Le chemin de l'école.
Avant propos, j'ai in
venté le Tango scolaire, pour me rendre à l'école : deux pas en avant, un pas
en arrière ! Mais bon Dieu qu'il était long ce chemin.
Huit heures moins le quart. Depuis le bas de l'escalier qui mène aux
chambres, ma mère crie : "debout, c'est l'heure" ! Je me lève,
encore ensuqué, descend, "b'jour m'man", bisou, le chocolat m'attend,
bien chaud, le pain posé sur la table, je m'en coupe deux belles tranches dans
le sens de la longueur, du beurre étalé généreusement, et je mâche
consciencieusement, j'ai la dalle comme tous les matins.
Un coup de gant de toilette sur le museau, la brosse à dents pour le
principe, je m'habille. Le vieux Godin ronfle bien, douce chaleur... Je lace
mes galoches, laçage vite fait, pas d'oeillets dans ces pompes, des
crochets ! J'enquille mon cartable, une "gibecière", pour avoir
les mains libres.
Vachement esquintée cette gibecière ! Pourtant, chaque fin d'année,
elle passait à la remise en état chez le "bouif", on ne gaspillait
pas, ce sac c'était aussi un "de mon frère", la seule marque que j'ai
eue étant mino.
"Au revoir m'man", re-bisou, je tire la porte d'entrée, le froid
me pique le visage, la porte reste ouverte un petit moment : "Ferme vite, crie ma mère, je ne chauffe
pas pour la rue" !
Après avoir descendu la volée de marches du perron, je me retrouve dehors.
Le portillon ne ferme pas à clé, inutile à cette époque.
Je passe chercher un copain, histoire de jouer aux billes en chemin. Pour
s'amuser tout en avançant, on faisait une partie de "tique et patte".
Ce jeu consiste à lancer une bille, le copain lance la sienne, s'il touche la
vôtre, il la gagne, par contre, s'il ne la touche pas, mais qu'entre sa bille
et la tienne il y a une patte, c'est à dire la distance qui sépare l'extrémité
de ton pouce de celle de ton auriculaire, c'est gagné !
J'peux te dire qu'on les a écarté les pattes, à s'en péter les
jointures ! Ça permettait de jouer tout en marchant et de se distribuer
quelques marrons quand y'avait contestation !
Nous arrivons devant l'école après être passés devant le déballage du
brocanteur. Waouh, tous ces trésors ! De la vis de trois en passant par le
couteau Suisse un peu ébréché, le cheval à bascule tenant sur trois pattes,
jusqu'au vieux vélo vachement bien rouillé, la caverne d'Ali Baba ! Plus
loin, le charcutier. Chaque année, il édifiait un château de saindoux pour les
fêtes de Noël, je trouvais ça vachement beau, le Michel-Ange de la charcutaille,
le Rodin de la matière grasse, le Bourdelle de la cochonaille !
Un peu plus haut encore, la boulangerie, avec ses confiseries. J'vais pas
parler des "mistrals gagnants" : à cette époque y'en avait pas
encore ! Par contre, les rouleaux de "zan" avec la perle dragée
au centre, rouge, verte, bleue, ou blanche, et les "couilles d'âne" -
nous on les appelait ainsi , c'était des confiseries à la noix de coco, une
petite "chapelure" de sucre de différentes couleurs sur le dessus,
elles se présentaient sous forme de boules de la grosseur d'une balle de
ping-pong, vachement bon.
En face, l'herboristerie. Il n'y en a pratiquement plus. En entrant... le
parfum : la réglisse, l'anis, le tilleul, la verveine... Quel
bouquet ! Fascinants, tous ces bocaux en faïence, alignés, avec les
plantes dessinées dessus, et le nom des herbes écrit en latin.
Nous, on achetait, rarement toutefois, un bâton de réglisse, c'était un
morceau de bois de la taille d'un crayon, on suçait cette "racine",
mélangée à la salive, la réglisse présente dans le bois, nous parfumait
agréablement la bouche, ça n'était pas excellent, mais ça ne coûtait pas cher,
et puis des petites esquilles se fichaient entre deux dents, alors à l'aide de
la plume "Sergent-Major" on retirait l'intruse, puis on crachait
copieusement.
École JEAN JAURES, une petite pancarte, à droite de la porte, indique le nom
de l'établissement. Deux corps de bâtiments : à droite, les filles, à
gauche, les garçons, pas de mixité, années quarante obligent.
Une grande cour, plantée de Catalpas, toutes les classes en enfilade, pas
d'étages. Pour accéder aux salles, un petit perron, quatre ou cinq marches. Au
fond, le préau. En entrant, tout de suite à droite, le bureau de Monsieur le
Directeur ! Ça ne plaisantait pas, t'aurais vu l'allure, kif-kif Basil Basaroff, le marchand d'armes dans
Tintin "l'oreille cassée" tu veux la page ? Bon, la 33,
feignasse !, copie conforme hormis le bada, mon Basil à moi portait un chapeau
mou.
Fin de récré, coup de sifflet, tous les mômes STOP !, des clébards à
l'arrêt, en rangs par deux, devant les classes, les distances, mais si, un bras
entre toi et le voisin situé devant, un bras avec le voisin de gauche.
Avancez ! Nous montons les marches du perron et entrons en classe. L’odeur
de la craie, celle du charbon, on se chauffait à l'aide d'un énorme poêle,
l'encre dans les petits encriers de faïence, inclus dans les pupitres à deux
places, noirs, avec gravés au couteau, tous les noms des générations de cancres
qui s'étaient succédés. A chaque extrémité de la salle, une porte vitrée
ouvrant sur la classe voisine, en face, l'estrade, le grand bureau du maître,
et derrière, le tableau noir.
Aux murs, des cartes immenses, les sympathiques, avec les noms des
montagnes. C'est nous qu'on avait le plus haut sommet d'Europe na! 4807 mètres
le Mont-Blanc (c'est nous qu'on : pas Français ? et alors...). Dans
l'cul les autres pays avec leurs collines à la con ! Les fleuves et leurs
affluents avec leurs jolis noms : Garonne, Loire, Rhône, Ardèche...
Et puis la carte vacharde, flippante, la MUETTE ! Plus rien, nada, le
désert ! C'est où l'Allier ? Le Mont Gerbier des Joncs ? De quoi
gerber, oui ! Ah putain, les engins de torture, j'le prenais quand il
voulait aux osselets ou à tique et patte, ce con ! Il m'aurait d'mandé le
blase du pote de Mandrake, illico j'répondais Lauthar ! L'ennemi juré de
Pif le chien : Hercule ! Le traître dans Blake et Mortimer, sans
hésitation : Olrik ! Ça j'savais, mais jamais d'interros sur des
sujets intéressants !
La classe commençait par la leçon de "morale". Pas si con que ça,
cette leçon, car l'instit lisait une petite histoire, de laquelle nous devions
tirer une "morale", résumée en une phrase, que l'on écrivait sous la
date du jour. Je pense que la journée commençait plutôt bien, une histoire, ça
calmait les gamins, les assagissait, ensuite, arithmétique, dictée... Les
réjouissances...
Dans les plumiers en bois, vachement bien déglingués, tu penses, le
porte-plumes et la "Sergent-Major", quelle saloperie ! Déjà,
dans les encriers, on y trouvait des morceaux de buvard, des bouts de craie,
etc. Quand tu f'sais pas gaffe, tu piquais l'un de ces morceaux indésirables,
et PAN sur le cahier, putain le paté, l'engueulade ! Et puis, après la
guerre, le papier des cahiers était pourri, des bûches dans le papelard, alors
quand la plume refusait l'obstacle, une magnifique trainée, une rafale de
taches. Moi je trouvais ça joli, mon côté artiste en somme, mais pas au goût du
maître : réprimande, punition, je n'ai pas eu d'instits frappeurs, juste une
grosse gomme qui volait parfois.
L'heure du déjeuner arrivait, je mangeais à la cantoche, il fallait apporter
son pain et sa serviette, souvent le premier roulé dans la seconde et bouffé
avant midi, dans la case, en loucedé, ne pas se faire gauler ! Des grandes
tables, cinq d'un coté, cinq de l'autre, des bancs. Malheur au dernier, assis
au bout, en "porte à faux", car parfois, avec un synchronisme
parfait, quatre gamins se levaient d'un coup, et le malheureux assis en bout,
basculait et se retrouvait le cul par terre !
Tous les jours : la soupe, vachement consistante, ça t'nait au corps,
ça tenait la cuillère debout aussi ! Le meilleur jour, celui des petits
suisses, les catapultes ! On plaçait le petit fromage sur le manche de la
cuillère, creux de l'icelle tourné vers soi, s'écarter légèrement, baisser la
tête, puis avec le poing, frapper vigoureusement : le suisse part comme un
V2, magnifique parabole, avec un peu de bol il finit sa course sur la tronche
du premier de la classe ! Aucun danger pour moi, j'étais peinard de ce
côté-là !
L'été, quand tu avais soif, pas de robinets, ni de quoi s'abreuver dans la
cour, alors on se rendait aux pissotières, c'était une grande ardoise, sans
séparations, on se voyait pisser, on pouvait voir celle du voisin, on jouait à "qui
pisse le plus haut", tous les garçons ont fait ça ! On voulait
tellement être le plus haut, que parfois le jet te retombait dessus, mouillant
le tablier, noir bien sûr, ou les godasses.
Au-dessus de la pissotière, une rigole en ardoise dans laquelle coulait en
permanence de l'eau, comme nous étions trop petits pour atteindre la rigole
avec notre bouche, nous mettions deux doigts dans "l'abreuvoir",
l'eau coulait le long de notre main, puis du bras. Nous avions pris la
précaution de retrousser une manche, alors nous pouvions boire, aspirant la
flotte qui coulait sur nous. Fallait être blindé, parce que t'aurais vu la
mousse bien verte qui poussait là-dedans, plus toutes les saloperies que les
mômes balançaient !
Je ne sais pas vous, mais nous, à l'école, on s'appelait par nos patronymes,
même les instits. Jamais à l'école on ne m'a appelé par mon prénom ! Dans
la cour, quand on s'interpellait, c'étaient des : Ho Durand ! Ho
Dagonio ! Ferrand ! Ça a changé ?
A quatre heures trente, la classe s'achevait, je rentrais, parfois un peu
inquiet, des lignes à faire signer, pour "bavardage" intempestif, AIE
AIE AIE ! Les devoirs du soir, un p'tit exercice du "Bled", un
p'tit problème, vite expédié tout ça, tu penses !
Le quatre heures dans une main, morceau de pain de deux livres, du beurre,
quatre ou cinq morceaux de sucre ou du chocolat en poudre, parfois de la
confiture "maison", ou encore, vachement bon, une banane écrasée sur
le beurre, MMMHHH ! Dans l'autre main, des billes ou mon lance-pierres,
des fois qu'un piaf suicidaire passe à proximité ! Rassure-toi, j'en ai
pas beaucoup mouché !
On se retrouvait encore dans notre rue, pas bien longtemps, hélas, en
semaine, ma mère ne me laissait pas trop traîner...
C'est rafraîchissant et amusant, que dis-je, truculent ! Merci pour ces souvenirs Andy
RépondreSupprimerVegas : Merci M'sieur ! C'est frais dis tu ? Pas comme moi ! ];-D
SupprimerToi, tu devais connaitre mon père ! ;-) Beaucoup aimé cette tranche de vie quasi historique ...
RépondreSupprimerAnnick : Ton Papa et moi nous sommes des gamins !
SupprimerJe ne veux pas aller sur la lune mais je suis curieuse de découvrir le petit Andiamo ! Vous pouvez pas la faire un peu plus grande M'sieur ? Je chercherai un gamin à la tignasse noire... comme celle d'un italien. ;-)
RépondreSupprimerMarité : Je ne peux pas agrandir l'image, il faudrait demander aux "Boss" de ce blog ! Mais par contre tu fais un "copié-collé" dans tes images, puis à l'aide du petit curseur en bas à droite de ton écran, tu agrandis la photo, pas de problème elle est au format "JPEG".
Supprimerje viens de mettre la photo en plus grand :)
SupprimerTisseuse : Les impromptus sont grands, Tisseuse est leur "Boss". ];-D
SupprimerBien jolie évocation d'un temps "que les moins de vingt ans..."Grazie mille, ragazzino!
RépondreSupprimerAdel : Adel ? Madame ou Monsieur ? Avec ces pseudos on ne sait pas trop parfois !!!
SupprimerEn tout cas merci, mais ce sont plutôt les moins de 70 ans qui n'ont pas connu. ];-D
un régal de lire tes souvenirs :)
RépondreSupprimermais qu'est-ce que vous êtes nombreux sur cette photo de classe !!!
Tisseuse : 41 petits anges sur la photo, sans compter les absents ! Une année nous étions 50 diables dans la classe ! Après la guerre il a fallu reconstruire des écoles.
SupprimerBien sûr c'était une discipline de fer, sinon imagine le bordel ! ];-D
Une belle tranche de vie.
RépondreSupprimerEt inévitablement au fil du texte c'est l'invasion des madeleines proustiennes !
K : La petite madeleine pour toi, la grosse Lulu pour moi ! Mais non j'déconne. ];-D
SupprimerMerci Tisseuse ! Tu es une mère pour nous. Je vais essayer de débusquer le petit Rital ! :-)
RépondreSupprimerMarité : Un indice ? : J'ai l'air d'un petit ange ! ];-D
SupprimerC'était finalement de bons ou de mauvais souvenirs? Je dois dire qu'à la lecture moi j'aime, cela me fait penser à un mélange de la guerre des boutons, de photo de Robert Doisneau et de textes d'Andiamo ;-)))
RépondreSupprimerMapie : tout d'abord merci.
SupprimerBons ou mauvais mes souvenirs ? J'ai la mémoire hémiplégique, je préfère me souvenir que des bons moments ! ];-D
Et tu crois peut être que ça me surprend ? :-))))
RépondreSupprimerMarité : Je suis toujours un ange... Aux cheveux bien blancs, mais toujours là ! ];-D
SupprimerMoi je sais où tu es sur la photo tout en bas et tout à droite...
RépondreSupprimerEt je t'imagine si bien petit potache sur le chemin de l'école...
Baci caro
•.¸¸.•*`*•.¸¸☆
Célestine : Bravo tu as gagné le voyage Terre- Lune aller, pour le retour on ne sait pas, tout dépendra des gilets jaunes. ];-D
SupprimerUne belle et longue histoire...
RépondreSupprimerPascal : un grand et beau merci. ];-D
SupprimerJ'ai adoré tes souvenirs cher Andiamo. Tu t'es fait plaisir- comme moi - en écrivant je crois parce que tout coule, tout se savoure. Même la banane écrasée sur le beurre ! J'ai jamais goûté ça. Super le jeu de tique et patte ! J'adore l'appellation. Là encore je ne connaissais pas.
RépondreSupprimerPour la photo, j'avais tout faux : je cherchais un faux ange ! Célestine, la divine m'a devancée. Je te voyais bien le rang au-dessus, 1er à droite aussi; celui qui a l'air de ne pas y toucher. L'air d'un ange toi ? Non, tu fais très intello avec tes lunettes. Je dois dire que tu sembles aussi ne pas avoir les yeux dans la poche derrière tes carreaux. :-)))
Marité : Célestine n'a aucun mérite, nous nous sommes vus plusieurs fois, elle me connaît ! Oui les souvenirs des "quatre heures" sans choco trucs, ou flocons machin chouette, chocolat, pain beurre, banane, ou morceaux de sucre.
SupprimerTu as vu les vêtements de marque sur la photo ? Non ? normal nous portions tous ou presque des "de mon frère" , les culottes de mon frère, les chaussures de mon frère, le cartable de mon frère etc...
Aucun mérite, aucun mérite... tsss !
Supprimer•.¸¸.•*`*•.¸¸✿
Célestine : Ah belles châsses ! Tu as eu le mérite de m'accompagner lors de jolies promenades... ];-D
Supprimer♥︎
SupprimerUne chronique fidèle et attachante de l'école primaire de l'époque...
RépondreSupprimerJe viens de me prendre un Heinkel (Griffon) sur la tronche, dis donc !
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