mardi 6 novembre 2018

Panserbjorner - Le singe qui aimait les livres


Le singe qui aimait les livres

Maman disait de moi que je suis un singe. Parce que je bougeais tout le temps. Parce que j'aimais grimper aux arbres. Parce qu’à l’école, moi je préférais voir rire les autres, inventer mes histoires,… Et je ne voulais pas qu’on formate mon esprit comme l’école aime tant le faire. Je suis un singe, et on m’oblige à apprendre à voler. Je ne sais pas. Je ne saurai jamais. Alors je suis un singe. Juste un amuseur public. Juste une coquille vide. Enfin, ça, c’est ce qu’ils disent, eux, les « grands », les adultes. Parce que les autres enfants, ils m’adorent. Et leur tirer un simple sourire, même en coin, un regard de soutien, ça fait du bien. A eux, comme à moi. Je le sens, je le sais. Je ne sais juste pas l’expliquer.

On perd notre capacité à trouver mille façons d’utiliser chaque objet, de vivre chaque instant en grandissant. Je le vois bien. Les jeux se perdent, la sensibilité se perd au profit de l’uniformisation, de la bien-pensance. Tout est standardisé. L’école, la famille, le travail, ce qu’on doit faire, dire,… Mais moi je ne vois pas les choses comme ça. Je ne veux pas perdre ça. Je me bats pour maintenir ma naïveté.

J’aimais bien monter aux arbres. Encore, et encore plus haut. Maman me disait tout le temps de redescendre. Plus je montais, plus elle voulait que je descende. Et plus elle m’appelait, plus je grimpais. « Encore, je veux vous voir sous un autre angle. Je ne veux pas de votre ordre social, je ne veux pas de vos lois injustes, que vous-même vous ne savez pas expliquer. » 

Au final, je ne sais pas expliquer grand chose… Vous avez raison. Je ressens plus que je ne sais les choses… Et je lutte contre tout ce que vous voulez m’imposer. Je ne me laisserai pas enfermer dans votre monde, dans votre vie. Si seulement vous pouviez voir le monde comme je le vois…

Et puis un jour, je suis tombé dessus. Un vieil homme qui était décédé, ses enfants avaient mis ses affaires sur le trottoir. Belle image: on se débarrasse du papy trop lourd, comme on se débarrasse de ses affaires, trop encombrantes… Ou peut être est-ce le contraire… Allez savoir. En tout cas, là, à coté du carton, il y avait ce truc tout rapiécé, dépecé, mi vivant mi mort. Je l’ai pris dans les mains. Je n’arrivais pas à savoir ce que c’était au premier abord. Ça puait, ça partait en lambeaux. C’était bizarre. C’était lourd. Et … Ça avait tout l’air d’un truc que je n’aimais pas. Et puis il a glissé de mes mains. Il s’est … ouvert … j’ai reconnu immédiatement… Ils appelaient ça « un livre ». J’en voulais pas. Je me suis toujours débrouillé sans. J’ai détourné le regard d’abord, fier de ne pas m’être fait avoir par cet objet qui dicte une parole unique. Il y en avait plein l’école des trucs comme ça… Je ne voulais pas avoir à faire à un autre truc de cette espèce. J’ai continué mon chemin, les mains dans les poches, le sourire de dédain et de conquérant collé au visage. Je ne m’étais pas fait prendre par leur « livre ».

Un coup de vent. Un bruit de papier, comme un souffle qui m’a arrêté. Et j’ai cru entendre un truc. Alors je me suis retourné. Et là… mon regard fut irrémédiablement accroché par ce que le vent venait de faire découvrir à mes yeux. Dans le livre… Il y avait des dessins dedans. Des dessins qui me parlaient. Je me suis approché, j’ai hésité, longtemps… Mais je me suis quand même baissé. J’ai ramassé le livre dont certaines pages commençaient à tomber… Et j’ai regardé de plus près ce qui me semblait impossible. Il y avait bien des dessins dedans. Des dessins qui me parlaient. Qui racontaient. Je les ressentais, je les comprenais. Il y avait des animaux grimés en humains, des humains qui ressemblaient plus à des animaux qu’à des Hommes. Ça m’a fait rire, moi qui était celui qui faisait rire d’habitude. Ça m’a touché. Comme rien auparavant. Je l’ai feuilleté rapidement. J’ai regardé autour de moi… Personne. J’ai mis le livre dans mon manteau et je suis parti.

Je suis monté au sommet de mon arbre, en bon singe que j’étais. J’ai rouvert l’ouvrage, et j’ai littéralement plongé dedans. Mon sourire de vainqueur de tout à l’heure fut chassé par tellement de grimaces différentes. Je fus transporté par la profondeur de ces dessins. J’ai ressenti des choses que je n’avais jamais ressenties avant, d’une telle intensité. C’en était hypnotisant, addictif. J’étais devenu l’ivre du livre. Je me suis mis à lire ce qu’il y avait d’écrit à côté. Ça parlait de gens dont les noms m’étaient inconnus : Granville, Doré et tant d’autres.
Un livre qui parlait d’illustrateurs. J’en avais jamais entendu parler… Du dessin plus fort que du texte… Alors qu’on nous bouffe la tête en nous disant que seul les livres sans images valent la peine, au risque d’être un très péjoratif « bébé ». Je me retrouvais dans les histoires de ces artistes, de ces passeurs d’émotions, dans les méandres de leur vision du monde et de la société, dans leur envie de ne pas se conformer et de vouloir à tout prix montrer le monde au-delà des mots et des apparences si chèrement défendues à leur époque. Ils voyaient des choses que les autres ne voyaient pas, ils ressentaient ce que les autres ne comprenaient même pas. Ils croquaient au sens propre le monde, et en rendaient différents morceaux choisis au travers de leurs dessins, caricatures, illustrations. Ils transformaient le monde. J’ai dévoré leur vie, leur univers, comme si je n’avais jamais mangé. C’était si bon !!! Si bon de voir que dans le monde il existe de telles personnes, que je n’étais pas seul au final à voir les choses différemment. Même deux siècles plus tard, ils ont su transformer mon propre monde.

Alors ont commencé mes fouilles. Il fallait que j’en sache plus. Toujours plus, sur ces gens qui voient le monde autrement. Je me suis mis à lire, de manière effrénée. A aller sur les trottoirs, les quais, à rechercher partout les moindres livres un peu oubliés, un peu abîmés, les vrais livres comme j’aimais dire. Et je les dévorais, et plus je les dévorais plus ils me déformaient, et me formaient, me faisant oublier mon paradigme premier, mes problématiques, me faisant me questionner encore plus sur le monde, sur les autres.

Au sommet de mon arbre, des livres plein les branches, je m’envolais. Mes yeux s’ouvraient. Mon cœur se débarrassait de ce qui l’harassait depuis toutes ses années. Mes poumons s’ouvraient à des vents de libertés et de renouveau. J’entendais toujours ma mère m’appeler. Et je ne redescendais toujours pas de mon arbre, mais là, c’était différent. Je l’ai regardée gesticuler, pousser des cris. C’est là que j’ai compris : Je n’étais plus singe. C’était eux, eux tous en bas, qui étaient les singe de ce monde, à jouer la comédie, à imiter sans inventer, à faire de ce monde uniquement ce qu’il était déjà auparavant, dont les actions sont purement pavloviennes. Mais non, je me regarde. Je leur ressemble tellement à première vue. Je suis singe aussi. Mais… moi, je suis le rusé qui a été trouvé par les livres; je suis le malin qui a su se trouver et trouver le monde dans les livres; je suis l’adroit qui voit désormais le monde tel qu’il est et pas tel qu’on lui présente; je suis le singe qui aime les livres…

4 commentaires:

  1. Que dire à part "Bienvenue au club" :)

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  2. oui bienvenue à toi sur ce site des Impromptus !

    ton histoire m'a rappelé celle de "Jonathan Livingston le goéland"

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  3. Superbe entrée en matière ! J'ai savouré ce soliloque empreint d'humanisme, au poil !

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  4. Nur... was hast dass zu tun mit Panzer ? Vorsicht..

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