mercredi 13 février 2019

Landrynne - Au Chili

Chère Amalia, illustre inconnue,
toi que sur une photographie, telle un tableau, j'ai aperçue. Nous ne nous connaissons pas. Nous ne nous sommes même jamais vues, et ne nous verrons sans doute jamais. Je ne sais de toi que ton nom et ton image, insolite et hypnotique, qui gambade nonchalamment sur la toile...
J'aurais aimé te rencontrer lorsque tu étais dans la fleur de l'âge, au sommet de ta gloire.
J'aurais aimé de mes yeux, contempler l'impavide bleu pétrifié de ta pèlerine. M'émerveiller devant les reflets lumineux sur ta peau d'albâtre. Admirer les dentelles de soie gelée sur ta chevelure. Sentir le souffle de ta froidure qui empli l'atmosphère quand vient le soir...

Il aurait fallu pour cela, m'armer de courage et de patience, et d'un brin d'impudence, pour gagner ton pudique royaume de silence.
J'aurais traversé les océans, dompté de capricieux courants, de sinueux torrents, j'aurais perturbé d'autres flots plus tranquilles, pour me rendre jusqu'à ton reculé domicile.

Je serais arrivée enfin, comme dans son bateau l'aventurier marin, en vue de ta magistrale silhouette sur la rive, et j'imagine que tout se serait figé dans un instant d'indicible poésie. Offerte à la brise légère, ta robe savamment crénelée se serait détachée du décor et du ciel pour plonger au creux de ma mémoire, y peignant une aquarelle jolie.
Je sais que d'autres parmi mes navigateurs amis, plus profanes ou plus hardis, seraient allés jusqu'à toi, irrésistible beauté pâle, jusqu'à caresser de leurs mains curieuses ton coton glacé disposé en rempart...
Je ne sais pas si j'aurais, comme eux, osé fouler de ma présence ton inaccessible manteau immaculé. Je pense plutôt qu'à distance respectueuse, je n'aurais provoqué la rencontre que de nos regards.
Sans doute aurais-je poussé l'audace jusqu'à te prendre en photo, en souvenir du long chemin tortueux parcouru pour arriver jusqu'à toi, et de l'émoi inaltérable que ton image aurait gravé en moi.

Les bleus de nos âmes se seraient croisés, et connus, peut-être même reconnus. Nous aurions discuté en silence du temps qui passe et de la vie. Des cycles que tu as contemplés, de ceux que l'on ne verra jamais. Jusqu'au bout de la nuit. Et jusqu'à l'heure bleue.
Entre ma froideur apparente et ta splendeur glaciale, nous nous serions entendues toi et moi, j'en suis sûre. Bien que j'eusse certainement été la seule de nous deux à être subjuguée, figée d'admiration devant toi, sublime majesté, éclatante au jour telle un diamant pur.
Du haut de ton charme enivrant, avec ton ébouriffée crinière couronnée de glace, tu aurais continué à toiser l'océan.
Chaque jour tu le regardes alors que lentement, mais sûrement, ton éternité se fane peu à peu, inexorablement. Ouvrage cruel et des hommes et du temps.

La vie, chaque jour, gagne du terrain sur tes parcelles austères qu'elle n'aurait jamais du souiller, érodant et colorant le pastel de tes formes si fières. Ton corps s'étiole, petit à petit, tu t'effondres. Paradoxalement, plus la vie avance en ton sein, et plus tu te meurs...
Un jour les épis de ta chevelure auront tous disparu, ne laissant que ta moraine à nu, à force d'usure. Pour combien de temps encore tes reflets d'azur au soleil exposeras tu ?
Pardonne-moi, chère Amalia. Je ne peux rien pour toi, rien de plus que ce que je fais déjà, à l'autre bout du monde.
Je n'admets pas pourtant, tout comme ton coeur, que doucement mes rêves fondent.

Alors je vais continuer à faire de mon mieux, et à rêver, même en sachant que c'est utopiste un peu.
Rêver qu'un miracle rendra l'humanité à la raison et au désir de préserver notre monde à toutes deux.
Rêver de la reconquête de ton immortalité, afin qu'à jamais mon imaginaire et certains yeux aient la chance de se nourrir de ta vue d'immense glacier bleu.

Belle Amalia, adieu.
Landrynne.

/NB/ Amalia est le nom d'un glacier de la cordières des Andes, au Chili.

10 commentaires:

  1. Amalia, tu t'étioles, t'amenuises telle une peau de chagrin. ];-D

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  2. Belle adresse, belle déclaration, Landrynne.
    Etonnant aussi -ce prénom proche-j'y trouve des échos de la célèbre aviatrice.
    Merci !

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  3. De l'épi dans la chevelure à l'épistolaire littérature, j'applaudis ! Saisi...

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  4. Belle rêverie
    qui rappelle le roman de Jérôme Ferrari "A son image"

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  5. magnifique lettre-hommage !
    j'aime ton écriture rêverie :)

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  6. C'est beau, tu as jeté tes mots plein d'amour et de regrets comme une bouteille à la mer...

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  7. Splendide texte, Landrynne
    D'une poésie luxuriante pour décrire une rivière de glace...
    •.¸¸.•*`*•.¸¸☆

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  8. C'est une très jolie déclaration à notre terre , cette lettre à la belle Amalia :-)

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  9. Merci beaucoup à tous.

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