J'avais
14 ans.
J'avais
14 ans en 1962. J'étais pensionnaire dans un collège où la discipline régnait,
orchestrée par un directeur d'établissement que je trouvais macho, malsain et
pour couronner le tout particulièrement méprisant avec les enfants venant du
monde rural.
J'ai
vécu des scènes pénibles où cet individu cédait souvent à la tentation, sous
prétexte de faire l'exemple, d'appeler une élève, de la placer au beau milieu
du réfectoire devant tout un parterre de camarades, professeurs, surveillants
et personnel de cuisine. Là, commençait alors son discours avec accusations,
remarques cinglantes, moqueries et que sais-je encore. Pas un bruit. Même pas
celui d'une fourchette. C'est dire. Il n'agissait pas de même avec les garçons. Il
préférait, en cas de problème, leur donner des coups de pied au cul.
Dans
ces circonstances, j'ai entendu pour la première fois le terme « femme
fatale » dont je me demandais bien ce qu'il signifiait, pour fustiger une
« grande » de 3ème qui échangeait des billets doux avec un garçon de
sa classe. Billets qu'il avait malencontreusement interceptés pendant son cours de sciences
naturelles. Pas de quoi fouetter un chat sans doute. Mais la mégalomanie de ce
bonhomme allait jusque là.
J'en
ai fait les frais une seule fois, dénoncée par une surveillante qui trouvait
que je m'opposais trop souvent à elle. J'ai été convoquée dans le bureau
directorial – j'ai échappé à la honte d'être le point de mire de tout le
collège à la cantine – pour entendre le personnage me siffler à l'oreille des
méchancetés, notamment celle-ci : « mademoiselle M. vous n'êtes pas
ici dans la porcherie (!) de vos parents. Veillez à obéir et surveiller votre
langage, langue de vipère ! » Mortifiée comme chacune de mes
camarades qui avaient à souffrir de ces comportements abusifs.
Qu'en
serait-il aujourd'hui où toucher un cheveu
d'un enfant soulève le courroux des parents ?
Personne
ne se plaignait. Personne n'ouvrait la bouche. Ce n'était pas de la
maltraitance à proprement parler mais pour des adolescents, juste des
humiliations qui marquaient et ne s'oublieraient pas. La preuve en est qu'en
pensant à ces moments, je sens encore le
dégoût me submerger. Je revois clairement le visage déformé par un rictus de jouissance de cet homme abject qui se repaissait
visiblement de sa supériorité sur nous, gamins sans défense.
Mais
il y avait bien pire. Cet être infâme se croyait le dépositaire d'un pouvoir
qui allait jusqu'à décider de notre avenir. Ce fut le cas pour moi. Je lui en
veux encore pour cela presque 60 ans après. Ce serait trop long à expliquer ici
mais par sa faute, je n'ai pas fait d'études. Et pourtant, j'aimais l'étude. A
14 ans, je ne pensais qu'à ça. Même pas de flirt : les garçons, je ne les
regardais pas. Pas encore. Ils ne
m'intéressaient pas. Pas même d'autres horizons que mes cahiers et mes livres
et ce qu'ils m'apportaient d'ouverture et de richesse.
Voilà
ce que fut l'année de mes 14 ans. Ajouté
à cela, l'absence en classe pendant
tout un trimestre ayant contracté à la
suite les unes des autres des maladies infantiles telles que rougeole,
coqueluche, oreillons. Trimestre que
j'ai dû rattraper en mettant les bouchées doubles pour ne pas redoubler ma
classe de 4ème.
c'est terrible! ça fait mal, de tels souvenirs, ça fait même mal à ceux qui les lisent, toutes ces années plus tard.
RépondreSupprimerAvec toute mon amitié
Merci Adrienne. Oui, ça fait mal. Je n'oublierai jamais.
SupprimerPardon pour ce texte dont la lecture est difficile. Ce n'est pas ce que je voulais. Mais c'était mes 14 ans avec ces souvenirs les plus marquants.
Comme Adrienne, je suis touchée en plein cœur par ces souvenirs.
RépondreSupprimerL'humiliation est une blessure terrible, mais plus encore, comme tu le dis bien, la cassure dans une motivation vers une voie qui était particulièrement souhaitée : celle des études. Cela crée une disqualification, et peut-être même une amputation de vie :(
Je reçois des personnes dans mon cabinet qui ont vécu de choses similaires, et qui en garde encore la trace aux fers rouges, et la déception profonde.
Merci pour ce témoignage et pour cette confiance !
j'ai encore plus de compréhension sur ce que te fais comme résonance l'annonce de l'arrêt du site :(
et je m'en excuse auprès de toi
Ma chère Tisseuse : je t'en prie, ne t'excuse pas. Cela n'a rien à voir avec ta décision que je comprends très bien. Non, comme je le disais à Adrienne, ce sont les souvenirs qui sont remontés à l'évocation de mes années de collège et particulièrement l'année de mes 14 ans. Mais, en dehors du collège où j'avais des amies - dont une que j'ai encore - j'avais ma famille, la nature et la lecture comme aujourd'hui. :-)
SupprimerC'est un témoignage un peu révoltant je dois dire. Même si le temps est passé, cela n'a jamais pu totalement s'effacer , preuve en est... Je me demande souvent quel est donc l'intérêt d'agir de la sorte...
RépondreSupprimerRévoltant Mapie, bien sûr ! Le problème était que personne ne parlait ou justement se révoltait par peur des représailles.
SupprimerIl n'était pas "macho" il était pervers narcissique, doublé d'un sadique ! Je me souviens du cahier épinglé dans le dos, lorsque le dit cahier était mal tenu, l'enfant incriminé défilait dans toutes les classes ! Cela me faisait peur, je n'ai jamais hué le pauvre écolier, m'imaginant horrifié être à sa place. ];-D
RépondreSupprimerAndiamo : je ne suis pas la seule à avoir vécu de terribles humiliations. Je pense que c'était souvent monnaie courante dans ces années là où les enseignants avaient tous pouvoirs sur les élèves.
SupprimerJe comprends ta rancune tenace, Marité. J'aurai réagi de même, tout garçon que je suis
RépondreSupprimerVegas : si je te disais que bien des années plus tard, j'ai eu à faire avec le bonhomme dans le cadre de mon travail. Une seule fois. Après, je ne l'ai jamais plus revu. Me croiras-tu ? Il m'a demandé pardon. Oui, tu lis bien : il m'a demandé pardon alors que je ne demandais rien. Je manque très souvent d'à propos mais je lui ai répondu que j'étais très heureuse dans le travail que j'effectuais et aussi très heureuse dans ma vie. Tu penses bien que je lui en ai voulu doublement !
SupprimerSi, c'est de la maltraitance, telle qu'elle se pratiquait, hélas, dans les collèges, et encore dans les années 60. Les années 70 ont été plus douces, je pense, se sont fait plus légères, au fur et à mesure que le temps passait. Mai 68 était passé par là. Même si des profs ou des directeurs pouvaient encore être humiliants. Et les enfants se taisaient, persuadés que le corps enseignant avait raison et que souvent, les parents leur donneraient raison ............
RépondreSupprimerQuand tu penses que j'ai connu une école où des élèves ont mis le feu (en sortant des plaques de phosphore du labo de chimie...) c'est le jour et la nuit.
Tu as tout à fait raison Pivoine : les parents privilégiaient toujours les avis des enseignants et ne tenaient absolument pas compte de ce que les enfants disaient. D'ailleurs, les enfants, comme moi, ne racontaient pas sachant très bien que c'était complètement inutile.
SupprimerDes pratiques abjectes.
RépondreSupprimerET forcément des dégâts...
Oui K : des dégâts qui sévissent pendant toute la vie. Et malheureusement, il y a eu aussi d'autres formes de maltraitance. Mais heureusement ce n'était pas le cas dans ce collège.
SupprimerComme je comprends ton dégoût pour cet homme, c'est tellement facile de s'élever en dénigrant, en rabaissant, en ignorant les besoins et les aptitudes d'une personne plus vulnérable.
RépondreSupprimerC'est bien ça Maryline : il savait exactement qui il pouvait manipuler sans crainte.
SupprimerTout cela me laisse un malaise, en tant qu'enseignante, je souffre toujours de lire ce genre d'horreurs, qui dessert tellement la profession. Mais c'était, et c'est encore hélas parfois, une réalité.
RépondreSupprimerUn peu comme les prêtres pédophiles...
Bisous empathiques, chère Marité
•.¸¸.•*`*•.¸¸☆
Merci Célestine ! Tu sais, ce n'était pas seulement dans l'enseignement que l'on voyait ce genre d'agissements nocifs. J'en ai vécu d'autres plus tard dans mon 1er emploi où j'étais la secrétaire (remplaçante) d'un haut fonctionnaire. Il balançait au téléphone à un politique (devenu plus tard président de la République) des horreurs sur les petites gens : paysans, chauffeur...devant moi (il savait bien sûr d'où je venais mais je n'existais pas) Je l'aurais étripé tout sous-préfet qu'il était.
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