S
COMME SERPENT, SERPENTE !
S’il
est une chose que je regrette, concernant le château de S, c’est
bien de n’avoir pas photographié la princesse Galitzine. Je
devrais préciser : le portrait de la princesse Galitzine et de
ses deux enfants, Marie-Thérèse et Emmanuel.
Il
était accroché dans le hall, juste à l’entrée du salon vert, et
les trois personnages au regard doux et sérieux nous observaient
peut-être lorsque nous, indifférents à leur histoire, effectuions
des recherches bibliographiques dans les volumes du National Union
Catalog de la Library of Congress.
Aujourd’hui
les recherches s’effectuent sur Internet et je peux vous dire que
le tableau ne s’y trouve pas reproduit. J’ai même écrit à la
Bibliothèque Nationale de France pour savoir si le tableau avait été
rapatrié à Paris avec la collection Smith-Lesouëf au moment du
déménagement sur le site Tolbiac. On m’a répondu que non, que ce
tableau devait toujours se trouver à S.
Soit.
Si c’est le cas, trouble-t-il encore quelque personnalité
médiumnique comme Aziza O. qui nous avoua un jour, face à ce
portrait, qu’elle entendait des voix ?
- Quelles
voix, Aziza ?
-
C’est une femme enfermée qui crie pour qu’on lui rende ses
enfants.
J’en
frissonne encore aujourd’hui. La jeune vacataire ignorait tout de
l’histoire du lieu, du fait que la princesse avait logé ici et
elle ne savait rien de ce que m’avait conté le relieur bavard du
premier étage.
En
1864, le château de S. avait été racheté par la duchesse de
Chevreuse. Son fils, le duc de Chaulnes, est resté célèbre dans
l’histoire locale et nationale pour avoir été le mécène de
Charles Cros à l’époque où le poète inventeur avait découvert
la théorie de la photographie des couleurs et cherchait à passer
aux travaux pratiques. Le duc l’avait rencontré à Paris et invité
à venir séjourner à S. Il lui avait installé un laboratoire
quelque part dans le château ou dans ses dépendances. Cros avait
pris des clichés, réalisé des épreuves. Le but était de
reproduire un jour le cartulaire de l’abbaye de S. qui se trouve
pas loin. Dans ce coin du département de S., tous les noms de
commune commencent par S. !
Ce
que j’ignore par contre c’est la façon dont ce personnage à
l’air falot est devenu l’époux de cette jolie princesse
d’origine russe. Le sujet de la princesse est tabou dans la ville
de S. Il semble que dans cette contrée-ci on couvre au-delà du
raisonnable les failles des puissants. Nous sommes, encore
aujourd’hui, dans un pays où il n’est pas de bon ton de dire du
mal de « nos maîtres ».
Voici
l’histoire, banale et triviale, comique et tragique à la fois. La
jeune femme n’est, semble-t-il, pas restée insensible aux charmes
du comte de Dion dont elle avait fait la connaissance. Ce monsieur
est bien celui qui fabriqua par la suite les automobiles De Dion
Bouton – oh les jolis phaétons ! -.
Y
eut-il consommation de la liaison ? Y eut-il du coup adultère ?
Il semble bien que oui puisqu’il y eut punition.
On
vit en effet un jour, dans la ville de S., s’avancer une étrange
procession. La jeune princesse russe, en chemise, les cheveux
dénoués, pieds nus, traversa la ville jusqu’à la rivière pour
faire amende honorable comme aux temps jadis : « Demande
pardon, traînée, au pied de la croix, devant tous les bons
chrétiens rassemblés !». La bigote duchesse avait très mal
vu qu’on plaisantât avec les liens sacrés du mariage, qu’on
cocufiât son fiston bien-aimé. Si l’on en croit la médium Aziza,
on lui retira aussi ensuite, à la Sophie, la garde et l’éducation
de ses enfants.
Tout
ceci, bien évidemment, est sujet à caution. Il n’y avait pas à
l’époque cette grande boîte à ragots et à vilenies – ou je
sais, on dit « fake news » ou « infox »
aujourd »hui - qu’est Internet et ces informations que je
vous livre n’auraient jamais dû être libérées.
Mais
que voulez-vous ? La princesse Galitzine est décédée en 1883
à l’âge de 25 ans. Moi je suis parti de S. en 1997. Depuis, mon
imagination serpente.
Il y a tant d'accents de vérité dans ton récit qu'on se demande s'il s'agit vraiment d'un rêve ?
RépondreSupprimerJe confirme que cela serpente sévère ;-)) et c'est tant mieux !
RépondreSupprimerDis voir Joe ce serait plutôt une "fuck new" ?
RépondreSupprimerCombien de femmes furent punies dans ce genre d'histoires, alors que l'homme, quant à lui, était excusé d'avance :(
RépondreSupprimerc'est vrai, il faut le comprendre ce pauvre être, qui ne saurait contrôler ses pulsions, il devait bien être protégé des gourgandines
Otez-moi d'un doute Monsieur l'Historien : "la Sophie" comme vous dites est bien le prénom de la princesse Galitzine ? Et puis, mon Dieu que c'est vilain cet article devant le prénom d'une princesse russe (étonnant venant de vous dont les origines ce me semble...)
RépondreSupprimerEt Aziza, qu'est-elle devenue?
RépondreSupprimerEt Aziza, qu'est-elle devenue?
RépondreSupprimerTu n'aurais pas été influencé par Game of Throne, toi ?
RépondreSupprimer•.¸¸.•*`*•.¸¸☆