Chapeau rouge et ciré
noir.
Je me souviens. C'était
un matin d'octobre 2013 mi-figue, mi-raisin. Le pâle soleil
d'automne peinait à traverser la ramure des arbres malgré
l'approche de midi et de gros nuages gris-ardoise s'amoncelaient à
l'ouest.
Comme à l'accoutumée,
je marchais tranquillement dans les Saulières, mes bois préférés.
J'admirais les subtils changements que la nature opérait déjà sur
les talus, les châtaigniers, les chênes. Tous les végétaux
commençaient à se soumettre à son impératif et immuable cycle et
entamaient avec fatalité leur petite mort. Un vent léger bruissait
dans la clairière où je m'étais arrêtée, réveillant en moi une
douce nostalgie de vacances à la plage, rien ne ressemblant
davantage au doux murmure des vagues que la brise berçant les pins
sylvestres.
Je m'assis en bordure du
chemin sur la vieille souche qui m'accueille souvent pour lire,
écrire ou bayer aux corneilles. Je n'aime rien tant que de me
laisser submerger par le silence à peine altéré par quelques
chants d'oiseaux de plus en plus rares en cette période.
J'étais plongée dans ma
rêverie quand l'écho d'un pas rapide attira mon attention.
Quelqu'un approchait sur le sentier. Peu de gens venaient dans ce
coin que j'avais découvert quelques années auparavant. J'étais
surprise et intriguée. Qui osait troubler ma quiétude ?
Je vis passer devant moi
une toute jeune fille chaussée de bottes en caoutchouc, coiffée
d'un petit chapeau rond rouge d'où s'échappaient de longues mèches
de cheveux blonds. Elle portait un gros sac à dos d'une couleur
indéfinissable qui la faisait se courber un peu. Elle ne daigna pas
m'accorder un seul regard et s'enfonça dans la forêt.
J'entendis bientôt
résonner un chant pour le moins singulier :
- Loup, y es-tu ?
Si tu n'es pas là
Tant pis pour toi.
Cela ne pouvait provenir
que de la passante au chapeau de pluie rouge. Étonnée et amusée à
la fois, je décidai de la suivre. Je ne tardai pas à la rattraper.
Elle avait ralenti son allure et s'arrêtait de temps en temps pour
reprendre son drôle de couplet à voix forte. Puis elle tendait
l'oreille. Visiblement, elle attendait quelqu'un.
De plus en plus
stupéfaite, je me cachai derrière un massif de buissons, un peu
gênée tout de même de jouer les voyeuses. Mais la curiosité fut
la plus forte. Nous ne patientâmes pas très longtemps. Un grand
fracas de branches cassées et je vis surgir une silhouette noire
venue d'on ne sait où. Elle fondit sur la jeune fille manquant de
peu de la faire tomber. Cette dernière poussa un cri rauque. Je
restai quelques instants interloquée, me demandant que faire.
Qu'allait-il se passer ? Fallait-il porter secours à la promeneuse
ou bien partir discrètement ?
Le grand diable en long
ciré noir partit d'un grand éclat de rire découvrant de belles
dents blanches. Je me disais qu'il avait tout du prédateur. Je
commençais à prendre peur quand je vis la demoiselle reculer un
peu, poser son sac et se jeter dans les bras de son agresseur.
Ils rebroussèrent chemin
pour s'installer - ô sacrilège - dans ma clairière. La jeune fille
sortit de son sac une nappe qu'elle disposa sur la mousse puis
installa sur ma souche - ô sacrilège bis - de quoi se sustenter.
- J'ai apporté treize
desserts, dit-elle, câline.
- Mais nous ne sommes
pas à Noël ma chérie répondit l'homme.
- Non Jean-Loup mais je
tenais à fêter un anniversaire : cela fait treize mois aujourd'hui
que nous nous sommes rencontrés ici. Tu te souviens ?
- Évidemment. Tu es un
ange et je vais te dévorer.
Là-dessus, Jean-Loup,
haletant, se jeta sur la nymphette en criant :
- tire la chevillette,
tire la chevillette...
A quoi le petit chapeau
rond rouge répondit froidement :
- Jean-Loup, où en es-tu
de ton divorce ?
Je les laissai à leurs
ébats et autres mises au point en me disant, rassurée que les
petits chaperons rouges d'aujourd'hui n'ont pas peur du loup, ont de
la suite dans les idées et qu'elles ne s'en laissent pas conter.
J'aime ce petit chaperon rouge revisité et je sors sur la pointe des pieds de peur que la chevillette ne manque la bobinette...
RépondreSupprimerLes loups ne sont plus ce qu'ils étaient
RépondreSupprimerIls sont bien plus doux que des bassets
Ils ne font plus peur aux grands mères
Qui en ont vu d'autres en deux guerres...
Ta jolie histoire m'a remis cette (vieille) chanson en mémoire.
Un conte bien revisité :-)
RépondreSupprimerHé bé...Le petit chaperon rouge, c'est plus ce que c'était. Jolie petite histoire très agréable à lire. Un peu de douceur et de sarcasme gentillet :)
RépondreSupprimerC'est bien mignon ; le petit chaperon rouge maîtresse du grand méchant loup, qui a les dents les plus longues ? Voilà un conte à la page !
RépondreSupprimermais il y a hélas encore trop de jeunes personnes naïves et dévorées par leurs agresseurs :(
RépondreSupprimerSauf erreur de ma part, l'histoire a un peu changée... ;-))
RépondreSupprimerVeux-tu dire Mapie qu'à nouveau les petits chaperons rouges - et les grand-mères comme moi - vont se faire dévorer par le loup ? Bien sûr, c'est vrai (au moins pour les petits chaperons rouges) mais zut alors, je voulais juste inverser les rôles ce qui est existe aussi, heureusement. ;-)
Supprimerexcellent, et très spirituel, bravo chaperon !
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