vendredi 26 octobre 2018

Jacques - Clair le notaire ?

« L'autopsie a démontré que Maître Clary, le notaire de Grenoble retrouvé dans le Rhône n'est pas mort noyé. »
Ça alors !
Je me laissai aller contre le dossier de mon fauteuil, le basculant en équilibre sur deux pieds pour observer le journal où ce titre s’étalait en caractère gras. L’élément de mobilier qui en avait pourtant vu d’autres émit un craquement de protestation, comme un gémissement, mais ne céda pas.
Depuis le temps que ce vieux queutard de Clary s’en prenait au moindre jupon de la région – ne négligeant pas, dans une largeur d’esprit qui ne lui était pas coutumière, les pantalons – il fallait s’attendre à ce qu’il fasse le cocu de trop.
Enfin, il aura le cœur au repos pour de bon cette fois.
Peut-être que ce fut la frustrée de trop d’ailleurs, car la rumeur dans notre milieu ne lui prêtait pas un savoir-faire à la hauteur de sa consommation frénétique.
Entre notaires, on passe le temps comme on peut, et persifler sur les petites paresseuses est une occupation comme une autre.
Je relus le titre du journal à haute voix, adoptant un ton un peu sentencieux, avec une légère emphase, presque une diphtongue sur « maître », faisant entendre l’accent circonflexe. La diction de déférence dont nous nous délections sans jamais l’avouer.
Oui, je dois confesser qu’entre notaires, nous avons, comme dit le peuple, un peu le melon.
Alors, pour peu que quelque traumatisme de jeunesse nous ait doté d’une libido disons, enthousiaste, forcément, on bascule dans la consommation. Voire le bizarre.
Une veuve éplorée à l’étude ? On console.
Une fille écrasée par le chagrin ? On console aussi.
Enfin, ça, c’était l’argumentaire fin et raffiné que Maître Clary nous sortait avec aplomb à chaque fin de repas aux Trois Faisans.
Ah, ce vieux salaud.
Ceci dit, s’il n’est pas mort noyé, de quoi est-il mort, le Strauss-Kahn du notariat rhônalpin ? Dodo la sardine lui aurait bouché le porc ?
Hé hé.
Je suis en forme ce matin, moi.
Je laissai retomber mon fauteuil Empire, qui craqua un peu plus fort, pliai le journal que je lançai en direction d’une console Empire, avant de balayer du regard le désordre soigneusement mis en scène sur mon bureau Empire. De quoi impressionner le visiteur et projeter une image de travailleur acharné en rapport avec mes notes d’honoraires.
Par la porte ouverte je vis un coursier déposer une enveloppe sur le bureau de ma secrétaire, et s’en aller en sifflotant.
Le jeune con.
Moi, je n’étais pas payé pour siffloter. Et contrairement à Clary la saumure, « nue » n’allait toujours de pair qu’avec « propriété ».
Pourquoi ne m’étais-je jamais défait de ce mobilier immonde ? Ah oui, je me souviens. C’était celui de Père, et Mère m’en aurait tenu rigueur.
Vous voyez où ça mène, la tradition familiale ?
Je balayai du regard cette pièce triste à mourir.
Il me fallait m’enfuir. Sortir de ce mausolée, dévaler quatre à quatre l’escalier lambrissé au mépris du règlement de copropriété qui en prescrit l’usage bourgeois, bousculer le coursier et...et oui : lui piquer son vélo !
Ça lui couperait le sifflet, d’abord, et puis je pourrais filer comme le vent le long du Rhône jusqu’à…
J’étais déjà debout, quand je me laissai retomber sur le fauteuil.
Qui ne céda pas.
Je ne savais pas monter à vélo.
A cheval oui. Pas à vélo.
Ma secrétaire toqua discrètement. Mon rendez vous de neuf heures était là.
Je la remerciai, puis la rappelai.
- dites moi, Isabelle, le coursier, comment  se déplace-t-il ?
- à bicyclette, Maître, pourquoi ?
- pas à cheval, alors ?
Elle me regarda, amusée et surprise. Deux fossettes que je n’avais jamais remarquées en quinze ans se creusèrent sur ses joues.
- non ! Confirma-t-elle en riant.
- dommage...vraiment dommage. 

8 commentaires:

  1. vegas sur sarthe27 octobre 2018 à 07:58

    dommage...vraiment dommage… les coursiers à cheval, ça fait tellement plus Empire :)

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  2. Jubilatoire ce monologue notarial...
    J'ai vraiment adoré.
    Comment ne pas avoir la vie qui empire au milieu de tous ces meubles du même nom ? ;-)
    •.¸¸.•*`*•.¸¸☆

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  3. Un côté empire du mâle dans cette caste !

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  4. Son bureau ce sont un peu des poussières d'Empire. ];-D
    Tu t'appelles Jacques, tu parles de notaire... Voici une (vieille) chanson de circonstance.
    https://youtu.be/-pqAFX3mPlM

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  5. Ce n'est pas cette chanson là que j'avais en tête...
    J'ai un temps songé à envoyer mon personnage se défouler chez la Montalan, mais c'eut été pousser le bouchon un peu loin. Qui a dit "gros sabots" ;) ?

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  6. oui très intéressant le parti pris de faire commenter l'annonce par un collègue !
    et de nous faire goûter l'ambiance très "Rotary" des repas "Aux trois faisans"

    on imagine mal que ce notaire ci, coincé dans la tradition familiale, pourrait un jour galoper avec fougue en fonction de ses envies, ou monter sur ses grands chevaux pour envoyer Mère se faire paître :)

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  7. Je ne le trouve pas très en forme ton notaire Jacques. Aurait-il des idées suicidaires ? Bizarre cette envie soudaine de filer vers les bords du Rhône !

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