Les cornues.
Chaque année, quand
approchent les fêtes de Pâques, je pense invariablement à ma
grand-mère maternelle. Et à ses cornues limousines.
D'aussi loin que je me
souvienne, je revois cette petite bonne femme aux cheveux argentés,
au visage sans rides et aux beaux yeux gris vert s'affairer dans la
cuisine familiale l'avant veille et la veille de Rameaux.
Elle préparait pour la
fratrie les brioches spéciales qui allaient décorer nos buis.
C'était tout un
cérémonial et rien ni personne ne devait la déranger pendant
qu'elle confectionnait ses pâtisseries. Elle acceptait quelquefois
que je reste avec elle à condition d'être sage et de ne pas
l'interrompre.
Pour moi, c'était la
fête. A califourchon sur une chaise, je ne perdais pas une miette de
ses gestes vifs et assurés. Elle disposait sur la grande table, les
pots contenant la farine, le sucre, le sel, le lait et le beurre.
Sans oublier le panier des œufs. Au levain déjà travaillé la
veille et versé dans une jatte profonde, elle ajoutait un à un et
dans un ordre bien établi tous les ingrédients nécessaires. En
tout dernier, elle allait prendre dans le buffet une petite bouteille
bleue et versait en les comptant, quelques gouttes dans la pâte
qu'elle arrondissait avec des gestes larges. Il fallait ensuite que
cette pâte repose toute la nuit.
J'attendais avec
impatience le lendemain où odeurs et couleurs allaient m'enchanter.
Mais c'était d'abord le découpage et la mise en forme des brioches
qui me captivait. Il fallait qu'elles se présentent disposées en
trois branches. Ma grand-mère n'a jamais su - ou voulu - m'en
expliquer la véritable raison. Elle disait qu'elles étaient
destinées au père, au fils et au saint esprit. Et naturellement,
longtemps j'ai cru que je devais surveiller ma cornue pour que l'un
de ces énergumènes ne me la vole pas !
J'ai appris depuis que
cette coutume avait des origines païennes. Jusqu'au Moyen Age, l'une
des pointes était plus longues que les autres prenant une forme
phallique pour symboliser la fécondité. Un évêque de Limoges mit
fin à ces pratiques en demandant que l'on confectionne des pointes
d'égale longueur. Et, bien entendu décida que la cornue
représenterait la Trinité.
Peu importe ! Qu'elles
étaient belles et parfumées ! Toutes dorées. Bien gonflées. Mais
pas question de les goûter. Il fallait d'abord en garnir notre buis
pour la messe. Grand-mère plantait la tige de bois au milieu de la
brioche et accrochait sur les rameaux des papillotes aux enveloppes
colorées. Pendant toute la cérémonie, je louchais sur les
friandises et léchais mes doigts que je passais en douce sur le
sucre de la cornue. Et il fallait encore attendre la fin du repas
pour pouvoir enfin déguster la gourmandise.
- C'est du gâteau Mémé.
C'est encore meilleur que du gâteau disais-je en dévorant ma
cornue.
- Oui. C'est meilleur ma
fille. C'est du pain bénit répondait-elle.
Pas de bonnes cornues limousines sans... un petit grain de sel :-)
RépondreSupprimerC'est une bonne chose d'avoir rafraîchi cette coutume persistante et les souvenirs d'enfance qui vont avec... Amen
RépondreSupprimerla tradition a du bon, y a pas à dire :)
RépondreSupprimerJe ne connais pas les cornues mais ce texte donne envie d'y gouter même si j'imagine que celles d'une grand-mère ont un petit truc en plus.
RépondreSupprimerChez moi, c'était les cornadelles, gâteau triangulaire, en pâte sablée, légèrement sucrée, percé d'un trou en son centre, décoré de vermicelles en chocolat multicolore. Ce gâteau a complètement disparu..
RépondreSupprimerCôté Charente, c'est la cornuelle, un sablé avec des grains d'anis, à trois pointes, avec un trou rond au milieu, pour y passer une branche de buis, à faire bénir le jour des Rameaux.
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