Clairvoyant, le notaire ?
Maître Clary se gare
consciencieusement devant son étude, descend de sa puissante Volvo
noire rutilante. Comme chaque matin, il fait le tour de son bijou -
Maître Clary a toujours eu un faible pour les grosses cylindrées -
à l'affut de la moindre rayure ou trace dérangeante. Comme chaque
matin - Maître Clary aime accomplir les choses dans un ordre
immuable - il ouvre la portière arrière, attrape son manteau et son
chapeau sur la banquette ainsi que sa vieille serviette de cuir
marron.
Il grimpe rapidement les
quelques marches de la maison familiale ancienne, héritée d'une
lignée de gens de lois, où se trouvent ses bureaux. Avant d'ouvrir
la grande porte massive, il jette par habitude un œil sur la plaque
de cuivre apposée sur le côté. L'inscription : "Etude Clary,
notaires de père en fils depuis quatre générations" gravée
au-dessous de la Marianne en laiton flatte son orgueil. Maître Clary
peut être fier : il a réussi ou plutôt la vie a été clémente
avec lui et lui a donné tout ce qu'un homme ambitieux peut désirer
: une étude prospère, une jolie propriété, une belle femme, des
enfants affectueux et de nombreux amis. Maître Clary est un homme
heureux et riche.
Sa fidèle secrétaire,
la première arrivée, sait comment accueillir son patron : une
agréable odeur de café frais se répand dans toute l'étude.
- Bonjour Josiane. Tout
va bien ?
- Bonjour Maître. Je
vous ai préparé le dossier de Madame Desfarges pour le rendez-vous
de 10 heures 30.
- Encore elle ? Mais elle
ne va pas me lâcher ? Je lui ai dit cent fois que je ne pouvais rien
faire.
Maître Clary, quelque
peu contrarié, prend son café quand le téléphone sonne. Josiane
décroche.
- Allo ? Mademoiselle
Valentine ? Mais oui, votre père est là. Ne quittez pas. Je vous le
passe.
- Allo papa ?
- Oui, Valentine. Tu ne
m'appelles pas si tôt d'habitude. Tu as l'air inquiète.
- Papa. J'ai eu si
peur...
- Enfin ma chérie,
dis-moi ce qui se passe ?
- Écoute. Je ne sais pas
trop comment ...Enfin, voilà. Je préfère te lire moi-même ce que
je viens de découvrir sur les réseaux sociaux : "Maître
Clary, le notaire de Grenoble a été retrouvé noyé dans le Rhône."
- Comment ? C'est une
blague, une histoire de fou. Rassure-toi, je suis bien vivant et je
t'invite à déjeuner à midi si tu es libre.
- Papa, il faut faire
quelque chose. Tu ne peux pas laisser passer cette fake news. Cela
nuirait à la renommée de l'étude.
- Vous, les jeunes, avec
votre vocabulaire ...C'est quoi, une fake je ne sais pas quoi ?
- Enfin papa, tu es quand
même au courant : une fake news ou infox est une information qui
circule sur le net sans que sa véracité soit établie. La preuve.
- Ne t'inquiète pas, je
vais appeler mon vieil ami, le commissaire de police Dubois. A midi,
ma toute belle. Je t'embrasse.
Josiane fait irruption
dans le bureau complètement affolée :
- Maître, mon Dieu...Le
téléphone n'arrête pas de sonner. On me demande si...si vous êtes
mort !
- Calmez-vous Josiane.
Valentine m'a tout raconté. C'est une fake news.
- Une quoi ?
- Mais enfin Josiane, il
faudra vous mettre au goût du jour mon petit. Une fake news est une
information fausse. Toute affaire cessante, appelez Monsieur Dubois
au commissariat et demandez-lui de venir immédiatement s'il le peut.
Je me demande qui est l'auteur de cette énormité mais ça ne va pas
se passer tout seul. Ces réseaux sociaux aussi, quelle chienlit tout
de même !
Le commissaire Dubois
arrive rapidement à l'étude et écoute attentivement ce que lui
relate son ami le notaire. Un sourire nait sur le coin de sa bouche.
Il a l'habitude de ce genre de désinformation.
- Bon. Roland, pas grave
tout ça. Je te trouve bonne mine. On va vite savoir d'où provient
le bobard. Je mets sur le coup un de mes inspecteurs, un as en
informatique. Je l'appelle. Tu vois quelqu'un dans ton entourage
susceptible de te créer ce genre d'ennui ?
- Mais non. Tout se passe
bien. Mes clients sont fiables et sensés. Quoique, j'y pense : il y
a cette Desfarges qui me harcèle depuis qu'elle a tout perdu lors de
son divorce. Elle s'imagine que je l'ai escroquée. Je crois qu'elle
perd complètement la tête. D'ailleurs, tu vas la rencontrer, elle a
encore obtenu un rendez vous de ma secrétaire qui l'a prise en
pitié.
A ce moment le portable
du commissaire sonne. Son inspecteur a fait diligence.
- Ah bon, l'infox
provient d'une certaine Madame Desfarges ? Ça tombe plutôt bien :
elle doit être ici dans une demi-heure. Je l'attends et je vais lui
flanquer les chocottes.
Mais pas de Madame
Desfarges à 10 heures 30.
- Étonnant constate
Maître Clary. Elle n'est jamais en retard pour me casser les pieds
avec ses divagations. Je n'ai pas été assez clairvoyant : j'aurais
dû agir autrement avec elle et surtout être plus ferme. Je ne
comprends pas pourquoi elle a fait circuler cette aberration sur
internet. A moins que ce soit une piste : ça ne m'étonnerait guère,
elle est tellement "dérangée" !
Le téléphone du
commissaire sonne à nouveau alors qu'il allait prendre congé.
- Chef, j'ai eu l'idée
de faire un rapprochement entre la rumeur qui parle de noyade et
l'absence de cette personne à l'étude et chez elle. Je ne me suis
pas trompé. On vient de repêcher le cadavre de Madame Desfarges
dans le Rhône.
Ah quelle bonne idée ce renversement de situation !
RépondreSupprimerBien sûr qu'il n'est pas mort, Maître Clary...Je me disais aussi...
J'ai beaucoup aimé ta super histoire, Marité, et ceci n'est pas une « fake news » !
•.¸¸.•*`*•.¸¸☆
Maître Clary ne pouvait pas être mouru Célestine : il a encore un tas de dossiers à mettre à jour et surtout aucun de ses héritiers n'est prêt pour l'instant à reprendre sa suite. ;-)
SupprimerOui, bon… M'enfin… si "les gens" commencent à détourner les consignes d'écriture… ça sert à quoi qu'ON se décarcasse ? N'empêche que c'est une sacrée bonne idée, Marité.
RépondreSupprimerAh, ça c'est bien vrrrai ! Mais tu vois Vegas, ton alter ego à la tête de notre illustre site a bien vu comment rebondir. Et si ça faisait l'objet de la prochaine consigne ? On se rattrape comme on peut...
SupprimerBien vu !!!
Supprimeril n'est effectivement PAS MORT noyé pour le coup :)
RépondreSupprimerpas mort du tout, d'ailleurs !!!
mais en fait pour attirer l'attention sur son suicide, madame Desfarge aurait-elle envoyé cette fausse nouvelle, et orienter les médias sur une malversation du notaire ?
Tu es très forte Tisseuse. Et tu répares ma désinvolture pour le coup.
SupprimerJe tire la langue à Vegas, na !
Excellent.
RépondreSupprimerDubois n'étant pas une flûte, on le retrouvera j'espère dans une prochaine enquête !
K : penses-tu sérieusement que le commissaire fera sortir le loup du bois ? ;-)
SupprimerQui ? Mais qui a dit que la femme était l'avenir de l'homme ! ];-D
RépondreSupprimerEnfin pour une fois Madame Desfarges se sera mouillée.
Un détournement de consigne qui nous réserve un chouette retournement de situation; merci, Marité. Me suis poilé... le cale-bute !
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