mercredi 12 juin 2019

Pivoine Blanche - 14 ans et demi

J'ai quatorze ans et demi, depuis le 21 mars, jusqu'au 20 septembre à minuit… Que vais-je retenir de cette période ?

J'ai quatorze ans et demi, et il y a le premier séjour à l'hôtel Astoria, à la mer, avec mon frère et une bande de jeunes, et un copain qui va m'apprendre à jouer au tennis de table, mais ce n'est pas là que je veux en venir.

J'ai quatorze ans et demi, et nous partons en vacances en Provence, puis, direction Conques en Rouergue et les châteaux de la Loire, pour finir. J'y reviendrai peut-être. A Arles, j'ai rencontré pour la première fois une de mes correspondantes et sa sœur aînée. Nous nous sommes connues grâce à une annonce que j'ai passée dans une revue pour jeunes, J2 Magazine. Nous nous sommes beaucoup amusés, les deux filles, mon frère et moi.

J'ai quatorze ans et demi, on est au mois d'août, je devais repartir à la mer avec mon frère, mais mes parents ont supprimé ce séjour, car j'ai un examen de passage en mathématiques, et il n'est pas question de partir m'amuser, non, je dois faire des maths, des maths et encore des maths, et de la physique aussi.

J'ai quatorze ans et demi quand – examens réussis - j'entre dans ma nouvelle école, le lycée Royal de I***, un lycée de filles, moderne, clair, nouvellement construit, situé dans une petite rue près de la place Fernand Cocq. Pas tellement loin de la bibliothèque communale où nous allons depuis quelques années. On me case en 4ème C, mes parents exigent que je sois en latin-grec, la préfète se bat des pieds et des mains pour sauvegarder sa section de latin-grec (on est trois). On sera finalement 5 ou 7.

Le premier jour, en première heure d'après-midi, on nous donne notre horaire de la semaine. Le lendemain, nous commencerons par le cours de français (à raison de 5 heures par semaine). Le sigle qui représente le prof ne nous dit rien. Les autres ne la connaissent pas.

Le lendemain matin, je suis devant le local de géographie, j'observe les filles autour de moi. Celle qui a un châle en crochet noir et une capeline en dentelle, avec un chou brodé, des jeans à pattes d'eph'. Une autre, qui a de longs cheveux, une veste militaire et des yeux d'un vert d'eau très pâle. J'écoute les conversations… Je suis dans un autre univers. Un peu perdue… Être sortie d'un pensionnat hyper « catho », couleur bleu marine, pour faire un passage éclair dans un lycée mixte où les plus bourgeois arboraient le look le plus John Lennon… Et où les étudiants incendiaient la salle des profs. Pour finalement arriver dans cette école dont mes parents ne voulaient pas entendre parler parce que, parce que… Je saurai tout cela plus tard. Au fur et à mesure du temps qui passe.

J'en suis là de mes réflexions quand une jeune femme franchit la porte du couloir, vive, rapide, un vieux cartable à la main. Le soleil inonde le lieu et je photographie la scène, laquelle, je ne sais pourquoi, restera à jamais fixée sur la rétine de ma mémoire. Une juvénilité extraordinaire se dégage de sa silhouette, peut-être est-ce dû au port du pantalon (de velours noir) et à une jolie veste-marinière verte – un vert indéfinissable. Elle a aussi des yeux verts. Dont je ne vois pas à quel point ils sont lumineux. Et des cheveux courts. Elle s'approche de notre groupe, le traverse, sort une clé, ouvre la porte, nous entrons à sa suite, je m'assois, les bancs sont disposés en forme de U, c'est le prof, je prépare mon quart de feuille rituel pour écrire qui je suis et d'où je viens, et enfin, le cours commence.

A partir de ce moment-là, je perds le fil de l'histoire, je ne le retrouverai que quelques mois plus tard, mais à ce moment-là, je n'aurai plus quatorze ans et demi, j'en aurai quinze, et de quoi commencer un roman. Si et seulement si…

7 commentaires:

  1. toujours cette manière très visuelle de décrire un moment fugace
    en fait c'est l'artiste peintre en toi qui s'exprime là:)
    l'as-tu dessinée, ou peinte cette prof ?

    RépondreSupprimer
  2. Oui, c'est curieux... Ma mémoire fonctionne vraiment par flashes. Après, je dois réfléchir, prendre des notes, reconstruire, et je me rends compte alors que j'ai beaucoup oublié. Mais ce peut être parfois une odeur aussi (l'odeur du charbon, un jour, sur une friche...) ou une chanson...
    Je pense avoir fait des croquis, quand j'étais jeune (un peu plus tard, je veux dire, plus à 14 ans et demi), je n'en ai gardé aucun. Je saurais peut-être le refaire de mémoire, mais ce n'est même pas la peine o;) je voudrais surtout arriver à peindre des sensations, des émotions, une évolution, et surtout, que cela présente un intérêt autre que purement égocentrique (enfin, je ne sais pas quel adjectif employer...)

    RépondreSupprimer
  3. Les images affluent. Très belle évocation !

    RépondreSupprimer
  4. Un bel instant marquant, puisque des années plus tard tu nous le décris minutieusement.

    RépondreSupprimer
  5. Je pense que ce professeur, de part sa jeunesse et son allure décidée et libre a laissé son empreinte sur toi. Peut être parce que tu avais connu dans ton école précédente des professeures très différentes ?

    RépondreSupprimer
  6. Il y a des personnes qui nous éblouissent sans que nous puissions réellement l'expliquer, c'est un joli souvenir que tu décris très bien !

    RépondreSupprimer
  7. J'aurais aimé connaître la suite de cette admiration que je sens pour cette prof formidable.
    Une comme on en a tous eu au moins une fois...
    •.¸¸.•*`*•.¸¸☆

    RépondreSupprimer

Les commentaires sont précieux. Nous chercherons toujours à favoriser ces échanges et leur bienveillance.

Si vous n'avez pas de site personnel, ni de compte Blogger, vous pouvez tout à fait commenter en cochant l'option "Nom/URL".
Il vous faut pour cela écrire votre pseudo dans "Nom", cliquer sur "Continuer", saisir votre commentaire, puis cliquer sur "Publier".