mardi 31 mars 2015

l'Oiseau - Week-end de bricolage

Fracas de métal contre du métal. Bois qui se déchire. Fer qui pénètre. Les clous s’enfoncent un à un dans les grandes planches de bois blanc. Chaque coup sonne comme le tic-tac d’une horloge colossale et inquiétante. Je suis toujours très régulier quand je frappe. Des années d’expérience, que j’ai… Mes mains s’arrêtent un instant et mes yeux les fixent comme pour leur demander « Alors, on fatigue ? ». Elles leurs répondent en exhibant leurs cals, leurs plaies, leurs rides et une ligne de vie semblant s’étendre sur toute ma large paume. « Non, on ne fatigue pas. On prend notre temps, on en a encore. »
Je remonte mes manches, m’essuie le front et maudit le soleil. L’astre narquois et brûlant qui crame notre patelin, qui assèche nos récoltes, qui fait s’évaporer notre eau. Je déglutis pourtant avec aise. Là encore, l’expérience fait son œuvre. On apprend à vivre avec le désert, et on apprend à survivre sans eau, sans nourriture, juste avec le soleil et ce vent sec et chaud.

On apprend à survivre avec le bruit des balles qui sifflent à la sortie de l’église, le dimanche.

Et je poursuis mon œuvre. Marteau à la main, j’assomme les clous qui éventrent de leur pointe le tendre bouleau. Un bois rare ici… Sa senteur douceâtre me rappelle les grandioses forêts d’Europe et leur fraicheur humide, leur odeur d’humus, leurs oiseaux et leur gibier.
M’interrompant à nouveau je caresse la planche devant moi et profite de son contact rugueux qui me ramène à la réalité. Voilà mon quotidien : de la sécheresse et de la rugosité. De l’âpre et du raide. Je saisis la bouteille posée à côté de moi et en bois une gorgée timide. Âpre et raide, oui. Même plusieurs vies d’expérience ne peuvent t’habituer à ça… Ce goût infect d’alcool frelaté à la poudre et à la sueur. Je crache pour me rincer la bouche, regrettant déjà la disparition de ces quelques gouttes de liquide hors de mon corps.

Je respire et reprend. Il faut que je termine. La cloche de l’église sonne déjà, la messe s’achève. Et quand le dernier écho de cuivre a disparu, ce sont les éperons qui entonnent leur cantique. La poussière se soulève, disparait dans des pans de manteau. Sous des chapeaux à larges bords, des yeux noirs fixent d’autres cache-poussières et d’autres yeux noirs, cachés sous des chapeaux à large bords. Et les éperons s’arrêtent pour laisser place au silence qui précède le bouquet final. J’enfonce le dernier clou quand fuse la première balle. Pose mon ouvrage contre un mur quand tombe le premier corps. Vais chercher d’autres planches car demain, inlassablement, à la même heure, un nouveau corps viendra occuper un nouveau cercueil que je pourvoirai.

Avalant une seconde gorgée de l’immonde breuvage je soupire, contemple mes mains et cette ligne de vie infinie. Et reprennent les coups sur les clous, les clous dans le bois et les balles dans la chair.

4 commentaires:

  1. On dit que la bière désaltère... faut voir

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  2. que voilà un bricolage morbide, mais des plus nécessaires pour ceux qui sont passés de vie à trépas, et pour les survivants encore plus

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  3. L'Arpenteur d'étoiles2 avril 2015 à 21:56

    superbe !!
    on est au cœur de l'Ouest américain des pionniers et dans les forêts de Transylvanie. et le portrait de cet homme, par ses mains qui disent tout, est très réussi

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  4. Merci l'Arpenteur !

    Pas si l'on s'y plonge, Vegas

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