HIER
ENCORE
Hier
encore Charles Aznavour était vivant. Plus trop en état de jouer au jeu de
trousse-chemise avec une quelconque gaudeluronne bien sûr, vu qu’il n’existe
pas de féminin à «godelureau» à part ce néologisme-ci, mais assez jeune encore
pour avoir des projets stupides : faire un selfie avec Macron en Arménie,
mourir sur scène comme Molière, se faire souhaiter, à cent ans, un bon
anniversaire par le Carnegie Hall bondé jusqu’à la gueule, réenregistrer ses
titres en rap «qu’est le dernier refuge de la poésie vraie» et tout ça et tout
ça. «For me formidable !» le félicitait-on à la façon de Valentine qui les
avait jolis d’après ce que disait Maurice Chevalier.
Hier
encore Charles Aznavour était vivant. Et pourtant, quand il s’est allongé dans
sa baignoire une petite voix intérieure lui a dit :
- Ne
résiste pas, Charlie ! Ceci est un hold-up ! A partir de maint’nant
tu m’obéis, tu t’laisses aller ! Je suis l’Ankou du lapin, celui contre
lequel on ne peut rien. Je te le jure, sur ma vie et sur celle de Sainte-Anne,
la patronne des Bretons, je ne suis qu’un exécutant. C’est Sainte-Maryvonne, ma
patronne, qui a décidé pérempétoirement que t’as dépassé la date de péremption.
Il faut savoir faire une fin. Vous les vieux vous coûtez un pognon de dingue à
soigner, comme ils disent dans le nouveau monde, vous polluez l’air avec vos
déplacements en avion et les plaisirs démodés qui sont les vôtres sont
désormais insupportables aux oreilles de la jeunesse. Franchement, t’arrives à
les réécouter, toi, les orchestrations de tes chansonnettes ? Allez zou, Papy,
c’est l’heure de faire un œdème pulmonaire !
- OK, je
ne discute pas, a répondu Charles, philosophe. Emmenez-moi voir la Mamma, Edith
Piaf et les comédiens qui m’ont précédé au paradis des artistes. Je dois avouer
qu’à certains moments de fatigue, je m’y voyais déjà.
- Le
paradis ? Tu n’y penses pas ! a dit l’Ankou en partant d’un grand
éclat de rire. Tu n’y penses pas sérieusement tout de même ? Ah le naïf,
lui eh !
Hier
encore Charles Aznavour était vivant et tout de suite après les deux guitares
sur lesquelles il avait composé « Que c’est triste Venise » et ses mille
autres titres ont fait « Plonk » et « Replonk » !
Elles se sont désaccordées d’un seul coup, elles ont sonné le glas, Aglagla, il
y a eu un grand froid et Charles fut mouru.
Comme
annoncé par l’Ankou il s’est retrouvé d’un seul coup dans cet univers-ci :
illustration de Plonk et Replonk |
Ça pourrait être une ferme dans la Bohème des années 1900 ou dans son Arménie
natale avant que la Turquie ne montre qu’elle peut être aussi forte et sinistre
que son café amer.
En fait
c’est la ferme de la Harpe à Rennes-Villejean en 1946.
Les damnés
sont tout juste sortis de l’occupation, de la guerre et de ses horreurs. Ils
sont condamnés à plumer les anges fermiers. Ils ont le regard triste des
migrants de la jugeote qui rêvaient de mondes meilleurs, de paradis sur Terre,
d’Amérique, de lendemains qui chantent. Ce sont les premières victimes du plan
Marshall de Lucifer.
Remballée
la marche des anges ! On les attrape, on les zigouille, on les plume et on
les fait griller comme des poulets ! Les plumes sont envoyées à Hollywood
où elles agrémentent les costumes et les postérieurs des danseuses de Busby
Berkeley. Les girls du Lido et Zizi Jeanmaire adopteront elles aussi ce truc en
plumes.
- Et
les auréoles ? demande Charles, toujours curieux.
- On
en fait des hula hoops pour les poupées Barbie !
Pauvre
Charles ! Quel enfer ! Comme si sa simple mort n’était pas déjà une
punition suffisante : il voulait mourir sur scène comme Molière et il
meurt dans sa baignoire comme Charlotte Corday ! *
* Ou Jean-Paul Marat ? Ou
Claude François ? Je ne me souviens plus des noms du coupable et de la
victime dans cet épisode-là des « Petits meurtres d’Agatha
Christie » !
effectivement, pauvre Charles si c'est son sort :(
RépondreSupprimeril est mieux loti chez Vegas :)
en tout cas, contente de ton retour ici Joe !
Ce Charles ça n'était pas un charlot... Ah bon ?
RépondreSupprimerOh que c'est bon ! Réjouissant et inventif.
RépondreSupprimerUne vision assez tarabiscotée du départ de Charles… forcément c'est du Joe Krapov !
RépondreSupprimerOooouf ! A l'instant où j'ai lu "quand il s’est allongé dans sa baignoire", j'ai craint le pire (voire à Cloclo, mort noyé dans son lit, comme chacun sait... ou Béghin Say ?... mwof).
RépondreSupprimerTu excelles dans l'hommage, cher Joe. Pôskil leu vô bian, n'est-il pô ?
Certains ont dit qu'il avait raté sa mort. Mais qui réussit la sienne ?
RépondreSupprimerTe voilà de retour Joe ? Ravie !
Le lieu de la mort est dérisoire quand il rime avec baignoire !
RépondreSupprimerAh mon oncle, je ne me lasse pas de ton imagination débridée...
RépondreSupprimerArriver à parler du plumage des anges dans un texte sur Aznavour, c'est fort, c'est très fort... ;-)
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