samedi 9 mai 2015

Blick - Un tiens...

Jeune fille à la licorne

J'étais à la chasse ce matin-là dans une forêt de tecks, cèdres et figuiers des pagodes. Ma petite amie, en sari de chasseresse, marchait sur mes talons, le cor en bandoulière, portant le tromblon, la poudre et les écouvillons.

Ma petite amie est vierge. Mais que je tire un jour un rhinocéros et que j'en broie la corne en poudre, elle ne le sera plus après que nous nous serons couchés sur la mousse cloutée de nigelles et d'anis étoilé, sous un ciel de girofliers.

Nous nous mîmes à l'affût, allongés dans un vallon, le nez dans l'herbe et le curcuma. Comme au tir à la carabine à la foire de Bangalore défilaient au-dessus du talus les antilopes, les oryx et les gazelles, les cerfs et les brocards, les buffles, les vaches sacrées, et même des élèves polytechniciens coiffés de  bicornes, venus en autocar de Delhi.

Cependant ma pétoire, qu'astiquait ma petite amie, s'enraya, en sorte que je ratai toutes ces bêtes à deux cornes. Echappé peut-être de Bollywood, un tigre surgit d 'un bond, qui dispersa sans ménagement cette ménagerie de pacotille dans tout le sous-continent.

Ma petite amie, mussée à l'ombre de branches fleuries de laurier, fixait sur moi ses pupilles de poivre noyées dans le lait de coco, un sourire vermeil à ses lèvres de pavot, ses cheveux de jais touffus comme la cardamome étalés en corolle.

Elle était encore vierge, je l'ai dit, mais cette circonstance nous fut favorable. En effet, tandis que je délaçais d'une main les cordons du sac en patchwork où je garde mon gingembre et mon galanga, de l'autre son corsage brodé de strass, parut une licorne qui se détacha de la tapisserie des feuillages, violemment attirée par sa virginité, et je sus que je ne reviendrais pas bredouille.

Mi cheval et mi chèvre blanche, la barbiche de bouc et les sabots fendus, fleurant bon les cinq sens, elle nous consola de nos trophées manqués. Vers le soir, alors que nous reprenions notre souffle sous un dais de canneliers, les doigts mêlés, ma petite amie, qui n'était plus vierge, caressait encore de sa joue colorée de piment la blanche corne spiralée.

Ravi comme un joueur de sitar, j'écoutai le râga qu'au cœur de la forêt épicée chantait une cascade proche. Les paroles racontent que la corne de la licorne est plus merveilleuse que le légendaire qilin à deux cornes, que personne n'a jamais vu. J'ai lu dans un livre qu'une fontaine fabuleuse, à Château-Thierry, s'en inspira, disant au sujet de poissons : « un tiens vaut mieux que deux tu l'auras ! »



4 commentaires:

  1. Que de poésie dans cette défloration champêtre! La magie de la licorne doit y être pour quelque chose.
    Très belle prose, Blick, comme d'hab...

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  2. Et qui me rappelle un très joli roman...La dame à la Licorne de Tracy Chevalier....

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  3. Verry nice text about the beast...
    What an exotic marigold, in fact.
    Love is the truth !

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  4. le rythme universel étant bien entendu tenu par le son de la tampura :)

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