Tout a commencé dès le dernier coup de pinceau.
Le grand-père avait posé une toile épaisse pour
protéger ses vieux genoux disait-il et au dernier passage de la brosse il a
regardé avec fierté. Derrière lui, dans son dos deux enfants jouaient en se
courant après et riant à cœurs déployés. La couleur ne lui plaisait pas trop
mais il l’avait peinte avec ce qu’il avait trouvé dans son atelier, un vieux
pot qui lui restait de la porte du garage.
Mon grand-père mettait ainsi fin à trois jours de
travail. Il avait pris des mesures, acheté le bois, scié, poncé, assemblé,
collé, vissé, reponcé, posé, peint et vernis. Pour un gars qui ne bricolait
pas, son truc c’était plutôt les vaches et les arbres, il n’était pas
fâché d’en avoir fini.
C’est la grand-mère qui allait faire sa contente
depuis le temps qu’elle la réclamait cette barrière. Ainsi, le Youki, un chien
de gouttière, ne risquerait plus de se faire écraser par toutes les voitures
qui traversaient le village. Enfin, toutes, il fallait le dire vite, avec celle
du facteur, il devait y avoir trois passages, les jours de grande affluence. Il
s’est levé, s’est reculé : Pour l’instant sa barrière pimpait, fièrote,
dressée comme un rempart de Carcassonne entre le jardin de derrière et la rue
de devant. Elle a gardé son semblant neuf les deux premières années et puis
elle a vieilli comme les genoux du vieil homme, qui a fini par ne plus pouvoir
se lever de son fauteuil, de son lit, de sa vie. Le Youki est mort de diabète,
de trop de bouffe avalée et le temps a continué de passer. La jolie
barrière a commencé à se dépeindre, se délabrer, à perdre des vis, à se ronger
les pattes, à n’avoir plus d’utilité, à ne plus devoir rien défendre, ni
personne. Alors, les grands parents ont rejoint le Youki et la maison est
restée abandonnée, livrée à elle même, aux morsures du froid, aux agressions
des pluies, aux gifles des vents et le plus dégradant: à l'écoulement continu
des années.
Au fond, il était là le véritable tueur.
L’implacable meurtrier des choses humaines. Comme le chantait à peu près
l’autre qui n’avait pas été épargné par l'âge lui non plus :
Le temps est assassin et emporte avec lui les
barrières de bois et les rires des enfants...
je lis ton texte avec la voix de Renaud (Mistral gagnant) bien sûr, mais aussi celle de Léo Ferré (Avec le temps)
RépondreSupprimeril est donc temps de vivre pleinement
Chouette traitement de la consigne.
RépondreSupprimerMais alors elle était de quelle couleur la porte du garage ? ;)
@Cacoune Merci!
RépondreSupprimerD'après vous?
Bravo pour cette belle idée à tuer le temps avant qu'il nous tue... j'aimerais avoir un chien de gouttière aussi, tiens!
RépondreSupprimerle vent se lève, il est temps de vivre ..
RépondreSupprimerbelle idée et très beau texte !
Joliment universel, cette histoire.
RépondreSupprimerIn fact...the age is a very exotic marigold !
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