Papa est mort il y a deux semaines, ou trois, je ne sais plus. On l’a enterré, puis vidé sa maison, dispersé ses affaires et réparti sa fortune en accord avec ses dernières volontés. Que faire maintenant que je suis seul et que la paperasse n’est même plus là pour m’empêcher de penser vraiment. Orphelin et abasourdi, la logique psychologique et sociale voudrait que je commence mon « travail de deuil ». Pourtant je me sens tellement mal que je m’écroulerais si je parlais. Hors de question d’aller consulter. Et hors de question de retourner au bureau. Les collègues s’y prennent comme des manches : je lis trop de pitié dans leurs yeux et trop de gêne dans leurs mains pour ne pas avoir envie de les frapper. Ce n’est pas la mort qui me met en colère, mais la bêtise des gens, leur incapacité à faire comme si de rien n’était pour qu’à mon tour je puisse me dire que rien n’a été. Ce n’est plus la fatalité qui m’enrage lorsque je suis face aux autres, mais les contingences qui entourent la mort. Devoir « donner le change », me comporter comme un homme qui vient de perdre son père est censé se comporter, être à la hauteur de leur pitié, paraître triste.
Je ne
suis pas triste. Je suis sonné. Je ne veux plus voir personne car
ils risquent tous de me faire perdre mes nerfs, et avec eux ma
dignité et mon CDI. Je dois prendre un congé sabbatique. Mon patron
ne me le refusera jamais, il tient trop à moi. Un développeur Web
trilingue mandarin-japonais-français, ça se dorlote. J’ai besoin
de faire le tour du monde, d’aller partout où papa n’est jamais
allé et où personne ne sait. Oublier mes soucis existentiels, mon
petit ego ridicule avec ses problèmes de fatalité et constater que
le monde avance sans moi. Voir l’Asie, ses sourires, souffrir au
milieu de sa chaleur et me laisser consoler par ses mets. Voir
l’Amérique, ses étendues parfois moroses qui me feront rétrécir,
emportant dans l’immensité de Dame nature mes questionnements
ridicules d’orphelin. Enfin rentrer voir l’Europe, ses
cathédrales, ses châteaux et même ses tumulus qui me rappelleront
que bien des hommes sont morts avant papa, voire parfois des
civilisations avec eux. Faire un long tour du monde pour faire
un minuscule tour de moi-même.
Où lire TomTom
Dans ces circonstances que j'ai connues moi-même, il n'y a rien à rajouter, à conseiller, à témoigner.
RépondreSupprimerChacun décidera de faire ou ne pas faire le tour de soi... mais se noyer dans l'immensité de Mother nature, Yes, Yes, Yes !
Le mien est mort il y a si longtemps... Si longtemps, le reste de la famille a suivi, je suis le dernier, alors une déduction s'impose : je serai le suivant ! ];-D
RépondreSupprimerMais... personne ne surveille son bilan carbone, par ici ? ;-)
RépondreSupprimerJe plaisante. Rien de tel qu'un voyage ailleurs pour se retrouver seul avec soi-même et avec ses valises. Le Bengale est une bonne destination pour soigner les feux et valoriser ses fantômes ;-)
Partir pour mieux revenir ... indispensable dans certaines situations !
RépondreSupprimerAller voir ailleurs pour s'assurer qu'on est encore là... Belle analyse et beau récit de la perte d'un être cher.
RépondreSupprimerMerci pour vos commentaires ! Ravie que le texte résonne avec le vécu de chacun.
RépondreSupprimerJoe Krapov, tu m'as bien fait rire avec ton bilan carbone :D
chacun vit le décès d'un père comme il le peut, et d'un autre être cher d'ailleurs aussi...
RépondreSupprimeril est vrai qu'il y a toujours eu des diktats intolérables des sociétés : autrefois c'était quasiment quantifié en nombre de jours de deuil à porter le noir, et à faire comme ci ou comme ça
et aujourd'hui c'est la sacrée sainte injonction "à devoir faire son deuil" qui ne veut rien dire d'intelligent car elle est très mal interprétée comme "oublier et vite"
or il est souhaitable de laisser du temps pour que le souvenir de la personne décédée, d'intolérable, ou de choquant, ou de douloureux, devienne au fur et à mesure une possibilité de souvenirs apaisés où la relation s'entretient à l'intérieur de soi
car seule la personne est morte, mais pas la relation qu'on entretient avec elle
C'est vrai, mais l'expression "faire son deuil" est mal interprétée comme vous dites. Je pense qu'elle veut juste dire "accepter la disparition" parce qu'au début on n'y croit pas vraiment.
SupprimerMon père est parti fin 2016 et je sors à peine de mon deuil. Et je n'ai pas eu peur de « consulter »
RépondreSupprimerTu verras, la date te restera en tête, même si pour l'instant tu ne sais plus vraiment...
Et peut-être as-tu besoin de ce voyage initiatique pour te comprendre dans la sérénité.
Bisous empathiques
¸¸.•*¨*• ☆
Perdre ses parents, c'est dur, très dur car avec eux s'en va une part de notre existence et pas la moindre : l'enfance. Mais on doit l'accepter comme une chose naturelle si je peux m'exprimer ainsi. Il est un deuil encore plus cruel, perdre son enfant...Un ressenti, le mien.
RépondreSupprimerBelle interprétation de la consigne Tomtom !
@Célestine
RépondreSupprimerCe n'est pas mon cas. Je me suis inspirée de gens que j'ai croisés car j'ai remarqué que beaucoup faisaient un tour du monde après avoir perdu leur père. Alors j'ai essayé de me mettre dans leur tête. C'est impossible, mais j'ai essayé !
@Marité
Perdre son enfant, je ne pourrai jamais imaginer...C'est la pire chose qui puisse arriver à qqn :'(
Mon vieux a mit si longtemps à mourir que, de décrépitude physique en décrépitude mentale, d'années en années, le jour où il est partit pour la dernière fois de sa maison entre deux pompiers ... il s' est retourner et a regarder autour et ... les yeux de ma mère. Comme une dernière parole sans mots et ils ont compris la suite en fait.
RépondreSupprimerLe soir quand ma vieille m'a apprit la nouvelle au téléphone ... nous n' avons rien dit de plus et pensions communément que cela était mieux ainsi.
Du coup je suis sortit par la suite au bar restaurant d' à côté où il avait ses habitudes et quelques amis pour annoncer la nouvelle. Le patron a payer son coup et nous sommes rappeler les bons moments depuis toutes ces années et puis ... l'affaire fut pliée.
Rien ne sert de pleurer sur son sort, de désirer toujours plus. On nait, on vit, on meurt. Stop.
J'avais fait le tour du monde avant de perdre le mien; à son décès, il ne me restait plus qu'à faire le tour de moi-même pour constater les vrais dégâts.
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