lundi 23 mars 2015

Chri - Du gâteau

La crise sur le gâteau.

___ Nan, d’abord, tu le sais bien, j’aime pas les gâteaux et à chaque fois tu t’obstines à m’en mettre un sous le nez. Tu le fais exprès n’est-ce-pas ? Tu cherches à m’énerver ? A me faire sortir de mes gonds ?

___ A y est… C’est reparti elle nous refait sa crise sur les gâteaux !

Vivement que tu sois majeure et que tu dégages d’ici parce que ça devient insupportable. Pas une heure, pas un jour où tu ne râles pas, où tu ne rouspètes pas, où tu ne te plains pas, où tu n’est pas débordée de colère, tu sais que tu es pénible à la fin ?

___ C’est toi qui me cherches. C’est de votre faute, en plus j’ai rien demandé à personne, moi. Surtout pas de venir et encore moins de débarquer dans cette famille…

Après ces derniers mots, on n’a plus entendu que la porte se fracasser contre son mur. La colère de feu sur pattes est sortie du jardin en ouvrant la grille d’un coup de pied magistral et elle a foncé droit vers la colline qui dominait le village. C’est là qu’elle allait quand ça n’allait pas, c’est là qu’elle allait quand elle ressentait le besoin de refroidir. En grimpant en apnée ou presque, elle laissait derrière elle des nuages de bouillonnement rageurs, une trainée de rogne, des pulsions de destruction massive, des désirs fulgurants de massacres. Les malheureuses pierres sous ses pieds en prenaient pour leur compte. Les arbustes du chemin semblaient même se courber pour éviter de s’enflammer sous les feux de la tornade incandescente. Elle est arrivée à peu près au sommet, là où la dalle de béton du réservoir affleurait de la garrigue, elle a donné trois ou quatre coups de pieds au sol comme un taureau furieux avant la charge et puis elle a retenu de violents sanglots qui la submergeaient de toute part.

Ce n’était pas le coup des gâteaux qui l’avait mise en rougne, comme souvent quand on entre en colère le problème était ailleurs. Elle seule savait où du reste. Comme elle ne parlait à personne, comme elle gardait tout en elle, son cœur était parfois trop plein.

En vrai, elle n’en pouvait plus de vivre dans cette petite maison de ce petit village, d’aller chaque jour dans un petit bus au petit collège de la petite ville d’à côté… Ce monde là n’était plus assez grand pour elle, elle rêvait d’ailleurs, d’horizons lointains de grands espaces, de foules entières, de capitales vibrantes verticales et animées. Ici, il lui semblait qu’elle s’étiolait, qu’elle dépérissait, qu’elle se fanait. Déjà. Juste avant d’exister vraiment, elle se sentait mourir à petit feu. Alors quand ça lui prenait, elle montait là-haut.

Une fois calmée, elle s’asseyait face au paysage et elle regardait. Alors, une paix intérieure faisait place à la hargne des minutes précédentes. Elle détaillait ce qu’elle voyait avec attention en gravant chaque fumée montant droit comme un point d’exclamation, chaque ferme au loin, chaque bosquet d’arbres, chaque virage de route, chaque alignement vertical de peupliers, chaque parcelle de terrain, chaque sillon de vigne…

Elle savait que plus tard c’est toujours ici qu’elle reviendrait. En attendant elle se mettait tout ça en tête pour pouvoir y penser les jours sombres…

Souvent, apaisée, il lui arrivait d’entendre une voix intérieure et bienveillante lui disant : Tu fais bien ma Princesse, si la vie ce n’est pas du gâteau, il peut arriver, parfois, d’y croiser de jolies cerises…

8 commentaires:

  1. La révolte à fleur de peau. Je pense qu'on est tous passé par là, un jour ou l'autre, dans notre jeunesse. Ce qui fait que ce texte me parle bien.

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  2. Quand tout semble étriqué, trop étroit et que le mal-être s'installe, il est temps que la soupape de sécurité joue son rôle en espérant des jours meilleurs... the cherry on top !

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  3. même adulte on peut encore sentir les soubresauts de nos crises d'ado :(

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  4. Et oui un ado n'est plus un bout de chou à croquer !

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  5. Pour elle, la vie n'est pas du gâteau. Pour l'entourage non plus!...

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  6. La cerise... la crise... les cris... Sic... transit gloria mundi ! Si !

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  7. @ Joe Krapov: L'écrit... Aussi, si?

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  8. J'aime bien cette montée de colère et le calme qui a suivi.

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