mardi 4 juin 2019

Mapie - C'était donc 8h du matin

C'était donc 8h du matin au début du mois de juin... 


En cette saison, les oiseaux nous réveillent tôt et le soleil, s'il darde ses rayons, a la fâcheuse tendance  à agiter les particules en suspend  dès 6h30.

Donc, rien d'insurmontable, sauf que là... le soleil n'y était pas... pas de beaux jours depuis une semaine..et la mer agitée ressemblait à une dalle de béton mouvante.  
Si l'on ne peut prédire ce qu'il va se passer à 8h en début du mois de juin, on peut tout au moins essayer de le programmer. Et croyez moi, c'est vraiment ce que j'ai tenté de faire. Les horaires de marée étaient parfaits, il ne me restait juste qu'à prendre une pelle et creuser un sillon . Les filles aiment ça,  les symboles.. Je le sais. Et je voulais qu'elle sache que pour elle je changerai le cours des choses, j'embellirai le monde, je construirai l'avenir... J'allais écrire l'histoire...
Elle...  C'est Perrine...
Elle vivait chez sa tante à Cricqueville en bessin... petite ville inconnue,  pour qui ne l'a jamais traversée.  Cela dit, qui a croisé Perrine  à Cricqueville ne peut que se souvenir de l'endroit... Elle avait les yeux noisettes  et ses baisers étaient  frais et collants comme les embruns du matin. J'en étais tombé raide dingue  juste après les vacances de Pâques. Il était évident que c'était la bonne.. 
J'enfourchais mon vélo, enfin celui que mon grand frère m'avait confié, et qu'il ne reprendrait plus. Puis je me dirigeais vers la plage. Sous le regard goguenard de soldats en faction, je creusais , je traçais nos prénoms et entourais d'un cœur  le tout,  suffisamment en recul  pour que l'eau n'efface pas  trop vite l'alliance que je gravais.
Lorsque Perrine irait regarder la mer... elle découvrirait à coup sûr la trace de mon passage sur ce lieu désert, à l'abri de la folie des hommes... C'était simple mais tellement évident.  Déballer sur le sable mes sentiments, le cœur vaillant... Perrine n'y résisterait pas!  Le monde était à moi, à nous !


Si l'on ne peut prédire ce qu'il va se passer à 8h en début du mois de juin, on peut tout au moins s'en souvenir...   Je ne sais pas ce qui explique que l'on m'ait laissé tracer sur le sable mon message ce 5 juin 1944... Sans doute étais-je l'élément rassurant , celui qui rendait le lieu anodin, presque " normal"... Toujours est-il  que  le souvenir que j'ai tracé ce matin là, n'a jamais été lu . 

Mon histoire n'a pas eu le temps de marquer le cœur de Perrine. Aujourd'hui, quand je repasse sur la pointe du Hoc , mon histoire  se mêle à la grande Histoire... J'étais un enfant, et je me souviens. J'avais le cœur brisé.

14 commentaires:

  1. Une très belle narration pour un bel élan d'amour, avec l'histoire en second et dernier plan...J'aime bien !

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  2. vegas sur sarthe5 juin 2019 à 17:59

    Il est vrai qu'en ce 5 juin 44, la mer agitée au propre comme au figuré ressemblait à une dalle de béton mouvante...

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    1. La mer agitée est bien la seule chose que je puisse réellement imaginer... le reste continue à sembler tellement inconcevable..

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  3. Un texte émouvant qui colle bien à la réalité du moment.

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  4. Le métis normand/guadeloupéen, caennais de cœur à jamais, petit-fils de résistant(e)s et de déporté(e)s ne peut qu'applaudir cette "blue note" faisant face à l'Histoire avec une belle histoire humaine. Bravo, mapie ♥

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  5. Merci Tiniak, la normande que je suis, est très touchée par ton commentaire ;-)

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  6. Comme il est beau ce texte est tellement évocateur du Débarquement, en lui donnant une touche émouvante d'amour. Et cette folle espérance de temps meilleurs…
    Vraiment une réussite !

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  7. Je n'ai pas les mots, mais j'aime vraiment beaucoup ce texte comme une mise en abyme mêlant les "histoires".

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  8. magnifique et bouleversant ton texte mêlant l'histoire naïve et touchante sur fond de Grande Histoire !

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  9. Merci Tissause. Les petites histoires dans la Grande Histoire me permettent d'imaginer l'inimaginable.

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