Im. JCP (Toulouse, rue duMay)
Fin de nuit sous la pluie
1
Au terme de trois accidents de réverbère - mal disposés
sur un trottoir onduleux -, je finis par trouver la rue.
Ma rue.
Et la porte vitrée du petit commun.
Celui où j'habite.
Pourtant de cuir noir, le toucher
lisse et l'odeur familière, mon blouson ne contenait dans ses poches ni mes
clés ni mon portefeuille, mais un mouchoir sale, un peu de monnaie, une boîte
de cachous et quelques papiers. Je découvris alors qu'il pleuvait et que,
manches trop longues et fermeture bloquant à mi-course, ce blouson était celui
d'un autre.
Collé au mur, cheveux mouillés
comme à la douche et visage ruisselant, la soirée tequila au Macambo tournait
au vinaigre : au terme de ces chaudes retrouvailles, le désordre de fin de
soirée avait glissé jusqu'au porte-manteau, au moins pour deux des anciens
élèves de l'INSA - dont moi-même.
Misant sur l'honnêteté sans faille
des gens de science, restait le manque d'abri à quatre heures du matin sous la
pluie - et la perspective d'un immédiat plus qu'ennuyeux : voiture inutile sans
clé, impossibilité de réveiller l'immeuble tout entier où je ne connais encore
personne - d'ailleurs, qui descendrait m'ouvrir en pleine nuit à Toulouse ?
Bistrots métro fermés, gare lointaine,
dessous du pont Neuf bourré de SDF cuvant leur pinard verbe haut et geste
imprévisible, je fus heureux d'un abribus tout en haut de l'avenue Jean-Jaurès,
et me blottis tremblant contre la vitre glaciale, fesses mouillées sur le banc
de tôle perforée - inoxydable à point nommé.
- Brrr !...
La pluie ne cessait pas et, sortant
progressivement de son anesthésie éthylique, mon mental charriait des nuages
noirs.
2
Soudain une voix de femme, forte et
assurée :
- Y aura plus de bus à cette heure
tu sais ; mais t'es tout mouillé... viens chez moi, je te réchaufferai...
Une professionnelle des situations
désespérées se tenait campée devant moi, sous son parapluie, la cuisse affirmative
résillée de noir.
- Je voudrais que j'ai pas un rond
- et puis c'est pas le sujet ! répondis-je avec animosité : j'ai paumé mes clés
et j'attends le jour pour rentrer chez moi - encore qu'il me faudra un
serrurier...
Toute disposée à m'entendre (ces
femmes là sont compatissantes), je lui fis connaître mes déboires, ce qui l'anima
beaucoup (ces femmes-là sont férues de fête et de fêtards).
- Bon, bon, t'as l'air sincère et
je te vois bien triste mon Loulou, y sera pas dit que Clara elle a pas bon cœur,
allez, viens quand même te mettre au chaud, je rentrais moi aussi tu vois, je
crèche tout à côté, viens, il est tard... fit-elle d'une voix soudainement
adoucie.
- Mmm...
- T'as pas confiance bien sûr...
- Si...
- Ah mais j'ai pigé, t'as la
trouille que mon mac se pointe ; rassure-toi : il est à l'hostau pour un bon
moment - règlement de comptes ; y croyait faire dans le gros trafic, il a pas
les épaules le pauvre Chou, enfin...
- Euh, t'en parles comme si tu
l'aimais, je sais que vous êtes bizarres, les femmes, mais...
- Hé, c'est mon mac mais c'est mon
mec, il est super avec moi, je suis sa reine qu'il dit toujours, sûr que je
l'aime beaucoup... Bon, tu viens ou tu prends racine ?
- Ouais, c'est d'accord. T'es sympa
; en plus t'étais pas obligée ; je te suis.
- Sympa pour une pute ?
- Non, non, j'ai pas dit ça, au
contraire, y a plein de filles qui feraient pas ça, t'es chouette.
3
Vaste et luxueux mais sans tapage, l'appartement
était très classe (même pour une pute).
- Belle piaule, fis-je admiratif.
- Mon Robert m'en laisse assez, ça
va pour moi. Quitte ces fringues et mets-toi à l'aise. Tu peux te désaper
devant moi, je te sauterai pas dessus ; décontracte-toi, allez, t'es bien ;
là... donne aussi ton slip, on va sécher tout ça.
J'eus le sentiment de me
déshabiller - asexué - en consultation chez quelque toubib des chagrins, et le
fait est que je sentais monter à ma lèvre un sourire sans cause apparente.
Bain à bulles dans la baignoire
monumentale, peignoir de soie, canapé plus confortable qu'un lit, petit
déjeuner royal en tête à tête avec cette jeune femme dont l'étrange beauté
gommait la face connue, amabilité souriante... Je pris congé tout confondu vers
neuf heures, incapable de retenir un "naturel" :
- Je peux repasser te voir à
l'occasion ?
- Mais bien sûr mon Chou, viens
boire le café quand tu veux ; tiens, appelle-moi d'abord à ce numéro là :
Elle glissa une carte dans la poche
de mon blouson trop grand, puis m'embrassa bruyamment sur les deux joues comme
le ferait une vieille amie, et je me retirai, vêtements séchés par des soins de
mère, complètement déboussolé.
Il ne pleuvait plus et les réverbères,
en ordre parfait sur le trottoir rectiligne, resplendissaient sous un soleil
déjà haut.
Qui a dit que ces femmes gagnent à être connues? Celle-ci tient plus de la mère-poule que de la mère-maquerelle
RépondreSupprimerBrassens a pris leur défense en son temps...
SupprimerC'est ce que j'ai tenté de montrer : un peu d'humanité - bien que je n'aie guère d'expérience en ce domaine.
quel périple ! et un beau sauvetage en définitive, et le début d'une amitié :)
RépondreSupprimerce pourrait être aussi le début d'un polar...
Oui, bien figure-toi que je me l'étais dit... l'intro dans le milieu est posée... (pas trop fan de polars - bonne raison pour essayer.)
SupprimerQuelques images en noir et blanc dans ma tête et on se retrouve à quelques choses près à Sin City :) Jolie rencontre !
RépondreSupprimer(Et premier commentaire ici de ma part depuis au moins 5 ans)
Et merci doublement alors, heureux d'avoir retenu ton attention, et de t'avoir incité au commentaire.
SupprimerBeaucoup de tendresse à découvrir entre les lignes...
RépondreSupprimerC'est un peu ce que j'ai voulu, heureux de ta remarque alors, ...deux êtres en manque de tendresse sans doute, et qui ne refusent pas l'occasion, malgré leur appartenance à deux mondes plus que différents. Un peu de frustration maternelle peut-être aussi...
SupprimerEn si peu de temps j'ai pas fignolé, un coup à le reprendre, comme le dit Tisseuse...
Merci !
J'aime bien l'idée de cette rencontre qui ne se termine pas comme on le pense au fur et à mesure de la lecture!La tendresse d'un amour désintéressé, maternel, finalement.Belle expérience:o)
RépondreSupprimerJ'aime beaucoup la photo::o)
RépondreSupprimeron peut être de "petite vertu" et avoir un cœur gros comme ça ! J'ai adoré ton histoire et en plus bien racontée.
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