LE MARCHEUR DU VAL
Un trou de verdure se
reflétait sous l'arche du vieux pont de pierre. Il se lovait entre
ombre et lumière, le soleil jouant, un deux trois, rien ne bouge...
aux clairs-obscurs avec les blancs cailloux de la rivière.
Nulles mousses ne
surgissent entre ses rayons, tout est calme et alangui au fonds du
petit vallon. Tout est si tranquille, tout semble si paisible que
l'on ne se méfie pas de cette eau limpide qui dort. Silencieusement.
On n'entend que les notes mélodieuses d'un léger clapotis et le
chant de quelques grives musiciennes cachées dans les arbres
agrémentant les abords des rives. Malicieusement.
Devant un tel tableau, on
ne résiste pas bien longtemps. L'envie est irrésistible.
On se déchausse, on ôte
ses chaussettes qu'on jette négligemment en tire-bouchon dans
l'herbe verte et fraîche. On remonte en accordéon son pantalon sur
le bas des mollets. On est déjà heureux d'avoir les pieds un peu à
l'air. Comme cela fait du bien après toutes ces heures de marche !
On joue un peu avec ces doigts de pieds en les offrant à la brise
tiède qui virevolte au-dessus de sa tête.
On est un peu excité –
comme de jeunes enfants qui vont se baigner – à l'idée de tremper
un orteil puis deux, puis trois, puis le pied entier et finalement,
le deuxième, dans ce si beau reflet de verdure. L'eau est froide
mais ne glace pas les sangs. On est bien. On sourit béatement. On
s'en fiche. On est seul, on est bien. Les muscles se décontractent,
les pieds délacés, c'est le corps tout entier qui se délasse...
Après ce bain de
jouvence, on s'assoit au bord de la rivière et l'on admire encore ce
joli pont de pierre baigné par une tendre lumière du soleil. On
grignote quelques fruits secs, abricots, figues ou raisins.
Noisettes, noix ou amandes. On boit une rasade d'eau tiédie au
goulot de sa gourde. Puis, presqu'à contrecœur, on se prépare à
nouveau pour continuer sa route. On remet difficilement ses
chaussettes tire-bouchonnées, puis les lourdes chaussures de
randonnée. Le bas du pantalon est légèrement humide mais tant pis,
il séchera bien assez vite au fil des kilomètres restants. Courage,
il est temps de repartir, il reste encore du chemin avant d'atteindre
la prochaine étape. Pour se donner de l'entrain, on sifflote un peu.
Et, comme le dit la
chanson, il suffit de passer le pont... et c'est tout de suite
l'aventure. De l'autre côte de la rive, la lumière semble
différente, le reflet s'assombrit légèrement. On ressent un petit
pincement au cœur sans trop savoir pourquoi puis machinalement on se
met à murmurer ces célèbres vers :
C'est un trou de
verdure où chante une rivière
Accrochant follement
aux herbes des haillons
D'argent ; où le
soleil, de la montagne fière,
Luit : c'est un petit
val qui mousse de rayons.
Et l'on s'attend à tout
instant à trouver allongé à ses pieds le corps d'un soldat au
visage souriant... Un frisson nous parcourt l'échine et le trou de
verdure qui se reflétait encore il y a deux minutes sous l'arche du
vieux pont de pierre prend une teinte rougeâtre. On quitte bien vite
cet endroit qui nous paraissait pourtant si enchanteur en se disant
que ces reflets n'étaient que des miroirs trompeurs, de troubles
doubles déformant la réalité. A moins que cela ne soit
l'inverse...
"les pieds délacés, c'est le corps tout entier qui se délasse" : comme c'est bien vu et bien dit !
RépondreSupprimermais je comprends le trouble qui saisit le promeneur, car finalement n'est-ce pas "trop" beau pour être vrai, pourrait-il exister vraiment de la paix ici bas ?
quoi qu'il en soit, je suis sacrément contente chaque fois que je te lis ici sur les Impromptus :)
Silencieusement, malicieusement, on tremperait bien nos pieds à tes côtés.
RépondreSupprimerTon texte bucolique respire le bonheur simple. J'aime bien le délacé-délassé...
Merci d'avoir fait le détour, Sebarjo
Comme le poème, le texte est magnifique. Merci.
RépondreSupprimerVoilà qui parle au randonneur contemplatif que je suis : la nature n'est pas un terrain de sport pour moi aussi !
RépondreSupprimerUn texte empli de fraîcheur... celle que je goûtais également à la source de la rivière de mon village... les myrtilles bleuissaient nos lèvres gourmandes....
RépondreSupprimerC'est chouette quand tu promènes par ici pour nous mener en bal(l)ade ;)
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