Son permis
d’installation, comme joaillière en main, Pauline, première ouvrier de France, touchait enfin du doigt une petite étoile de
bonheur. Mais que le chemin avait été long, interminable même.
Elle ferma les yeux, et se revit alors qu’elle embrassait
cette profession. Ses parents n’avaient pas parié leurs chemises sur sa réussite. Malgré leur réprobation, elle avait
obtenu, de haute lutte, l’autorisation de
passer le concours organisé par le grand bijoutier de la place Vendôme, Fabrice
Moreau. Les souvenirs alors affluèrent et virent la titiller.
Elle avait décroché un stage chez le créateur, son idole dans la profession, puis
avait été embauchée comme « apprentie ». Ici il fallait savoir
tout faire, se dégager de l’enseignement dogmatique des écoles et travailler sur du vrai, du concret.
D’abord le dessin précis minutieux d’une pièce…puis la réaliser de A à Z ;
le choix des pierres, des vraies pierres, du métal, de sa couleur et
mettre en valeur leurs plus belles eaux par un serti précis, Fabrice tenait à cette minutie artisanale qui
n’avait rien à voir avec le travail en série. « Les machines ne savent pas caresser les
pierres » disait-il souvent !
Au bout de trois ans, elle passa seconde dans un des petits
ateliers que Fabrice dirigeait près de Lyon. Ce qui suscita la jalousie
d’Alain, second lui aussi mais depuis bien plus longtemps et dont l’ambition inavouée de passer premier à
l’occasion de l’arrivée de Pauline fut déçue. Il voulait bousculer le vieux
Raymond chef de l’atelier et ainsi montrer son savoir-faire à Monsieur Moreau,
expérimenter ses capacités et prendre enfin la direction du grand atelier
parisien. L’arrivée de Pauline aiguisa son appétit et sa convoitise. Mal lui en
prit !
Alain avait été embauché deux ans avant sans avoir passé le
concours, sur recommandation d’un « ami ». C’était un assez bon
bijoutier mais sans aucun talent. Il n’avait que sa grande confiance en lui
sans aucun caractère créatif…un exécutant seulement mais terriblement prétentieux.
Alain était toujours à l’affût, à la poursuite
de ses chimères. Il croyait être un « géant
« et qu’il allait réaliser de grandes choses. Doté d’un physqiue agréable,
il était aussi séducteur et exercçait ce talent auprès des jeunes employées.
Pauline ne fit pas exception.
L’occasion se
présenta quand Raymond tomba malade. Ce dernier était excellent dans son
domaine professionnel mais dans le domaine privé c’était un alcoolique. Il
passait pas mal de temps au zinc des
bistrots ; il y avait souvent du
vent dans les voiles, son foie en fitt les frais. Contraint de
se soigner, Alain fut promut par intérim premier de l’atelier. Alors l’ambiance
« cocon » se mua en
une ambiance terroriste. Des « fais-ci, fais-çà », à « tu es
sous mes ordres » ou « tu es une incapable et tu fais ce que je
dis » résonnèrent dans la petite salle. Pauline en était agacée sans
plus ; elle dessinait en secret des modèles sur un carnet de croquis
qu’elle travaillait ensuite à l’aquarelle ou au pastel fin.
Or un jour, elle s’aperçut que son carnet avait disparu.
Elle pensait l’avoir oublié dans la chambre forte, là où, la veille, elle avait
remis à Monsieur Moreau, un lot d’émeraudes monté en marquises, une commande
dont la réalisation ne le satisfaisait pas entièrement. Il trouvait les
montures quelconques et avait demandé l’avis de Pauline. Celle-ci s’était
empressée de lui montrer quelques uns de ses croquis qu’il trouva fort
intéressants et audacieux. L’audace voilà ce qu’il aimait. Elle retrouva
son précieux document dans le bureau de Fabrice !
Un matin, pourtant, Alain arriva le sourire aux lèvres et
un air de musique à la bouche ; Il fredonnait une vieille chanson «
C’est la femme aux bijoux ». Il se vanta d’avoir trouvé la merveille des
merveilles ; on allait voir ce qu’on allait voir. Il serait Premier ouvrier
de France. Il créerait son modèle, le chef
d’œuvre, la chance de sa vie en quelque sorte. Il n’allait pas rater
l’occasion ; il allait enfin quitter ce trou où il végétait ! Pendant
plusieurs jours, il travailla d’arrache-pied et le résultat fut étonnant.
Pauline, partie quelques jours en vacances, revint pour
découvrir que le pendentif réalisé avec un rubis orné de diamants poires
délicatement ciselé en marguerite, était ni plus ni moins la copie conforme
d’un de ses modèles. Elle s’en prit à Alain qui lui bredouilla des
balivernes avant de lui répondre :
-
« Et pour quelle autre raison j’aurais couché avec toi ! »
Pauline fut écoeurée. Elle écrivit aussitôt au vieux Raymond avec lequel elle était
restée en contact et qui lui donnait en secret quelques ficelles du métier et à
Fabrice Moreau.
C’est ainsi que l’on retrouva, la veille du concours, Alain
inanimé sur le sol de l’atelier. Sa tasse de café contenait des traces de cyanure. Pas suffisamment pour l’issue
fatale mais suffisamment pour qu’il avoue. Il fut convaincu de vol qualifié,
espionnage et délit de concurrence. Il fut
licencié sur le champ. Raymond avoua très vite, vu son état, il fut laissé en
liberté provisoire mais mourut avant le procès.
Pauline poursuivit son bonhomme de chemin chez Moreau et au
bout huit années de travail, elle pouvait
enfin travailler sous sa propre marque. Aujourd’hui, elle tenait sa vengeance :
elle venait d’embaucher Alain, comme ouvrier monteur dans l’atelier. Leur
future rencontre promettait d’être intéressante
Rivalité, poison, série noire dans le domaine de la bijouterie et du travail, ingrédients intéressants dont quelque romancier bavard eût tiré 400 pages...
RépondreSupprimerBien relaté de plus, bravo.
Zou, on imagine quelques années plus tard... une jeune apprentie, très prometteuse, damera le pion à Alain et Pauline atteinte d'une incurable maladie, se souvenant de son ami Raymond....
RépondreSupprimerChut, c'est le synopsis de la suite de la suite!
Bravo, Lilousoleil, j'aime ! Ton texte fait rêver...
Alain, Raymond, Pauline et les autres... pas facile de sortir d'un panier de crabes!
RépondreSupprimerWaouh ! Un bijou ce texte !
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