Quand j'ai annoncé à Vanessa qu'un colis en provenance de chez Maty était annoncé voie G - j'avais pris l'habitude de dire Voie G parce que Voie Germaine Guèvremont où j'habite, c'est trop long - elle n'a pas eu l'air de comprendre.
Quand
elle a l'air de comprendre, Vanessa abandonne cette moue boudeuse qui
la quitte rarement et son oeil s'éclaire... parfois l'autre aussi.
Alors
j'ai ânonné niaisement: ”Ma chérie, ta bague de fiançailles est
en route” mais ça me crevait le coeur de dire ça comme ça, sans
cérémonie, sans professionnalisme.
Six
mois auparavant j'avais rencontré Vanessa à la gare du Nord; elle
arrivait de La Chapelle, pas d'Aix-la-Chapelle en Allemagne - comme
je l'ai cru longtemps à cause de son accent tonique qui tombe
souvent sur la première syllabe du radical - mais de la station de
métro La Chapelle.
Bizarrement
c'est elle qui me trouva un drôle d'accent, un je-ne-sais-quoi dans
ma “voix” qui la troubla et la poussa le soir même dans mon lit
sans crier gare.
Pourtant
ce qui la mettait dans cet état n'était rien d'autre que mon outil
de travail, un instrument que je bichonnais, que je préservais neuf
mois sur douze des caprices de la météo et que je musclais par des
exercices quotidiens des sterno-cléido-mastoïdiens.
Quand
d'autres préservent la prunelle de leurs yeux, moi je protège mes
cordes et ma glotte; c'est d'ailleurs ainsi qu'elle m'appelle: ma
Glotte!
A
l'heure du coucher lorsque Vanessa souhaîte bonne nuit à sa Glotte,
je ne peux m'empêcher de lui répondre: “J'espère que tu as passé
un bon moment en ma compagnie et je te souhaîte à mon tour un
agréable voyage au pays des rêves”... alors en éteignant ma
lampe de chevet, un astucieux dispositif génère un petit jingle du
plus bel effet et nous nous endormons paisiblement.
Au boulot je fais partie du décor au même titre que l'horloge et la grande verrière mais à la maison j'improvise et c'est ce qui casse la routine et met du piment dans notre couple.
Au boulot je fais partie du décor au même titre que l'horloge et la grande verrière mais à la maison j'improvise et c'est ce qui casse la routine et met du piment dans notre couple.
Par
exemple au lieu de lancer “A table!” comme à la cantine
d'entreprise, je préfère de loin lui annoncer “qu'un service de
restauration est disponible à la salle à manger située entre la
cuisine et le salon”, même si depuis le temps Vanessa a fini par
intégrer la composition de mon trois-pièces...
Depuis peu j'ai été découpé en morceaux, des groupes de mots, des destinations, des horaires, des numéros qui sont alors assemblés par ordinateur et il est même question de passer au tout numérique.
Depuis peu j'ai été découpé en morceaux, des groupes de mots, des destinations, des horaires, des numéros qui sont alors assemblés par ordinateur et il est même question de passer au tout numérique.
Quand
j'ai appris ça je bouillais à l'idée qu'on allait m'entendre dans
3000 gares de France sans jamais connaître mon visage!
Il
y a quelques jours nous attendions le train, Vanessa et moi quand
quelque chose a dit
”Eloignez-vous de la bordure du quai"
d'une voix si synthétique, au timbre si inexistant et sans véritable
intonation - une sorte d'extra-terrestre sans âme ni sensibilité -
que j'en ai eu le souffle coupé.
J'en venais presque à regretter la gouaille des aboyeurs des années 30 !
J'en venais presque à regretter la gouaille des aboyeurs des années 30 !
Alors
j'ai pété les plombs, je me suis tourné vers l'annonceur
imaginaire et je lui ai crié: “Vous allez m'entendre, je n'ai pas
dit mon dernier mot !”
Depuis
je suis aphone - pas iphone mais sans voix - ça m'apprendra à
m'emporter.
Tisanes
au miel et yaourts, c'est le prix à payer quand on a une “signature”
vocale innée.
Hier soir - fatigué et déstabilisé par ces évènements - j'ai téléphoné à Vanessa :“J'arriverai Voie G avec un retard de 15 minutes environ” et j'ajoutai machinalement :”Merci de votre compréhension”
Hier soir - fatigué et déstabilisé par ces évènements - j'ai téléphoné à Vanessa :“J'arriverai Voie G avec un retard de 15 minutes environ” et j'ajoutai machinalement :”Merci de votre compréhension”
Quand
j'arrivai Voie Germaine Guèvremont avec 20 minutes de retard,
Vanessa faisait la gueule, non pas parce que j'avais dépassé les 15
minutes annoncées mais parce que je l'avais vouvoyée!
Elle
voyait dans ce vouvoiement une prise de distance, une fêlure, les
prémices d'une rupture de notre couple.
Comme
je tentais de la rassurer, elle remit sur le tapis un fait pourtant
anodin:
Récemment,
une jeune femme collectionneuse d'annonces m’avait écrit de
Valenciennes pour me demander de lui retrouver une annonce qu’elle
avait perdue. C’était un message des années 80 avec un vieux
jingle! Comme je n’avais plus la cassette, je lui avais
intégralement réenregistré l'oeuvre rien que pour elle et depuis
nous échangions régulièrement.
Ainsi Vanessa me faisait une crise de jalousie à cause de ce timbre unique, de cette tessiture incomparable et de cette élocution parfaite qui l'avaient conquise mais qui lui déplaisaient aujourd'hui. En bref elle me renvoyait dans mes cordes; elle osa même ajouter :”Cette correspondance pour Valenciennes ne sera plus assurée”.
Ainsi Vanessa me faisait une crise de jalousie à cause de ce timbre unique, de cette tessiture incomparable et de cette élocution parfaite qui l'avaient conquise mais qui lui déplaisaient aujourd'hui. En bref elle me renvoyait dans mes cordes; elle osa même ajouter :”Cette correspondance pour Valenciennes ne sera plus assurée”.
C'était
le monde à l'envers.
Trois
jours de silence furent bénéfiques à ma glotte jusqu'à l'arrivée
du colis en provenance de chez Maty... je retrouvais ma voix et
Vanessa son sourire.
Comme
elle ouvrait l'écrin, je sentis comme une corde au cou qui me
pendait au nez.
“C'est
un rubis?” demanda Vanessa.
J'hésitais à répondre mais je lui devais la vérité: ”Non ma chérie, c'est un Corail. On en trouve de moins en moins depuis 2012” et je faillis ajouter “il partira à l'heure”.
J'hésitais à répondre mais je lui devais la vérité: ”Non ma chérie, c'est un Corail. On en trouve de moins en moins depuis 2012” et je faillis ajouter “il partira à l'heure”.
J'avais
planifié pour le lendemain même un charmant périple que je lui
annonçai le plus simplement du monde “au départ de Paris. Il
desservirait les gares de Strasbourg, Munich, Vienne, Budapest et
serait sans arrêt jusqu'à...”
Vanessa
me sauta au cou ce qui ne m'empêcha pas d'aboyer un tonitruant
“Attention au départ”.
Déjà
Vanessa remplissait sa valise d'une montagne de fringues.
Je brûlais d'ajouter: “Assurez-vous que vous n'avez rien oublié" mais pour une fois, j'ai fermé ma boîte tant bien que mal et sa valise aussi...
Je brûlais d'ajouter: “Assurez-vous que vous n'avez rien oublié" mais pour une fois, j'ai fermé ma boîte tant bien que mal et sa valise aussi...
Hommage à Richard...
RépondreSupprimerEn voiture!
RépondreSupprimerVu sous cet angle.... on voyage et on écoute.... autrement!.... J'aime, et sur ce...., je file défaire mes bagages !
RépondreSupprimerTu as aussi prêté ta voix à l'Horloge parlante?...:)
RépondreSupprimerquel charme...à l'ancienne :)
RépondreSupprimerTu as attrapé le virus''S.N.C.F.' ma parole !! heureusement tu as travaillé tes muscles ''sterno-cleido-mastoïdiens''(merci Wiki!!)!Ainsi tu peux préserver ta'' glotte'' et adapter tes annonces à la maison pour Vanessa:o)))
RépondreSupprimerJ'emporte ton texte pour lire dans le train
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