Miss Pinddleton.
- Ah, bien sûr, il
est plus facile de s’en prendre à une pauv' fille qui vient tout
juste de retrouver son fiancé qu’à un malfaisant qui s’en prend
aux rombières !
La tapineuse qui
répond ainsi à Chauguise vient d’être coffrée par la ronde des
flics en kébourre, rue Quinquampoix… (pour
les bouseux, la rue Quincampoix est située dans le quartier
Saint-Merri,
le cloître Saint-Merri, près de l’actuel centre Pompidou, mais en
1954, point de centre Pompidou.)
Une description de la donzelle : un mètre soixante-quinze sans
talons, un mètre quatre-vingt-trois sur ses bottes cuissardes, bas
résilles noirs, mini jupe au ras du seuil du paradis. Pour le haut ?
Une veste de cavalière en velours noir et c’est tout… Ah oui
j’oubliais, coiffée d’un chapeau gibus et, dans la main droite,
une cravache ! (cette brave fille a existé, je le confirme)
-
Dis donc Totoche, tu t’fous d’ma gueule, t’allais à Longchamp
sapée façon écuyère ? J’te connais : Madeleine
Cagnolle, née à Levallois le 14 Juillet 1931, et domiciliée rue de
la Pompe, dans le XVIème. Décidément, t'étais prédestinée !
- Mais ça n’est
pas pour raccolage qu'on t’a arrêtée, y’a un gus qui a porté
l’pet pour coups et blessures.
- J’vois de qui
que vous voulez causer, commissaire, un rouquemoute qui m’avait
invitée au gastos. J'demandais pas la Tour d'Argent ni Maxim's, mais
alors un mec de la grinche comme ça, j'avais jamais vu ! Y m'a
emmené chez Maurice, le troquet rue de la Grande Truanderie. Il
s’était pas foulé ce pingre : une blanquette, un claquos pas
d’la première fraîcheur, et une crème aux œufs en guise de
dessert, une gauldo mal roulée, le tout arrosé avec un pichet de
rouge genre treize degrés de déménageur ! Et avec ça, il
croyait qu’il allait accrocher les jambons au clou gratos !
Non mais des fois, il en faut un peu plus pour retourner Mado. Alors
il s’est mis à m’insulter, ce hareng, même qu’il a prié ma
mère d’aller subir les derniers outrages !
- C’était pas une
raison pour lui enfoncer ton talon Louis XV dans le pif, Mado !
- Louis XV qu’il
s’appelle, mon talon ? J’savais pas, d’autant mon
commissaire que ma pompe elle est foutue, des tartines à dix
sacotins ! Vous vous rendez compte ? Du krokrodile, du
vrai !
- Bon, allez, signe
ici et casse-toi, Mado, j’vais arranger l’coup une fois de plus.
- A propos de coup,
mon p’tit Chauguise, pour toi j’te l’ferai toujours au béguin !
- Merci ma grande,
très peu pour moi !
- Dommage...
- Un service en
valant un autre, t’aurais pas un p’tit condé sur l’enlèvement
du môme Michemin, tu sais, le fils du magnat des pneus du même
nom ?
- Tu sais,
Chauguise, dans l’milieu que j’fréquente, y’a pas de tordus
qui s’en prennent aux moujingues, aux banques, oui, mais pas aux
gamins, j’suis pas une balance ! Mais une enflure pareille,
j’hésiterais pas une seconde à lui coller mon deuxième talon
dans sa tronche de gail...
- Merci Mado, si par
hasard tu apprenais…
- Bien sûr,
Chauguise, bien sûr.
Depuis trois jours,
le 36 est en effervescence : Edmond Michemin, l’héritier de
l’empire du pneu a été enlevé. Un gamin blondinet âgé de
quatorze mois, kidnappé en plein après-midi au jardin du
Luxembourg. Sa nurse Anglaise s’était absentée une minute à
peine, afin de lui acheter un ballon rouge au kiosque tout proche. Il
faut croire qu’elle était surveillée, car le kidnapping s’était
fait en un temps record.
Le soir même,
Alexandre Michemin recevait un coup de téléphone lui réclamant la
somme rondelette de 100 millions (anciens francs en 1954) en petites
coupures et, en cette année 1954, cent briques, c’est quelque
chose ! Pour avoir une idée, sachez qu’une deux chevaux
coûtait 350 000 francs (toujours des francs anciens).
- Dugland !
Chauguise vient
d’appeler son jeune adjoint. Quand ce dernier le rejoint, le patron
vient d’allumer sa « Boyard » papier maïs, qui fouette
vilain. Julien a un rictus en respirant la fumée de l’infâme
cibiche.
- Putain, tu vas pas
jouer les chochotes ! Bon… Ça a donné quoi les écoutes
téléphoniques chez les Michemin ?
- Rien de plus que
ce que vous avez entendu, patron… On attend qu’ « ils » se
manifestent à nouveau, qu’ « ils » indiquent un lieu de
rendez-vous pour remettre la rançon. Cent plaques, tout de même, ça
fait une somme !
- Ouais, mais un
môme, ça n’a pas de prix. Bon, on va bouger. Tu vois, Dugland, ce
qui me bouffe le plus, c’est c’t’attente, attendre le bon
vouloir de ces ordures.
La quinze chevaux
Citroën les a conduit au 17 de la rue de la Faisanderie, dans le
très chic et très rupin XVIème arrondissement.
Nos duettistes ont
sonné. Un majordome très digne et très coincé dans son gilet rayé
jaune et noir leur a ouvert.
- Qui dois-je
annoncer ? A-t-il proféré du bout des lèvres, tout en jetant
un regard méprisant sur la « Boyard » éteinte, collée à la
lèvre supérieure de notre commissaire préféré.
- Tu dois-je
annoncer LE Commissaire Chauguise, toi le zèbre, et quitte cet air
con tout de suite, biscotte tu me gonfles… Cappice ?
Un peu décontenancé,
le majordome les a drivé jusqu’au salon. Madame Michemin est
effondrée dans un fauteuil Voltaire, elle tamponne constamment ses
yeux gonflés et rougis. Sur la banquette Louis-Philippe se tient
Madame Michemin mère, style vieille douairière. S’adressant à sa
belle-fille :
- Un peu de tenue,
Gladys, nous avons tous de la peine, il est inutile de se donner en
spectacle.
Levant ses yeux
mouillés de larmes, la Gladys en question lui répond :
- Foutez-moi la
paix, vous et vos bonnes manières, je vous emmerde ! Et puis
d’abord, j’en ai marre de ce prénom dont vous m’affublez, je
m’appelle Georgette et non Gladys, c’est compris ? Sur ce,
elle se lève et s’enfuit en courant.
- Excusez-la,
Monsieur le commissaire, le chagrin la bouleverse…
- Elle me plaît à
moi, cette petite, déclare Chauguise l’air goguenard. Ecoutez,
Madame, je souhaiterais revoir la nurse, mademoiselle… Euh…
- Cathy, Cathy
Pinddleton. C’est une Anglaise, de Londres. Une perle, elle a servi
un temps à Buckingham Palace, pensez donc.
- Je pense, chère
Madame, même que je ne fais que ça ! Je pourrais lui parler ?
- Elle se repose
actuellement : le choc, vous comprenez. Nous ne lui en voulons
pas, mais tout de même elle avait en charge notre cher Edmond,
L’HERITIER, vous comprenez ?
- Bien sûr, je
comprends, Madame. Dans ce cas, dites-lui qu’elle passe au 36
demain matin, disons neuf heures, ça ira ?
- Oui, Monsieur le
commissaire, Lucien notre chauffeur la conduira.
- Parfait, il ne
nous reste plus qu’à prendre congé.
Chauguise s’incline
légèrement devant la douairière puis fait demi-tour, Julien sur
ses talons.
Le larbin se
précipite afin de leur ouvrir la porte. Au passage, Chauguise lui
lance un regard noir. Puis c’est le retour à petite allure :
l’Avenue Victor Hugo, la Place de l’Etoile, un à droite en
douceur (pour une fois), la descente des Champs Elysées. En cette
année 1954, un film à l’affiche : « La Rivière sans
retour » d’Otto Preminger, avec Robert Mitchum et l’inoubliable
Marylin.
(Dans ma grande
bonté, je vous a dégotté l'affiche)
- Elle est magnifique, cette Marylin, soupire Julien en passant devant le cinéma Normandie.
- N’oublie pas que
t’es fiancé, enchaîne Chauguise, tu veux que j’en parle à ma
fille ? ajoute-t-il, un petit sourire au coin des lèvres.
Ils traversent la
place de la Concorde et emmanchent le quai des Tuileries, longent les
façades bien noires du musée du Louvre, pas encore nettoyées sur
l’initiative d’André Malraux (vous
n’avez pas connu le Paris « crado » d’avant la Vème
République… Moi si !)
Arrivés au pont Neuf, Chauguise lance :
- Continue un peu,
Dugland, j’ai besoin de réfléchir….
Plus loin il se
confie à Julien :
- Tu vois, Dugland,
y’a un truc qui me chiffonne, j’sais pas quoi, mais y’a un truc
qui ne colle pas.
De retour au 36,
Chauguise a expédié les affaires courantes. Rentré chez lui, rue
du Mont Cenis à Montmartre, Juliette sa fifille adorée lui a
préparé un gratin Dauphinois.
- T’es une perle,
ma Juju, je m’demande si Julien te mérite vraiment ?
- Papa ! a
protesté Juliette.
- J’te fais
marcher ma grande, c’est sans doute que je suis un peu jaloux !
Le lendemain,
Chauguise se rend à l’usine. Dans le couloir menant à son bureau,
il voit assise sur le banc une femme d’environ trente-cinq ans,
affublée d’une tenue de nurse digne du début du siècle. Longue
jupe grise, corsage blanc immaculé, une grande pèlerine bleu marine
tenue par deux bretelles croisées devant et, sur la tête, un bonnet
blanc.
Etonnant contraste :
juste à côté, entre deux flics à bâtons blancs, …. Madeleine
Cagnolle, dite Mado, la prostipute en tenue de combat, coiffée de
son improbable gibus.
- Encore toi ?
Qu’est-ce que t’as ENCORE fait Mado ? Emmenez-la moi tout de
suite dans mon casino, dit-il en s’adressant aux deux lardus.
Mado s’est
installée, croisant haut les jambes.
-Bon, repos Mado, tu
fais des heures sup' ou quoi ? Tu vas finir par l'enrhumer ton
p'tit Paradis ! Qu’est-ce que t’as ENCORE fait ?
L’un des flics
répond à sa place :
- Elle a agressé un
de ses clients en lui flanquant un coup de cravache dans l’œil, il
est actuellement aux quinze vingt, pour un examen.
- Ouais, ben tu
sais, mon p’tit Chauguise, c’est l’aut’ endoffé qu’est
rev’nu à la charge après le coup d’talon que je lui avais
flanqué. Il a voulu se venger, il m’a alpaguée, j’ai dû
m’défendre, mon p’tit commissaire. Alors il a morflé un coup
d’cravache dans la tronche. Légitime défense en quelque sorte !
- J’espère pour
toi Totoche qu’il na va pas perdre une gobille, parce que là, t’es
mal barrée !
- Dis donc,
Chauguise, qu’est-ce qu’elle a fait la môme « Pipe Line »
(prononcez à la française) qu’est là sur le banc ? Elle
donne dans les « spécialités » déguisée façon bonne
sœur ?
- Qui ? Quoi ?
- Ben… La frangine
qu’était assise à côté de moi ! Elle tapinait autrefois
rue Brise Miche, devant Saint-Merri ! C’est une British, c’est
pour ça qu’on l’avait baptisée « Pipe Line » rapport à
sa spécialité et ses origines English.
Chauguise s’est
levé d’un bond, il passe la tête dans le couloir et aperçoit la
nurse en question.
- Mademoiselle ?
L’interpellée
lève la tête.
- Vous êtes ?
- Miss Cathy
Pinddleton, je suis la nurse employée chez Madame et Monsieur
Michemin. Vous m’avez convoqué ce matin, ajoute-t-elle avec son
petit accent à bouffer des harengs à la crème Chantilly, et son
visage constellé de taches de rousseur.
- Venez dans mon
bureau, Miss Pinddleton.
La Miss s’est
levée, à son arrivée dans le bureau, Mado l’a regardée bien en
face.
- Salut la môme
« Pipe Line » ! Alors tu fais dans les spécialités à
c’t’heure ?
- Je ne vous connais
pas, a répondu la Miss d’un petit air pincé.
- Ben merde, t’es
gonflée, à un moment on t’appelait même « la ventouse »,
vu que ta spécialité, c’était la turlute de portes cochères,
quand tu tapinais rue de la Goutte d'Or. Faudrait pas m’prendre
pour une cinglée, j’ai pas une araignée dans l’beffroi !
Tu sais, même sapée façon bonne sœur, j’t’ai retapée tout
d’suite : une tronche comme técolle avec des taches de
rousseur comme si t’avais pris un coup d’fusil chargé à la
merde, ça s’oublie pas….
La môme Cathy a
bredouillé une phrase inintelligible. Chauguise a renvoyé tout le
monde, en promettant une fois de plus à Mado qu’il allait essayer
d’arranger le coup. Seule Miss Pinddleton est restée.
Un coup d’gueule
ou deux et elle s’est allongée. Avec l’aide de son mac, Bébert
dit « la chapelure », ils ont mis au point ce qui devait les
mettre à l’abri pour quelques années. Bébert le « fiancé
» kidnappait le bambin, avec la bénédiction de la nurse, ensuite
ils réclamaient une rançon. Une fois le fric encaissé, ils
s’offraient un joli cottage dans la banlieue de Londres. Et Miss
Pinddleton aurait assuré les revenus du ménage en pratiquant des
furtifs de portes cochères. Le gamin fut bien sûr retrouvé sain et
sauf, gardé par un couple de copains de Bébert "la chapelure",
dans un pavillon de la banlieue nord.
Le soir même,
Julien était invité chez son patron. De la tenue ce Julien, il a
apporté une bouteille de Château neuf du Pape 1942.
- Le hasard fait
bien les choses tout de même ! Vous vous rendez compte,
patron ? La nurse qui se trouve juste à côté de Mado, quel
coup de bol ! Dites voir, son protecteur, pourquoi on l’appelle
« la chapelure » ?
- Ah ça, je vais
t’expliquer, Dug… Julien : c’est à cause des pellicules
qui lui tombent sur le veston. Au bout d’un moment, il ressemble à
un pied d’cochon pané !
- Ah la vache !
- Cause correct,
Dug… Julien il y a ma fille à table !
Pour vous Mesdames
un ch'tiot crobard de Chauguise.
P.S : Toutes les
rues citées existent réellement.
ah oui tu t'es délecté sur ce coup là à nous raconter Paris avec l'accent et l'atmosphère d'Arletty :)
RépondreSupprimerTisseuse : C'était surtout le Paris de mes vingt berges, je ne sais pas si c'était mieux "avant", ce que je sais, c'est que 'y circulais assez facilement en voiture, et je me garais encore, aujourd'hui c'est mission impossible, alors métro ! ];-D
SupprimerBen, c'est toute une histoire, dis donc...
RépondreSupprimerUne histoire un peu...péripathétique ! ;-)
J'aime la "rue de la grande Truanderie"...
Le 25 décembre on l'appellera le tapin de Noël ! ];-D
RépondreSupprimerLa rue de la grande Truanderie est située dans le quartier des Halles, près de la fontaine des innocents.
Pas à dire, ça, y a de l'atmosphère !
RépondreSupprimerPour causer correc, bien sûr !
K : Une atmosphère disparue aujourd'hui, le quartier des Halles à l'ancienne était folklo, mais quel bordel ça foutait !!! Tu as connu ?
SupprimerA lire avec l'accent des faubourgs..on s'y croit carrément !
RépondreSupprimerBravo Andiamounet pour cette tranche de vie, mi-Simenon, mi-Blondin...mi-Audiard.
-Ça fait trois « mi » ça ...
-Et alors ? Quand on aime on ne compte pas !
¸¸.•*¨*• ☆
L'autre abruti de Mélenchon qui se moque de l'accent toulousain, pour un mec élu en PACA ça le fout bien ! Moi j'ai l'accent des faubourgs, tu le sais bien belles châsses ! ];-D
SupprimerAh mais quelle ambiance haute en couleurs! On y est dans les "beaux" quartiers de Paris avec Chauguise et les filles de joie - ou de peine ? Bravo pour les dessins Andiamo : ils vont tout à fait bien dans le décor.
RépondreSupprimerEt, au passage, merci pour les bouseux !!! :-)))
Marité : En remontant pas bien loin, nous avons tous un ascendant "bouseux" !
SupprimerJe sais qu'il ne faut froisser personne, ainsi on ne va plus en province, mais en région ! La Charente inférieure est devenue maritime, les basses Alpes, Alpes de haute Provence, du bas ils sont passés en haut !! ];-D