dimanche 9 juin 2019

Marité - C'était donc 8h du matin

Lòt, après l'orage.

C'était donc 8 heures du matin au début du mois de juin. Je me levai tôt, prise d'une terrible démangeaison que l'on appelle ici champignonite aiguë. Cette singulière maladie frappe les corréziens au début de l'été et en automne. Je pris le chemin de Lòt, chaussée de bottes en caoutchouc, un panier d'osier au bras, mon Opinel dans la poche et mon bâton de houx à la main.

La matinée s'annonçait claire, lavée de l'orage de la veille.  Des fumerolles éparses montaient du fond de la vallée pour s'accrocher et se perdre peu à peu au flanc des collines. La nature, un temps endolorie par les bourrasques, reprenait ses droits, brillante et odorante. Une belle journée en perspective pour courir la campagne.

Je regardais le ciel et je me disais que lui aussi avait ses humeurs. La veille,  colère en bleu-ardoise, incendié d'éclairs et aujourd'hui tout doux en bleu-dragée avant de s'affirmer bientôt et prendre la couleur bleu-cobalt de l'été. A peine quelques nuages légers et joufflus le parcouraient nonchalamment masquant parfois un soleil pâle, encore une caresse  mais qui ne tarderait pas à infliger les brûlures de ses rayons sur la nature et les gens.

La dernière averse avait creusé de larges flaques sur la piste cabossée. Les arbres en bordure se miraient dans l'eau qui stagnait dans ces minuscules mares, lui donnant une teinte verdâtre. Les genêts croulant sous leur  floraison jaune d'or encore toute mouillée de pluie me fouettaient les mollets au passage. J'avançais,  m'emplissant les poumons de toutes les senteurs de la terre humide, des foins coupés,  de la mousse, des fleurs des talus...Je me penchais parfois, attirée par les minuscules taches vermeilles sur fond vert des fraises des bois. J'en cueillais en évitant la limace rouge et baveuse se hâtant vers son déjeuner ou en me prenant les doigts dans une toile d'araignée  d'où glissaient de fines gouttelettes scintillantes. Tout en marchant, je savourais ces fruits sucrés et parfumés à la menthe sauvage. 

Les oiseaux aussi avaient repris leurs incessants et éperdus pépiements dans les haies où ils s'étaient réfugiés la veille, silencieux, à l'abri des déferlements rageurs de l'orage. Ils me frôlaient au passage, allant et venant à tire-d'aile,  pressés de nourrir leurs petits affamés. J'observai, sur une branche de chêne, le rituel amoureux de deux tourterelles se caressant du bec et se faisant force courbettes. De belles démonstrations d'amour simples et naturelles comme sait en donner à profusion la nature. 

Je débouchai bientôt sur l'étroit sentier qui rejoignait les ruines du moulin. Je longeai sans m'attarder la rive droite de la Vimbelle aux eaux gonflées pour vite atteindre le bois de pins sylvestres où j'étais sûre de débusquer quelques bolétales bruns et rouille. Je sentais déjà leur odeur suave. La chasse allait commencer. 

Il s'agit bien de chasse avant la cueillette. Il faut de la patience pour débusquer le champignon qui se cache derrière une fougère, quelques feuilles mortes oubliées, un pied de bruyère. N'allez pas croire – je dis ça pour les Parisiens qui n'y connaissent rien – qu'il suffit d'aller au bois pour remplir son panier ! Plein d'éléments entrent en ligne de compte pour trouver cette manne limousine : la période allant de paire avec les phases de la lune, un temps humide et chaud, il faut aussi que la terre ait « fleuri »...Enfin je ne vais pas vous dévoiler tous mes secrets.

Je trouve assez facilement les cèpes. J'ai du flair comme un chien à truffes. J'allais lentement, maniant doucement mon bâton. Je ne tardai pas à découvrir quelques beaux spécimens tout frais. On ne pense à rien dans ces moments là. On est tout à son plaisir. 

J'étais tellement occupée, accroupie près d'un arbre, à couper le pied d'un gros bolet, laissant ainsi la partie porteuse du mycélium sur place pour de futures repousses que je ne vis n'y n'entendit la harde de sangliers qui traversait le bois et venait directement sur moi. Parmi eux, une femelle et ses marcassins et je sais qu'il peut y avoir du danger dans ce cas.

Abandonnant panier, cèpes et bâton, je courus me réfugier dans le creux d'un vieux châtaignier providentiellement à proximité. Je laissai passer les animaux grognant et fouissant la terre, écrasant au passage ma corbeille et saccageant ainsi ma précieuse récolte. 

Je ne pus que constater les dégâts. Ce matin là, je revins les mains vides à la maison, fait exceptionnel. Mais je me consolais en pensant qu'à défaut d'omelette, je m'étais régalée, tapie dans le creux de mon arbre, à la vue de la petite famille déambulant tranquillement dans le taillis. 

On ne rentre jamais bredouille d'une promenade à Lòt.

5 commentaires:

  1. Merci pour cette jolie promenade, j'y retournerais tout-à-l'heure ! :)

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  2. Magnifique et plein de passion ! :-)

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  3. Une bien agréable description de cette promenade bucolique l'opinel à la main… pour débusquer les champignons…
    promenade mouvementée toutefois !
    Très sympathique à lire… même si la récolte ne fut pas la mesure des espérances !

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  4. J'adore ! On s'y croirait ! Et très belle morale ☺

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  5. encore une fois une jolie cueillette de phrases glanées lors de tes balades :)

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