champs, j'étais persuadée que mon « Bonne année ! »
serait prophétique, persuadée qu'avec tout le cœur que j'y avais
mis, l'année dans laquelle nous venions de basculer ne pourrait être
que bonheur. Bref, j'avais bu. Mais pas seulement, les vapeurs de
l'amitié et la fièvre de mes 18 ans à venir me tournaient la tête,
et c'était bien.
Quelques jours plus tard, nous
partions pour Londres. J'ai aimé cette ville, entièrement. J'ai
aimé ses monuments, j'ai aimé sa Tamise, ses pubs, ses quartiers
tous si différents, sa reine, ses photos de sa reine, ses tasses
avec sa reine, ses musées gigantesques et ennuyeux, ses fish and
chips, ses lumières, son rythme, sa vie. Et puis, au milieu du
séjour, ça m'a... Je ne sais même pas vraiment pourquoi, parce
que, comme j'allais l'écrire sur les nombreux carnets que je
remplirais à partir de cette date, c'était déjà arrivé par le
passé, ça arrivait tous les jours un peu partout dans le monde.
Mais puisque, apparemment, ça n'avait pas choqué que moi, il devait
y avoir quelque chose. Il devait vraiment s'être passé
quelque chose d'anormal. Des gens avaient été tués.
C'était tout. Je ne les connaissais pas.
Mais je ne pouvais m'empêcher de
penser que, d'après les informations déformées et différées qui
nous parvenaient, les balles avaient dû éteindre leurs consciences
alors que nous visitions les cachots de la tour de Londres,
satisfaisant notre curiosité morbide pour la diversité des
instruments de torture ayant existé. Et puis l'éloignement, sur une
place les fleurs et les crayons spontanément déposés autour d'une
petite tour Eiffel, la visite de la ville qui se poursuivait, la
suite des événements appris par sms, la minute de silence dans le hall d'un musée.
Le séjour s'est terminé, nous sommes
rentrés. Et, encore fatiguée d'une nuit dans un bus agité, j'ai
enchaîné, dans ma petite ville, sur une marche comme il y en a eu
un peu partout. J'avais rarement vu autant de gens dans ma ville.
Janvier est passé, février est
arrivé, avec son Bac blanc. Mon année de terminale s'est vite
terminée, j'ai pleuré la fin du lycée, et entre oraux louant la
liberté et le droit de créer, entre permis et mention, j'ai quitté
ma folle meilleure année.
Premier travail d'été et plongeon
sans retour dans les études supérieures ; en novembre j'avais
presque oublié, qu'on pouvait mourir pour la musique qu'on aimait,
ou pour un simple verre de plus à la sortie d'un café.
Si à 17 ans j'ai appris qu'on
risquait d'être tué pour son engagement et ses idées, à 18 j'ai
compris que son simple plaisir pouvait signifier la fin des idées,
mais ce au milieu de ma plus belle année. Alors le 31 décembre
2015, comme tous ceux qui ont suivi, j'ai souhaité avec conviction,
une « Bonne année ! »
Les souhaits de Bonne année sont comme une pommade sur les blessures de l'année passée.
RépondreSupprimerOn les distribue à ceux qu'on aime et on y croit.
Bienvenue aux Impromptus Littéraires, Feldsdpath... et tiens... Bonne année !
Merci beaucoup !
SupprimerBonne Année, c'est gratuit, on le distribue à tout le monde. Bonne Année, c'est un peu de sable qui enterre l'année précédente. Bonne Année, c'est une mise, un coup de dé prometteur lancé au futur. Alors, Bonne Année.
RépondreSupprimerà plusieurs reprises j'ai failli écrire sur cette année 2015 et sur ses traumatismes de début et de fin d'année...
RépondreSupprimermais je l'avais déjà fait, à plusieurs reprises sur ce site, dans les périodes fatidiques :(
c’est bien que tu aies revisité cette années là au travers du prisme des expériences de la jeunesse :)
a priori tu ne connaissais pas les dessinateurs de Charlie Hebdo, alors que pour moi, avec Cabu, on assassinait mon enfance...
bienvenue à toi chez les Impromptus !
et bonne année 2018 :)
J'ai beaucoup hésité à choisir cette année, mais c'est celle qui me revenait sans cesse en tête et sans doute dont les événements m'ont le plus marquée.
SupprimerMerci !
Peut être que l'odieux drame du Bataclan a davantage touché la jeunesse. Parce qu'il a été l'entrave - et le mot est faible - à la notion de fête, de plaisir partagé dans la musique.
RépondreSupprimerC'est très bien exprimé dans ce texte.Qui n'exclut pas cependant l'horreur des autres attentats.
felspath ? pour ses multiples couleurs ? parce que tu potasses beaucoup ? une année terrible que celle là,fort bien racontée à travers le prisme des illusions fragiles de la fragile jeunesse
RépondreSupprimerUn jeu de mot entre un nom de famille et les nombreux animaux à quatre pattes qui miaulent que j'ai chez moi :). Le minéral est bien loin !
SupprimerJe ne souhaite pas la bonne année, car, m'a-t-on appris, un cadeau n'attend pas de retour ...
RépondreSupprimerOutch. Exercice hautement périlleux que celui de conter la terrible année 2015. Jolie personnalisation des événements. Être ailleurs quand l'horreur se passe chez soi, je connais.
RépondreSupprimerJ ai beaucoup aimé ce texte.
RépondreSupprimerTout cela a été terrible.
J ai parfois entendu mes parents dire... nous dansions pendant la guerre. Mais nous dansions sur un volcan. J'aurais ajouté carrément en éruption.