« L'autopsie
a démontré que Maître Clary, le notaire de Grenoble retrouvé dans
le Rhône n'est pas mort noyé. »
Ça
alors !
Je
me laissai aller contre le dossier de mon fauteuil, le basculant en
équilibre sur deux pieds pour observer le journal où ce titre
s’étalait en caractère gras. L’élément de mobilier qui en
avait pourtant vu d’autres émit un craquement de protestation,
comme un gémissement, mais ne céda pas.
Depuis
le temps que ce vieux queutard de Clary s’en prenait au moindre
jupon de la région – ne négligeant pas, dans une largeur d’esprit
qui ne lui était pas coutumière, les pantalons – il fallait
s’attendre à ce qu’il fasse le cocu de trop.
Enfin,
il aura le cœur au repos pour de bon cette fois.
Peut-être
que ce fut la frustrée de trop d’ailleurs, car la rumeur dans
notre milieu ne lui prêtait pas un savoir-faire à la hauteur de sa
consommation frénétique.
Entre
notaires, on passe le temps comme on peut, et persifler sur les
petites paresseuses est une occupation comme une autre.
Je
relus le titre du journal à haute voix, adoptant un ton un peu
sentencieux, avec une légère emphase, presque une diphtongue sur
« maître », faisant entendre l’accent circonflexe. La
diction de déférence dont nous nous délections sans jamais
l’avouer.
Oui,
je dois confesser qu’entre notaires, nous avons, comme dit le
peuple, un peu le melon.
Alors,
pour peu que quelque traumatisme de jeunesse nous ait doté d’une
libido disons, enthousiaste, forcément, on bascule dans la
consommation. Voire le bizarre.
Une
veuve éplorée à l’étude ? On console.
Une
fille écrasée par le chagrin ? On console aussi.
Enfin,
ça, c’était l’argumentaire fin et raffiné que Maître
Clary nous sortait avec aplomb à chaque fin de repas aux Trois
Faisans.
Ah,
ce vieux salaud.
Ceci
dit, s’il n’est pas mort noyé, de quoi est-il mort, le
Strauss-Kahn du notariat rhônalpin ? Dodo la sardine lui aurait
bouché le porc ?
Hé
hé.
Je
suis en forme ce matin, moi.
Je
laissai retomber mon fauteuil Empire, qui craqua un peu plus fort,
pliai le journal que je lançai en direction d’une console Empire,
avant de balayer du regard le désordre soigneusement mis en scène
sur mon bureau Empire. De quoi impressionner le visiteur et projeter
une image de travailleur acharné en rapport avec mes notes
d’honoraires.
Par
la porte ouverte je vis un coursier déposer une enveloppe sur le
bureau de ma secrétaire, et s’en aller en sifflotant.
Le
jeune con.
Moi,
je n’étais pas payé pour siffloter. Et contrairement à Clary la
saumure, « nue » n’allait toujours de pair qu’avec
« propriété ».
Pourquoi
ne m’étais-je jamais défait de ce mobilier immonde ? Ah oui,
je me souviens. C’était celui de Père, et Mère m’en aurait
tenu rigueur.
Vous
voyez où ça mène, la tradition familiale ?
Je
balayai du regard cette pièce triste à mourir.
Il
me fallait m’enfuir. Sortir de ce mausolée, dévaler quatre à
quatre l’escalier lambrissé au mépris du règlement de
copropriété qui en prescrit l’usage bourgeois, bousculer le
coursier et...et oui : lui piquer son vélo !
Ça
lui couperait le sifflet, d’abord, et puis je pourrais filer comme
le vent le long du Rhône jusqu’à…
J’étais
déjà debout, quand je me laissai retomber sur le fauteuil.
Qui
ne céda pas.
Je
ne savais pas monter à vélo.
A
cheval oui. Pas à vélo.
Ma
secrétaire toqua discrètement. Mon rendez vous de neuf heures était
là.
Je
la remerciai, puis la rappelai.
-
dites moi, Isabelle, le coursier, comment se déplace-t-il ?
-
à bicyclette, Maître, pourquoi ?
-
pas à cheval, alors ?
Elle
me regarda, amusée et surprise. Deux fossettes que je n’avais
jamais remarquées en quinze ans se creusèrent sur ses joues.
-
non ! Confirma-t-elle en riant.
-
dommage...vraiment dommage.
dommage...vraiment dommage… les coursiers à cheval, ça fait tellement plus Empire :)
RépondreSupprimerJubilatoire ce monologue notarial...
RépondreSupprimerJ'ai vraiment adoré.
Comment ne pas avoir la vie qui empire au milieu de tous ces meubles du même nom ? ;-)
•.¸¸.•*`*•.¸¸☆
Un côté empire du mâle dans cette caste !
RépondreSupprimerSon bureau ce sont un peu des poussières d'Empire. ];-D
RépondreSupprimerTu t'appelles Jacques, tu parles de notaire... Voici une (vieille) chanson de circonstance.
https://youtu.be/-pqAFX3mPlM
Ce n'est pas cette chanson là que j'avais en tête...
RépondreSupprimerJ'ai un temps songé à envoyer mon personnage se défouler chez la Montalan, mais c'eut été pousser le bouchon un peu loin. Qui a dit "gros sabots" ;) ?
oui très intéressant le parti pris de faire commenter l'annonce par un collègue !
RépondreSupprimeret de nous faire goûter l'ambiance très "Rotary" des repas "Aux trois faisans"
on imagine mal que ce notaire ci, coincé dans la tradition familiale, pourrait un jour galoper avec fougue en fonction de ses envies, ou monter sur ses grands chevaux pour envoyer Mère se faire paître :)
Je ne le trouve pas très en forme ton notaire Jacques. Aurait-il des idées suicidaires ? Bizarre cette envie soudaine de filer vers les bords du Rhône !
RépondreSupprimer#BalanceTaSardine !!! XD
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