mardi 20 novembre 2018

Marité - Petit Larousse 2019


Le choix des mots. 

Cette année, j'ai intégré un comité de lecture au sein d'un lycée du département pour un concours de nouvelles ou plus exactement un challenge d'expression écrite. Il était demandé aux participants d'évoquer la discrimination sous toutes ses formes. Lors de la remise des prix, les lauréats pouvaient, s'ils le souhaitaient lire leur texte devant un public de camarades, professeurs, organisateurs du concours... dans une salle de conférences pleine à craquer.

J'ai été surprise par la variété, la sobriété et aussi, la douleur qui émanait de ces écrits de jeunes gens à qui la vie devrait sourire au lieu de quoi, elle leur est souffrance journalière. Parce que beaucoup de ceux qui ont écrit ont trouvé là l'occasion de parler, d'extérioriser leurs blessures. Au moins sur le papier. La discrimination sournoise n'a pas de limites et s'insère là où il s'avère particulièrement difficile de la combattre.

Un texte m'a particulièrement interpellée lors de ma lecture. Il traitait de la grossophobie. Tout le monde devine ce que ce mot sous-entend. La peur des gros ! Comment peut-on avoir peur des gros et aussi des noirs, des handicapés, des homosexuels enfin de tous ceux qui ne rentrent pas pour celui qui les regarde dans un certain cadre, celui qui doit être pour eux la norme.
On n'imagine pas ce que vit une personne - surtout une jeune fille - stigmatisée par la grossophobie, ce genre de refoulement "ordinaire".

Je nommerai cette lycéenne Sophie. Dans son texte Sophie décrit simplement ce qu'elle a enduré depuis sa petite enfance : "quand j'étais petite...les filles de ma classe étaient toutes fines, bien dans leur peau. Et il y avait moi : la petite fille grosse."

Sophie parle du mal fait inconsciemment ou non par ses camarades : elle était toujours la dernière choisie pour former une équipe de sport. On la laissait seule dans son coin où elle pleurait sans que personne ne lui tende la main. Elle n'avait pas le droit d'être joyeuse puisqu'elle était grosse. Bien fait pour elle ! Si elle bouffait moins ! En plus, elle pue. Tout était bon pour l'exclure.

Sophie a grandi, s'est forgée une armure pour se protéger du regard des autres. Mais, pour autant la peur ne la quitte pas. Elle craint les insultes qui font semblant de ne pas en être : "tee-shirt qui boudine, pantalon qui fait des grosses cuisses, poitrine trop visible." Un comble : c'est elle qui a peur et avec juste raison. Quel mot dans le Larousse pour désigner précisément cette peur-là ?

Alors que beaucoup ont préféré ne pas lire leur texte par pudeur sans doute, Sophie est venue simplement sur l'estrade pour se mettre à nu. Car c'était bien cela : se mettre à nu. Dignement, elle a lu les phrases qui font mal. Sans accroc, sans sensiblerie aucune. Elle a employé sans acrimonie les mots : mépris, culpabilisation, rejet, manque de respect, moqueries, préjugés. Un silence lourd a accompagné sa lecture et la salle debout l'a applaudie.

Sophie avait un message à faire passer et elle s'y est employée courageusement. Je terminerai mon texte avec ses mots à elle : 
 " Aujourd'hui, j'aimerais que vous fassiez quelque chose pour moi, pas grand-chose, juste un petit détail qui peut embellir les journées des personnes comme moi. S'il vous plait, ne nous regardez plus avec pitié ou dégoût. Regardez-nous comme des gens normaux avec deux bras, deux jambes, deux yeux, une bouche, un nez, deux poumons et un cœur, un cœur immense et partiellement brisé. Un cœur tellement grand que c'est sûrement pour ça que certains en profitent."

9 commentaires:

  1. Texte très émouvant .... Oui, la critique du physique fait des ravages dans le cœur et l'âme des gens...

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  2. Beau témoignage.
    Ayons confiance dans ces espaces-là : les surprises, belles, poignantes sont à portée de main !

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  3. Si j'avais su que ce thème donnerait de si belles émotions je l'aurais proposé plus tôt. Merci Marité

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  4. Nous sommes tous différents, certains le sont un peu plus, mais ce plus n'est pas un moins ! ];-D

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  5. C'est un très beau texte que tu as écrit là. Et je connais certaines de mes amies qui se battent contre cette ségrégation depuis toujours, qui auraient les larmes aux yeux en te lisant...
    Merci Marité. Les choses avanceront sans doute aussi dans ce domaine, espérons-le.
    •.¸¸.•*`*•.¸¸☆

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  6. merci pour ce texte bouleversant - terrible le harcèlement, toute souffrance est majorée dès lors qu'il s’agit d'un enfant, et d'autant plus insupportable. Ce mot "grossophobie" est-il réellement approprié ? on doute qu'il s'agisse d'une phobie, d'une peur, c’est un rejet de la différence aux racines perverses, de l'ordre de la haine, alors quel mot ? misogros ? mais quel substantif ? de même que le mot "pédophile" est très mal fabriqué, il n'y a rien de "phile" là dedans, "pédomane" serait plus approprié

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  7. Tu as tout à fait compris ma démarche Emma. J'ai choisi d'intituler mon texte : "le choix des mots" parce que les mots employés pour désigner la discrimination ne sont pas toujours bien appropriés.
    Entièrement d'accord avec toi : il ne s'agit pas de peur à proprement parler mais pour ma part je n'emploierais pas le mot "haine" bien que la discrimination puisse conduire à cela. Je parlerais plutôt d'intolérance due à l'incompréhension. Et là, l'éducation doit jouer son rôle qu'elle soit parentale ou scolaire et même médiatique.
    Avant d'écrire ce texte et surtout de le poster j'ai bien évidemment demandé l'aval de la FAL organisatrice de ce concours. Je souhaite qu'il y en ait d'autres sur ce thème pour que les ados puissent se libérer un peu au moins par l'écrit. Tout le monde devrait y trouver son compte je crois.

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  8. j'ai pensé à certains de mes client(e)s en te lisant :(
    je parlerais plutôt quant à moi de mépris et de dégoût
    et si tu savais aussi ce que le monde médical fait souvent subir aux personnes souffrant d'obésité : mépris, dureté, etc...

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  9. Merci de m'avoir lue et commentée.

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