lundi 26 novembre 2018

Andiamo - Le chemin de l'école

Le chemin de l'école.

Avant propos, j'ai in venté le Tango scolaire, pour me rendre à l'école : deux pas en avant, un pas en arrière ! Mais bon Dieu qu'il était long ce chemin.

Huit heures moins le quart. Depuis le bas de l'escalier qui mène aux chambres, ma mère crie : "debout, c'est l'heure" ! Je me lève, encore ensuqué, descend, "b'jour m'man", bisou, le chocolat m'attend, bien chaud, le pain posé sur la table, je m'en coupe deux belles tranches dans le sens de la longueur, du beurre étalé généreusement, et je mâche consciencieusement, j'ai la dalle comme tous les matins.
Un coup de gant de toilette sur le museau, la brosse à dents pour le principe, je m'habille. Le vieux Godin ronfle bien, douce chaleur... Je lace mes galoches, laçage vite fait, pas d'oeillets dans ces pompes, des crochets ! J'enquille mon cartable, une "gibecière", pour avoir les mains libres.
Vachement esquintée cette gibecière ! Pourtant, chaque fin d'année, elle passait à la remise en état chez le "bouif", on ne gaspillait pas, ce sac c'était aussi un "de mon frère", la seule marque que j'ai eue étant mino.
"Au revoir m'man", re-bisou, je tire la porte d'entrée, le froid me pique le visage, la porte reste ouverte un petit moment :  "Ferme vite, crie ma mère, je ne chauffe pas pour la rue" !
Après avoir descendu la volée de marches du perron, je me retrouve dehors. Le portillon ne ferme pas à clé, inutile à cette époque.
Je passe chercher un copain, histoire de jouer aux billes en chemin. Pour s'amuser tout en avançant, on faisait une partie de "tique et patte". Ce jeu consiste à lancer une bille, le copain lance la sienne, s'il touche la vôtre, il la gagne, par contre, s'il ne la touche pas, mais qu'entre sa bille et la tienne il y a une patte, c'est à dire la distance qui sépare l'extrémité de ton pouce de celle de ton auriculaire, c'est gagné !
J'peux te dire qu'on les a écarté les pattes, à s'en péter les jointures ! Ça permettait de jouer tout en marchant et de se distribuer quelques marrons quand y'avait contestation !
Nous arrivons devant l'école après être passés devant le déballage du brocanteur. Waouh, tous ces trésors ! De la vis de trois en passant par le couteau Suisse un peu ébréché, le cheval à bascule tenant sur trois pattes, jusqu'au vieux vélo vachement bien rouillé, la caverne d'Ali Baba ! Plus loin, le charcutier. Chaque année, il édifiait un château de saindoux pour les fêtes de Noël, je trouvais ça vachement beau, le Michel-Ange de la charcutaille, le Rodin de la matière grasse, le Bourdelle de la cochonaille !
Un peu plus haut encore, la boulangerie, avec ses confiseries. J'vais pas parler des "mistrals gagnants" : à cette époque y'en avait pas encore ! Par contre, les rouleaux de "zan" avec la perle dragée au centre, rouge, verte, bleue, ou blanche, et les "couilles d'âne" - nous on les appelait ainsi , c'était des confiseries à la noix de coco, une petite "chapelure" de sucre de différentes couleurs sur le dessus, elles se présentaient sous forme de boules de la grosseur d'une balle de ping-pong, vachement bon.
En face, l'herboristerie. Il n'y en a pratiquement plus. En entrant... le parfum : la réglisse, l'anis, le tilleul, la verveine... Quel bouquet ! Fascinants, tous ces bocaux en faïence, alignés, avec les plantes dessinées dessus, et le nom des herbes écrit en latin.
Nous, on achetait, rarement toutefois, un bâton de réglisse, c'était un morceau de bois de la taille d'un crayon, on suçait cette "racine", mélangée à la salive, la réglisse présente dans le bois, nous parfumait agréablement la bouche, ça n'était pas excellent, mais ça ne coûtait pas cher, et puis des petites esquilles se fichaient entre deux dents, alors à l'aide de la plume "Sergent-Major" on retirait l'intruse, puis on crachait copieusement.

École JEAN JAURES, une petite pancarte, à droite de la porte, indique le nom de l'établissement. Deux corps de bâtiments : à droite, les filles, à gauche, les garçons, pas de mixité, années quarante obligent.
Une grande cour, plantée de Catalpas, toutes les classes en enfilade, pas d'étages. Pour accéder aux salles, un petit perron, quatre ou cinq marches. Au fond, le préau. En entrant, tout de suite à droite, le bureau de Monsieur le Directeur ! Ça ne plaisantait pas, t'aurais vu l'allure, kif-kif  Basil Basaroff, le marchand d'armes dans Tintin "l'oreille cassée" tu veux la page ? Bon, la 33, feignasse !, copie conforme hormis le bada, mon Basil à moi portait un chapeau mou.
Fin de récré, coup de sifflet, tous les mômes STOP !, des clébards à l'arrêt, en rangs par deux, devant les classes, les distances, mais si, un bras entre toi et le voisin situé devant, un bras avec le voisin de gauche.
Avancez ! Nous montons les marches du perron et entrons en classe. L’odeur de la craie, celle du charbon, on se chauffait à l'aide d'un énorme poêle, l'encre dans les petits encriers de faïence, inclus dans les pupitres à deux places, noirs, avec gravés au couteau, tous les noms des générations de cancres qui s'étaient succédés. A chaque extrémité de la salle, une porte vitrée ouvrant sur la classe voisine, en face, l'estrade, le grand bureau du maître, et derrière, le tableau noir.
Aux murs, des cartes immenses, les sympathiques, avec les noms des montagnes. C'est nous qu'on avait le plus haut sommet d'Europe na! 4807 mètres le Mont-Blanc (c'est nous qu'on : pas Français ? et alors...). Dans l'cul les autres pays avec leurs collines à la con ! Les fleuves et leurs affluents avec leurs jolis noms : Garonne, Loire, Rhône, Ardèche...
Et puis la carte vacharde, flippante, la MUETTE ! Plus rien, nada, le désert ! C'est où l'Allier ? Le Mont Gerbier des Joncs ? De quoi gerber, oui ! Ah putain, les engins de torture, j'le prenais quand il voulait aux osselets ou à tique et patte, ce con ! Il m'aurait d'mandé le blase du pote de Mandrake, illico j'répondais Lauthar ! L'ennemi juré de Pif le chien : Hercule ! Le traître dans Blake et Mortimer, sans hésitation : Olrik ! Ça j'savais, mais jamais d'interros sur des sujets intéressants !
La classe commençait par la leçon de "morale". Pas si con que ça, cette leçon, car l'instit lisait une petite histoire, de laquelle nous devions tirer une "morale", résumée en une phrase, que l'on écrivait sous la date du jour. Je pense que la journée commençait plutôt bien, une histoire, ça calmait les gamins, les assagissait, ensuite, arithmétique, dictée... Les réjouissances...
Dans les plumiers en bois, vachement bien déglingués, tu penses, le porte-plumes et la "Sergent-Major", quelle saloperie ! Déjà, dans les encriers, on y trouvait des morceaux de buvard, des bouts de craie, etc. Quand tu f'sais pas gaffe, tu piquais l'un de ces morceaux indésirables, et PAN sur le cahier, putain le paté, l'engueulade ! Et puis, après la guerre, le papier des cahiers était pourri, des bûches dans le papelard, alors quand la plume refusait l'obstacle, une magnifique trainée, une rafale de taches. Moi je trouvais ça joli, mon côté artiste en somme, mais pas au goût du maître : réprimande, punition, je n'ai pas eu d'instits frappeurs, juste une grosse gomme qui volait parfois.

L'heure du déjeuner arrivait, je mangeais à la cantoche, il fallait apporter son pain et sa serviette, souvent le premier roulé dans la seconde et bouffé avant midi, dans la case, en loucedé, ne pas se faire gauler ! Des grandes tables, cinq d'un coté, cinq de l'autre, des bancs. Malheur au dernier, assis au bout, en "porte à faux", car parfois, avec un synchronisme parfait, quatre gamins se levaient d'un coup, et le malheureux assis en bout, basculait et se retrouvait le cul par terre !
Tous les jours : la soupe, vachement consistante, ça t'nait au corps, ça tenait la cuillère debout aussi ! Le meilleur jour, celui des petits suisses, les catapultes ! On plaçait le petit fromage sur le manche de la cuillère, creux de l'icelle tourné vers soi, s'écarter légèrement, baisser la tête, puis avec le poing, frapper vigoureusement : le suisse part comme un V2, magnifique parabole, avec un peu de bol il finit sa course sur la tronche du premier de la classe ! Aucun danger pour moi, j'étais peinard de ce côté-là !
L'été, quand tu avais soif, pas de robinets, ni de quoi s'abreuver dans la cour, alors on se rendait aux pissotières, c'était une grande ardoise, sans séparations, on se voyait pisser, on pouvait voir celle du voisin, on jouait à "qui pisse le plus haut", tous les garçons ont fait ça ! On voulait tellement être le plus haut, que parfois le jet te retombait dessus, mouillant le tablier, noir bien sûr, ou les godasses.
Au-dessus de la pissotière, une rigole en ardoise dans laquelle coulait en permanence de l'eau, comme nous étions trop petits pour atteindre la rigole avec notre bouche, nous mettions deux doigts dans "l'abreuvoir", l'eau coulait le long de notre main, puis du bras. Nous avions pris la précaution de retrousser une manche, alors nous pouvions boire, aspirant la flotte qui coulait sur nous. Fallait être blindé, parce que t'aurais vu la mousse bien verte qui poussait là-dedans, plus toutes les saloperies que les mômes balançaient !
Je ne sais pas vous, mais nous, à l'école, on s'appelait par nos patronymes, même les instits. Jamais à l'école on ne m'a appelé par mon prénom ! Dans la cour, quand on s'interpellait, c'étaient des : Ho Durand ! Ho Dagonio ! Ferrand ! Ça a changé ?

A quatre heures trente, la classe s'achevait, je rentrais, parfois un peu inquiet, des lignes à faire signer, pour "bavardage" intempestif, AIE AIE AIE ! Les devoirs du soir, un p'tit exercice du "Bled", un p'tit problème, vite expédié tout ça, tu penses !
Le quatre heures dans une main, morceau de pain de deux livres, du beurre, quatre ou cinq morceaux de sucre ou du chocolat en poudre, parfois de la confiture "maison", ou encore, vachement bon, une banane écrasée sur le beurre, MMMHHH ! Dans l'autre main, des billes ou mon lance-pierres, des fois qu'un piaf suicidaire passe à proximité ! Rassure-toi, j'en ai pas beaucoup mouché !
On se retrouvait encore dans notre rue, pas bien longtemps, hélas, en semaine, ma mère ne me laissait pas trop traîner...
Ma p'tite école ? Rasée ! Laminée ! Seuls les Catalpas subsistent encore. En lieu et place... un jardin d'enfants. Les mômes occupent toujours le terrain !


Je figure sur cette photo ! Où suis-je ? Le vainqueur gagnera un voyage Terre-Lune (aller).

31 commentaires:

  1. C'est rafraîchissant et amusant, que dis-je, truculent ! Merci pour ces souvenirs Andy

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    1. Vegas : Merci M'sieur ! C'est frais dis tu ? Pas comme moi ! ];-D

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  2. Toi, tu devais connaitre mon père ! ;-) Beaucoup aimé cette tranche de vie quasi historique ...

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  3. Je ne veux pas aller sur la lune mais je suis curieuse de découvrir le petit Andiamo ! Vous pouvez pas la faire un peu plus grande M'sieur ? Je chercherai un gamin à la tignasse noire... comme celle d'un italien. ;-)

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    1. Marité : Je ne peux pas agrandir l'image, il faudrait demander aux "Boss" de ce blog ! Mais par contre tu fais un "copié-collé" dans tes images, puis à l'aide du petit curseur en bas à droite de ton écran, tu agrandis la photo, pas de problème elle est au format "JPEG".

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    2. je viens de mettre la photo en plus grand :)

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    3. Tisseuse : Les impromptus sont grands, Tisseuse est leur "Boss". ];-D

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  4. Bien jolie évocation d'un temps "que les moins de vingt ans..."Grazie mille, ragazzino!

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    1. Adel : Adel ? Madame ou Monsieur ? Avec ces pseudos on ne sait pas trop parfois !!!
      En tout cas merci, mais ce sont plutôt les moins de 70 ans qui n'ont pas connu. ];-D

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  5. un régal de lire tes souvenirs :)

    mais qu'est-ce que vous êtes nombreux sur cette photo de classe !!!

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    1. Tisseuse : 41 petits anges sur la photo, sans compter les absents ! Une année nous étions 50 diables dans la classe ! Après la guerre il a fallu reconstruire des écoles.
      Bien sûr c'était une discipline de fer, sinon imagine le bordel ! ];-D

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  6. Une belle tranche de vie.
    Et inévitablement au fil du texte c'est l'invasion des madeleines proustiennes !

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    1. K : La petite madeleine pour toi, la grosse Lulu pour moi ! Mais non j'déconne. ];-D

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  7. Merci Tisseuse ! Tu es une mère pour nous. Je vais essayer de débusquer le petit Rital ! :-)

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    1. Marité : Un indice ? : J'ai l'air d'un petit ange ! ];-D

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  8. C'était finalement de bons ou de mauvais souvenirs? Je dois dire qu'à la lecture moi j'aime, cela me fait penser à un mélange de la guerre des boutons, de photo de Robert Doisneau et de textes d'Andiamo ;-)))

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    1. Mapie : tout d'abord merci.
      Bons ou mauvais mes souvenirs ? J'ai la mémoire hémiplégique, je préfère me souvenir que des bons moments ! ];-D

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  9. Et tu crois peut être que ça me surprend ? :-))))

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    1. Marité : Je suis toujours un ange... Aux cheveux bien blancs, mais toujours là ! ];-D

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  10. Moi je sais où tu es sur la photo tout en bas et tout à droite...
    Et je t'imagine si bien petit potache sur le chemin de l'école...
    Baci caro
     •.¸¸.•*`*•.¸¸☆

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    1. Célestine : Bravo tu as gagné le voyage Terre- Lune aller, pour le retour on ne sait pas, tout dépendra des gilets jaunes. ];-D

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  11. J'ai adoré tes souvenirs cher Andiamo. Tu t'es fait plaisir- comme moi - en écrivant je crois parce que tout coule, tout se savoure. Même la banane écrasée sur le beurre ! J'ai jamais goûté ça. Super le jeu de tique et patte ! J'adore l'appellation. Là encore je ne connaissais pas.
    Pour la photo, j'avais tout faux : je cherchais un faux ange ! Célestine, la divine m'a devancée. Je te voyais bien le rang au-dessus, 1er à droite aussi; celui qui a l'air de ne pas y toucher. L'air d'un ange toi ? Non, tu fais très intello avec tes lunettes. Je dois dire que tu sembles aussi ne pas avoir les yeux dans la poche derrière tes carreaux. :-)))

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    1. Marité : Célestine n'a aucun mérite, nous nous sommes vus plusieurs fois, elle me connaît ! Oui les souvenirs des "quatre heures" sans choco trucs, ou flocons machin chouette, chocolat, pain beurre, banane, ou morceaux de sucre.
      Tu as vu les vêtements de marque sur la photo ? Non ? normal nous portions tous ou presque des "de mon frère" , les culottes de mon frère, les chaussures de mon frère, le cartable de mon frère etc...

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    2. Aucun mérite, aucun mérite... tsss !
      •.¸¸.•*`*•.¸¸✿

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    3. Célestine : Ah belles châsses ! Tu as eu le mérite de m'accompagner lors de jolies promenades... ];-D

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  12. Une chronique fidèle et attachante de l'école primaire de l'époque...

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  13. Je viens de me prendre un Heinkel (Griffon) sur la tronche, dis donc !

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