D’ordinaire
et désormais, j’évitais de croiser son regard.
Après
toutes ces années communes, nous en étions arrivés à ce point. Le
temps est un abrasif efficace. Le temps est un laminoir. Le temps est
un destructeur. Massif.
Il
fut un temps où lui jeter un oeil ne me déplaisait pas à ce point.
Il fut un temps où, à la différence, je le scrutais, j’essayais
de voir si tout allait bien s’il n’y avait pas quelque chose à
faire pour améliorer ça, si il avait une chance de plaire ou
simplement d’être remarqué dans la journée, disons dans la
matinée, enfin dans l’heure qui venait, si je pouvais lui faire un
peu confiance, si je pouvais lui accorder un vague petit crédit. Il
fut un temps où je l’envisageais comme un ami fidèle, et parfois
comme un atout, une carte à jouer, un plus.
Mais
ce temps là était fini. Bel et bien fini. Heureusement. Lui et moi
n’en étions plus là. Ce n’était pas encore le divorce mais
nous arrivions à l’indifférence gênée. Nous nous regardions à
peine, vite fait, en passant Et parfois même sans nous voir, l’œil
vague, flou. Un coup d’œil sur l’ensemble et on laisse comme ça.
Désormais, chercher à enjoliver était une vaine tentative. C’est
exactement l’inverse qui arrivait. Il ne fallait plus toucher à
rien. Le mieux était l’ennemi juré du pas terrible. Non mais
regarde moi ça.
Avant,
bien avant il y avait une sorte de lueur un peu vive dans le regard,
une intensité douce et maintenant ? Avant, bien avant, on
pouvait croiser un sourire légèrement grave. Et maintenant ?
Avant, il y a longtemps, on avait quelques chances de rencontrer la
moue maline d’un doute certain. Et maintenant ? La bougie
s’était éteinte. La vie avait mis un terne à tout ça. Exit la
lueur, envolé le sourire, effacée la moue. On y croisait plus que
le poids des années vécues et des pertes engrangées. On y
apercevait plus que les renoncements et les défaites. On y était
confronté qu’au désespoir gentil et à la mélancolie tranquille.
C’est
sans doute pour toutes ces raisons que le matin et toutes les heures
des jours j’évitais soigneusement de croiser mon regard dans
quelque glace que ce soit.
La
peur d’avoir froid.
Certains se regardent dans le regard des autres mais ce n'est peut-être pas mieux...
RépondreSupprimerJ'aime beaucoup "La vie avait mis un terne à tout ça" et j'aime le reste aussi
c'est juste un coup de la presbytie ça :)
RépondreSupprimerblague mise à part, j'aime cette façon d'écrire la possible (car il peut y en avoir d'autres) transformation du regard qu'on porte à son propre reflet
Un texte qui m'émeut ... Un regard posé sur son propre regard ...
RépondreSupprimerJ'aime la façon originale d'expliquer cet état d'âme. Et l'aimable supercherie qui consiste à nous faire croire que ce monologue parle de l'"Autre"...Ceci dit, le texte est plein de nuances qui font un peu froid dans le dos...:)
RépondreSupprimer« La peur d'avoir froid » comme j'aime ! Il est des reflets que le temps nous apprend à éviter ... ;o)
RépondreSupprimerUn très beau texte, j'entends en toile de fond... la chanson de Gabin... "Je sais..."
RépondreSupprimerMerci à vous six pour votre lecture... bienveillante. :-)
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