mardi 25 juin 2019

Arpenteur d'étoiles - Nouveau partage

Pour ceux qui ont lu des textes de L'arpenteur sur ce site, vous savez qu'il avait des personnages récurrents, comme ceux des inspecteurs JP Tardy et Dalban.
Je crois que la première enquête qu'il a écrit de ces deux là était pour le thème "Je connaissais le patron" le 6 février 2007.
La plupart d'entre vous n'écrivait pas encore alors sur Les Impromptus.
J'ai souhaité partager aujourd'hui à nouveau cette facette de mon cousin qui était fan des dialogues à la "Audiard", dans cette bonne ville de Lyon qu'il a tant arpenté.

"J’vais d’abord faire les présentations : moi, c’est Jean Pierre Tardy dit JP, inspecteur principal. Lui là, à côté, c’est mon adjoint Jacques Augagneur dit Dalban de par sa ressemblance avec l’acteur Robert Dalban. Au départ c’était pas flagrant, mais il s’est peu à
peu identifié au personnage. Aujourd’hui il en est presque le sosie ; il est même aller jusqu’à cultiver la langue verte. Voilà donc plus de quinze ans qu’on joue aux gendarmes et aux voleurs dans cette bonne ville de Lyon. Plus de quinze ans qu’on bosse ensemble, en « binôme » comme on dit pour faire plus chic.
Il y a un bail que je t’ai rien raconté, c’est vrai. Mais les affaires c’étaient routine et compagnie. Un casse par ci, un enlèvement par là, un assassinat sordide par ailleurs. Rien de très intéressant. 

Mais là, il faut que je te raconte. Bon, comme d’habitude, je vais continuer à t’appeler Georges. Faut pas m’en vouloir, mais c’est plus simple pour ma petite tête de flic. Et puis c’est encore moi qui décide !
Tu vois Georges, cette dernière enquête s’est révélée plutôt…bizarre. On signalait depuis quelques temps des profanations de tombes dans plusieurs cimetières environnant, de la Croix Rousse jusqu’à Cusset. Au début, les médias ont mis ça sur le dos des neo nazis pour la bonne raison que la première victime était un riche industriel d’origine juive. Ah, ça a défilé, tu peux me croire, les journalistes, les hommes politiques, les associations, tous à montrer leurs mines outragées, leurs grands sentiments, leur attachement à la république, leur volonté à défendre la liberté, à lutter contre le racisme ambiant …
etc…On a eu beau faire des descentes dans les milieux nazillo-gothico-sataniques, interroger des dizaines de types au crâne rasé, rien. Pas le moindre soupçon de preuve. L’emballement médiatique a fini par se calmer. Un attentat à Bagdad et tous les chiens ont trouvé un nouvel os à ronger.
Et puis les profanations se sont multipliées. On a réfléchi, observé et il s’est avéré que le lien entre toutes était double : victime riche, voire très riche, décès récent. On a organisé des planques serrées et une nuit on a alpagué deux individus avec pelle et pied de biche près du cimetière de la Guillotière. On les a pas vraiment crus quand ils nous ont dit que c’était pour faire leur jardin et que celui-ci était à coté du champ de navet, juste derrière le mur et que c’était plus court en passant par là.
L’un d’eux était un second voire troisième couteau, sans intérêt. L’autre était « connu des services de police » selon l’expression consacrée. C’était un petit mac de la rue Saint Polycarpe qui avait trois ou quatre filles autour du marché-gare, vers Perrache. Il était célèbre sous le nom de l’indien, pour son profil busqué d’une part et d’autre part parce qu’il fumait toujours en faisant des ronds semblant des signaux codés à l’attention d’une hypothétique tribu.

Il voulait pas trop parler, enfin tout au début. Dalban lui a collé quelques mandales pas piquées des vers et lui a dit rigolard :
- ben tu vois l’indien, t’as vraiment la peau rouge à présent. Maintenant ouvre bien tes esgourdes Géronimo : j’te conseille de causer rapide. Sinon, je vais te faire sauter les ratiches une à une et faudra que t’ailles becqueter à la soupe populaire avec une paille. Si ça suffit pas je pourrais bien m’entraîner au scalp, si tu vois ce que j’veux dire !
- Z’avez pas le droit, qu’il a répliqué l’indien
- Ça tombe bien, a fait Dalban, « j’suis gaucher »
Puis il s’est installé sur la chaise à côté de lui en faisant craquer ses phalanges et l’a regardé dans les yeux, de tout près. Et tu vois, Georges, le Géronimo il a du reconnaître la petite lueur dans son regard ; cette petite lueur étrange qui rend crédible tout ce qu’il peut dire. Alors, il s’est mis à table.
Il était commandité par un fourgue minable de la montée de la Grand’Côte qui voulait arrondir ses maigres fins de mois. Il s’était mis en cheville avec un croque mort qui repérait ce que le défunt avait sur lui avant la fermeture du cercueil. 
Au passage Georges, c’est fou ce que les gens se font enterrer avec des bijoux, des montres, des objets de valeur, à croire qu’il n’ont rien compris à la mort. Où alors ils sont tous persuadés qu’ils emportent au paradis ou en enfer les biens de ce bas monde. Donc le gus de la morgue rencardait, et l’indien agissait à la demande. Un coup de pelle, un de pied de biche et le tour était joué. A eux les bagues, colliers, dents en or (si, si !)… sans risque que les volés n’aillent se plaindre. Même les poignées, si elles étaient un tant soit peu choucardes y passait. Dalban, qui malgré les apparences a des lettres, les a appelés le gang des nécro-sarcophage.

Mandat de perquize en poche on s’est rendu montée de la Grand’Côte, chez le dénommé Augustin Cherchevie, une vieille connaissance. « Ca s’invente pas un blaze pareil » me souffla Dalban en arrivant.
L’enseigne « Antiquités en tout genre » était bien visible sur la façade de la boutique. Un petit homme replet, bien mis, sentant l’après-rasage et la pastille de menthe nous a ouvert et a voulu refermé tout de suite.
- Pas assez rapide, a dit Dalban un pied dans l’entrebâillement, tu vieillis mon vieux Tintin.
- Qu’est ce que vous me voulez, à la fin, j’suis rangé des voitures depuis belle lurette ?
- Des voitures, mais pas des corbillards mon pote. Tu vois on sait tout. Alors tu va nous accompagner gentiment dans ta réserve.
Augustin soupira, rajusta son veston et nous précéda dans la cave voûtée. Une vraie caverne d’Ali Baba remplie jusqu’à la gueule de matériel hi-fi, informatique… et puis dans un casier métallique plusieurs boîtes étiquetées et rangées méthodiquement pleines d’objets, de bijoux.
- ben mon vieux, tu t’laisses pas aller pour un mec à la retraite, Tintin.
- on embarque tout et on fera le tri … Je crois qu’on a tout ce qu’il faut pour t’enchrister, vieux !
Tout à coup Dalban lança un long sifflement. « viens voir ça JP »
- dis donc Tintin tu collectionnes les plaques de cimetières ?
- Ce sont des ex-voto, la plus belle collection au monde, il y en a plus de cinq cent, fit Cherchevie fièrement.
- regarde JP, non mais regarde celui là.
Dalban brandissait une petite plaque en marbre noire sur laquelle était gravée :
« Tu as été chargé par le sanglier que tu chassais
On t’a vengé, camarade On l’a mangé en civet »
L’amicale de chasse de Saint Martin à son compagnon courageux.
- et celle-ci :
« Roger, saches que tu as finalement gagné
le concours du plus grand buveur de Pastis »
- et cette autre en marbre vert veinée de rouge :
« Grâce à toi, le saut à l’élastique a trouvé ses lettre de noblesse »
- arrêtez tout de suite, c’est vous les profanateurs, hurla Augustin. Ces objets sont les dernières marques d’affection aux défunts ; ces phrases ont une vraie valeur pour ceux qui les ont fait graver. Vous devriez avoir honte.
- Et pour celui qui va les piquer sur les tombes, c’est quoi, hein, c’est quoi, répliqua Dalban d’une voix doucereuse ?
- C’est un témoignage, jeune homme, un extraordinaire témoignage qui n’existe nulle part ailleurs. Une étude sociologique sur les mœurs de notre temps.

Et tu vois Georges, c’est là qu’est arrivé le drame. Augustin hystérique s’est jeté sur Dalban. Celui-ci a opéré une gracieuse rotation, a envoyé son bras gauche et a propulsé son adversaire contre le mur. Mais dans sa chute, Cherchevie a bousculé une étagère sur laquelle était rangé quelques uns de ses sacrés exvoto.
L’un d’eux a glissé et lui a fendu le crâne ; il est mort sur le coup.
Sur le marbre rose destiné à un ancien légionnaire était gravé cet épitaphe que je n’oublierai jamais :
« Pleure pas trop fort
Ne t’en fais pas
Adieu, adieu mon colon,
M’en fous la mort
Car déjà ici bas
Je connaissais bien le patron »

2 commentaires:

  1. Truculent ! Pour moi c'est une découverte... Merci. ];-D

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  2. merci beaucoup pour ta lecture et ton commentaire, Andiamo :)

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