(J'ai retrouvé le texte que L'Arpenteur avait écrit en septembre 2007 sur les Impromptus lors du thème "L'année de mes 14 ans", et il l'a partagé aussi sur son blog en 2016.
Il n'est pas en mesure de me dire ce qu'il en pense, mais je crois qu'il aurait aimé que je le publie de nouveau aujourd'hui...
Il avait d'ailleurs 14 ans et demi lorsque sa grand-mère maternelle est décédée. Celle qu'il prêtait généreusement à la toute petite cousine que j'étais alors....
Tisseuse)
Il avait d'ailleurs 14 ans et demi lorsque sa grand-mère maternelle est décédée. Celle qu'il prêtait généreusement à la toute petite cousine que j'étais alors....
Tisseuse)
L'année de mes quatorze ans
Le long des couloirs de l’imposant collège, glissent les ombres des
pères en soutanes et les rangs des pensionnaires. J’ai quatorze ans, des
copains une vraie raquette de tennis Donnay, un vrai ballon de foot
Duarig. Un printemps de cerisier en fleur, immense et bruissant
d’abeilles ivres de pollen. Pourtant j’apprivoise doucement celle qui ne
me quittera plus, la solitude.
Ma famille c’est d’abord Elle : un doux visage encadré de cheveux blancs, un regard bleu si tendre, un tablier gris toujours en mouvement devant le fourneau à barre de laiton, un parfum de lavande. L’image simple d’un amour simple. Elle, c’est ma grand mère.
C’est la classe de la communion solennelle, selon la tradition de l’institution mariste où je suis depuis six années. Trois jours de retraite dans un couvent perdu dans la nature. La vie en communauté, les cellules monacales, beaucoup de sport, des moments de réflexion, les messes, les prières, la chorale élévatrice et vibratoire. Ensemble on chante les cantiques en latin mais, quand les guitares sortent enfin de leurs housses, on chante également ceci :
Quand tous les affamés
Et tous les opprimés
Entendront tous l’appel
Le cri de liberté
Toutes les chaînes brisées
Tomberont pour l’éternité.
Je l’ai vécu ainsi, candide et confiant. Au retour, le collège est clos. Tous les établissements scolaires sont fermés. Grève générale dit-on. La cérémonie aura lieu malgré tout. Des dizaines de prêtres, une armée d’enfants de chœur en surplis blanc et nous en aubes avec croix de bois et cierges, et les grandes orgues de la chapelle. Le soleil traverse les somptueux vitraux classés et nous habille d’or et d’azur. Au repas, la famille, mes chers cousins, un ami. Il en reste deux photos pâlies, prises dans le jardin.
Quelque part à Paris on dit « sous les pavés la plage ». On écrit sur les murs « il est interdit d’interdire ». Partout on entend barricades, Sorbonne, Nanterre, cocktails molotov. Un général président et lettré ressuscite la « chienlit » pour l’effarement admiratif des journalistes. J’ai déjà renoncé à comprendre comment va le monde. Je lis Pagnol et Tintin, Sherlock Holmes et Bob Morane. L’oreille collée au transistor rouge et beige, le jeudi après midi, j’écoute Europe numéro un :
Nights in white satin
Never reaching the end
Letter I’ve written
Never meaning the send
Ecoute Frédéric, écoute. Nous avions vingt huit ans à nous deux.
Ecoute depuis le jardin sous lequel tu dors :
Let me take you down, 'cause I'm going to Strawberry Fields.
Nothing is real and nothing to get hungabout.
Strawberry Fields forever …
La révolution est en marche.
Ecoute, Norbert, écoute. Plus tard on sera pilotes de longs courriers.
Ecoute depuis Berlin, ou depuis les Marquises :
Alors chu reparti, sur québecair, transworld, northern
Eastern, western pi pan american
Mais ché pu ou j’chu rendu …
C’est l’année de mes quatorze ans, et la vie s’écoule, remplie de mes rêves d’avenir.
Et puis un samedi après midi. Sortie des cours. Première cigarette.
Mes parents sur le seuil qui semblent m’attendre :
- Qu’est-ce qu’il y a ?
- La grand mère est morte.
Mains pâles sur le drap blanc.
Adieu l’enfance.
Et bé quel texte ! Une grande qualité, avec des mots de tous les jours, et ça n'est pas si facile que ça pourrait en avoir l'air ! ];-D
RépondreSupprimerje ne peux que t'inviter à aller lire ces textes, aussi bien sur ce site que sur son blog :)
SupprimerC'était aussi ta grand mère Tisseuse ? Je reconnais le collège des maristes et pour cause. Beaucoup de tristesse pour l'Arpenteur qui avait une plume délicieuse. Sûr qu'il serait content.
RépondreSupprimerNon Lilousoleil, c'était sa grand mère maternelle, alors que nous avons en commun le côté paternel.
RépondreSupprimerJe sais oui que tu connais cet établissement :)
En 2007 je n'étais pas "né" chez les Impromptus aussi suis-je heureux que ce thème final ait permis de "déterrer" ce petit bijou ciselé façon Arpenteur !
RépondreSupprimerGrosse pensée pour toi, François
:)
SupprimerUn texte très émouvant, je n'avais que trois ans donc pas de souvenirs de cette époque, j'aime vivre l'Histoire à travers le vécu de quelques uns.
RépondreSupprimerj'en avais 4 et demi, mais c'est à travers ce cousin et mon frères et ma sœur que je me suis construite des représentations de ce moment
Supprimer"Cette solitude qui ne me quittera plus." Cette phrase et une autre de Charlebois ont une résonance particulière aujourd'hui. Poignant.
RépondreSupprimerTisseuse, merci d'avoir donné ce texte de l'Arpenteur.
oui, beaucoup de sa tendresse, mais aussi de sa mélancolie dans ce texte
Supprimersa grand-mère maternelle était une brave femme, dans l’iconographie des bonnes grands-mères, physiquement à peu près comme la représentation de Mamie Nova :) la même chevelure blanche, la même bonhomie, le même type de tablier sur lesquelles les mains pleines de farine viennent s'essuyer
et un cœur immense !
bien qu'elle soit décédée alors que j'avais 4 ans et demi, je m'en souviens fort bien
cette époque dans cette institution des maristes avait été très importante pour lui, fils unique
là il était avec tous ses copains :)
il évoque aussi son ami Frédéric, décédé très jeune par suicide :(
et son rêve de piloter des avions (il aura pris des cours de pilotage...)
il souhaitait aussi par dessus tout réussir à publier un livre, et il compilait certaines nouvelles :(
Superbe.
RépondreSupprimerMerci d'avoir repartagé !
Amitiés.
merci beaucoup !
SupprimerTexte très touchant, comme toujours avec l'arpenteur ...
RépondreSupprimerMerci d'avoir partagé son souvenir de l'enfance passée ...
C'est décidément très émouvant d'arpenter les étoiles de ton passé avec toi...
RépondreSupprimer•.¸¸.•*`*•.¸¸☆