La Marissou des caillades.
Tant qu'il y a eu des vaches à la ferme, ma mère et ma grand-mère ont fabriqué des fromages. En Limousin on leur donne le nom de caillades. On peut les manger fraîches ou bien sèches.
Quand on les consomme fraîches, c'est à dire tout juste démoulées, on peut les déguster selon ses goûts avec du sucre, du miel, de la confiture ou bien encore de la compote de fruits. Certains, ici, aiment y ajouter des châtaignes blanchies.
Pour ma part, je préfère le baptistou. On relève une portion de caillade fraîche avec du sel, du poivre, de l'oignon blanc émincé et des fines herbes, le tout arrosé d'un petit filet d'huile d'olive. Un vrai délice qui faisait la joie de tous pour les goûters quand nous rentrions des prés et des champs. C'était rafraîchissant et revigorant après les durs travaux sous le soleil d'été.
Les femmes de la famille mettaient aussi à égoutter les caillés dans des coupous (faisselles hautes en fer blanc percées de multiples petits trous) sur une griale (récipient profond en terre cuite ) pour récolter le petit lait. Rien n'était perdu. On se servait de ce dernier pour la pâté des cochons. Mais avant d'abandonner le breuvage aux gorets, ma grand-mère en prélevait des pleines couades ( louche ronde en fer blanc ou en bois avec un long manche tubulaire creux et percé au bout pour boire à la régalade) qu'elle lampait avec un plaisir évident.
Elles disposaient ensuite les fromages sur de la paille coupée, soigneusement étalée au fond d'un panier d'osier qu'elles suspendaient ensuite à une solive dans l'arrière cuisine. Il fallait retourner les caillades tous les jours et changer souvent la paille. Une odeur aigrelette qui me soulevait quelque peu l'estomac persistait dans cette pièce.
Pour les repas, on prélevait une caillade très sèche, souvent dure comme du bois et qui s'émiettait, la préférence des adultes et pour nous, les enfants, une plus moelleuse qu'on étalait sur une tranche de pain de campagne cuit au four de la ferme.
J'aimais bien ce fromage crémeux à la jolie couleur jaune pâle mais j'échangeais aussi très souvent ma tartine avec mon voisin Daniel contre un morceau de pain blanc et une portion de bonbel ou de vache qui rit. Nous étions contents tous les deux.
Pendant les vacances, après les foins et les moissons, j'allais quelques jours chez mon oncle et ma tante qui habitaient une autre commune. C'était la fête. Cela commençait bien : je faisais le voyage sur la Terrot du tonton, accrochée à la selle, les cheveux au vent. Tout était différent chez eux qui n'étaient pas paysans. Et on mangeait toutes sortes de fromage : cantal, saint nectaire, bleu d'Auvergne...
Mon plus grand plaisir était de visiter la Marissou, leur proche voisine. Une maîtresse femme, la Marissou ! Plantureuse, le verbe haut, vive et joviale. Pas de petits enfants à gâter alors vous pensez si j'étais bien accueillie ! Toujours une friandise pour moi : bonbons, chocolats, carambars.
Le vendredi chez la Marissou, il y avait les tartes aux caillades. Elle en faisait une douzaine qu'elle allait vendre le lendemain sur le marché, place de la cathédrale à Tulle. Elle avait mis à lever la veille sa pâte briochée qu'elle étalait à grands coups de rouleaux sur la table enfarinée. Elle garnissait ensuite ses tourtières et versait par dessus sa préparation énergiquement fouettée : caillé , sucre poudre et sucre vanillé, farine, œufs, sans oublier la crème fraîche montée en Chantilly qu'elle incorporait délicatement au mélange. Puis elle mettait au four quatre par quatre. Il fallait tout l'après midi mais qu'est ce que ça sentait bon dans la cuisine de Marissou !
Ces tartes ! Un plaisir pour le nez, pour les yeux avec leur jolie couleur dorée. Et le goût ! Bien sûr, la brave femme me donnait une belle portion de celle qu'elle gardait pour Léon, son mari et pour elle. Je me brûlais et les doigts et la bouche en la mangeant mais je ne pouvais pas attendre qu'elle ait refroidi.
Le samedi matin, Marissou se levait tôt pour aller prendre le tacot qui l'emmenait jusqu'à Tulle.
Un poème ce tacot ! Je regrette qu'il ait disparu. Les touristes visitant notre région en redemanderaient. Je l'ai pris quelques fois. Peu confortable avec ses banquettes en bois. Mais que c'était vivant, coloré, odorant, encombré. Les fermières des alentours avaient mis un tablier propre, noir pour les veuves, bleu ou fleuri pour les autres, un tricot de laine fait main par dessus sans oublier le chapeau que l'on portait le dimanche à la messe. Et ça riait. Et ça caquetait autant que la volaille. Même les coups de sifflets retentissants de la locomotive ne couvraient pas le vacarme. Il y avait là dans de grands paniers posés un peu partout, poules, poulets et canards attachés par les pattes, lapins dans des caisses ou cartons remplis de foin.
Dans des cabas en paille avoisinaient poireaux, carottes, salades ...Lors des poussées de cèpes, leur parfum fort dominait tout. Ils étaient soigneusement disposés dans des corbeilles à la vue de tous. Quoi, on était fier des ses trouvailles.
Bien protégés sous des torchons blancs, des piles de tourtous (galettes de blé noir) des mottes de beurre, des œufs et des caillades, beaucoup de caillades. D'ailleurs on appelait ce train le transcailladou. C'est dire.
Et bien sûr, La Marissou montrait ses tartes pour exciter la curiosité des commères qui auraient bien voulu connaître le secret de sa recette. Parce qu'il y avait un secret qu'elle gardait jalousement. Pensez : les bourgeoises réservaient leur pâtisserie des semaines à l'avance. Même les préfètes qui se succédaient à la préfecture se passaient le mot : " sur le marché, achetez les tartes au fromage - caillade leur aurait écorché la langue - à Madame Marie de Naves, vos invités seront subjugués."
Mes amis, je tiens à votre disposition la recette de la Marissou. Mais pour le secret, même si je le connais, je ne crois pas que ni vous, ni moi n'arrivions à la cheville de la brave femme. Et pour cause !
Les gendarmes roulaient en Terrot dans les années cinquante. Aujourd'hui, après BMW, c'est Yamaha qui va équiper les motards de la maréchaussée.
RépondreSupprimerAccrochées à la selle, les cheveux au vent, les caillades ne vont même plus avoir le temps de cailler.
Un beau voyage dans le temps qui nous rappelle qu'on avait un peu plus le temps de voir le temps passer...
Ah, un marissou c'est un marissou !
RépondreSupprimergéniale cette caillade qui peut se déguster aussi bien fraiche que dure comme du bois, ou dans la tarte de la Marissou !
RépondreSupprimermerci pour ce petit voyage en humanité.
RépondreSupprimerVain Dieu ça sent bon le terroir !
RépondreSupprimer