Pascal - Science fiction

Les extraterrestres 

  

C’est ma fille qui les a amenés, ils ne voulaient pas venir… Un an que je ne les avais pas vu, ils ont bien grandi… Ils avaient des vraies grimaces de Carême tellement ils étaient contents de me voir…

Mais ce sont des extraterrestres, ces deux gamins ! On n’a pas le même langage ! On n’a pas un sujet de conversation ! On a rien à échanger ! Ils sont dans leur tour d’ivoire et il ne faut pas les déranger. Il ne faut pas les contrarier non plus, sinon on s’expose à tous les dangers ! Fugue, drogue et alcool sont leurs futurs repaires ! Ma fille, au milieu, faisait office de juge-arbitre et ses gamins avaient toujours raison !...

Il n’y a pas de contact possible. On n’a pas les mêmes mots pour exprimer les mêmes choses ! Quand je leur parlais cinéma, ils me répondaient DVD ! Quand je leur parlais des « 101 Dalmatiens », ils me répondaient PS4 ! Quand je leur parlais de sport, ils me répondaient : Super Mario ! Quand je leur parlais disques et trente-trois tours, ils me riaient au nez en me récitant leurs derniers CD ! Quand je leur parlais de mes quelques souvenirs, ce sont eux qui me prenaient pour un extraterrestre !...

« Quoi, Pépé ?... Tu avais une moto avec des roues à rayons ?... Tu cultivais tes salades toi-même ?... Tu ramenais des truites de la pêche ?... Tu regardais des films en noir et blanc ?... Une simple paire de patins à roulettes à Noël ?... Tu es monté dans un avion à hélices ?... Qu’est-ce que t’es vieux… » Ou bien, c’était : « Allez, cela ne se peut pas !... »

D’ailleurs, j’avais fait du poisson au four : des tranches de saumon aux petits oignons. Ils n’en ont pas voulu, ces deux p’tits cons ! Sous prétexte qu’elles n’étaient pas carrées et pas panées ! Il a fallu palabrer un long moment avant qu’ils ne daignent les goûter ! Et encore, ils ont mis du ketchup dessus ! Leur mère en a toujours un tube dans son sac ! Ils ont fouillé dans mon frigo, ces deux gremlins, ils voulaient du Mac Do ! A mon sirop, ils voulaient du coca !... A force de bouffer des pizzas, ils sont à moitié obèses, ces deux louveteaux, mais il ne faut pas leur dire, ça pourrait les vexer et gare à leurs vengeances futures ! Ils sont pleins de caprices et leur mère est à leurs pieds ! Elle est devenue l’esclave de ses deux merdeux de luxe. Ha, les enfants désirés…

« Ta télé, ce n’est même pas un écran plat ! Casse ta tirelire ! Achète un LCD, à cristaux liquides ! T’as le câble au moins ?... T’as même pas Canal !  T’es nul, Pépé ! Tu devrais commander un lecteur Blu-rey !... »

« C’est quoi, ça ?... Une marque de Whisky ?... »

« Tu pourras mettre des clés USB dessus ! »

« Mais toutes mes clés sont sur mon… porte-clés !... »

« T’as pas Internet, Pépé ? Aujourd’hui, avec l’environnement Windows, t’as la vue sur le monde !... »

Celui-là, j’ai voulu le passer par la fenêtre !... 

« Tu pourras surfer sur la toile, Pépé, ouvrir des pps avec Power Point, jouer à Spider Solitaire, écrire tes poèmes avec Word, parler avec des gens à l’autre bout du monde, acheter sur eBay, sur Amazon, vendre sur Le Bon Coin ! Réclamer tout ce que tu veux à Gogole, mais attention aux virus ! Avec Karspersky, t’auras pas de soucis !... »

Celui-là, c’est ma fille qui m’a empêché de le faire…

Je parlais téléphone, ils parlaient IPAD ; je parlais belles lettres, ils parlaient textos ! Ils ont des abréviations que je ne comprends même pas ! Ils ne disent pas qu’ils sont contents, ils envoient des smileys ! Ils en ont qui rient, qui pleurent ou qui boudent ! Les sentiments se dessinent ! Ils m’ont réglé mon portable, mieux que si c’était le vendeur ! Les touches de raccourci, les sonneries, les touches en abrégé : c’est bien simple, je n’ose plus m’en servir ! Toutes les nuits, il sonne à deux heures pile ! Je soupçonne le plus petit de m’avoir fait une farce avec les programmations ! Quand il reviendra, dans un an, je lui demanderai d’arrêter cette fonction…

Nous sommes allés dans ma petite bibliothèque ; comme un passeur de belles histoires, je voulais leur confier le courage de leurs héros de papier. J’ai sorti quelques livres, en vantant les exploits de l’un et de l’autre…

« Hé, Pépé, y a même pas d’images dans tes bouquins !... »

Quand j’ai voulu jouer avec eux au Monopoly, pour passer un moment ensemble, ils ont prétexté des occupations plus individuelles. Franchement, on n’était pas sur la même longueur d’onde. Nous sommes allés au jardin. Ils traînaient la semelle. Ils avaient peur des mouches et des fourmis ! Quand ils ont vu un lézard, ils se sont enfuis en courant !

Quand j’ai sorti mon porte-monnaie, leurs yeux se sont mis à briller, mais quand ils ont vu leurs billets, ils se sont aussitôt renfrognés… Et puis, leur mère s’est levée de sa chaise pour signifier le départ. Ils étaient dans les starting, les deux phénomènes, déjà tout frétillants à l’idée de se barrer de chez moi ! Enfin, ma fille m’a promis de revenir l’année prochaine avec sa progéniture mais je ne suis pas pressé, à part pour la sonnerie du portable… Quand je pense qu’il y en a qui vont chercher leurs extraterrestres sur des planètes lointaines…