La baignoire d'Archimède.
Petit plaisir deviendra
grand. Voilà ce que je me dis quand je décide d'aller en ville.
Petit plaisir de penser que je dispose de tout mon après midi. Petit
plaisir de penser que je vais l'occuper en grande partie à flâner
dans ma librairie préférée. Certains aiment arpenter les rues pour
admirer les vitrines, entrer dans un magasin de vêtements et
squatter des plombes une cabine d'essayage avec un tas de nippes. A
chacun de prendre son plaisir là où il le souhaite. Ce n'est pas le
mien. Depuis que la mode est aux selfies, on surprend les gens à se
prendre en photo pour chaque tenue. Et pendant ce temps, on poireaute
et on ronge son frein. Désormais, quand l'envie – ou le besoin –
me prend d'acheter un pull, un pantalon ou autre, j'évite les
moments d'affluence. Je réserve ce genre d'achat pour la fin d'après
midi quand je sais que la foule aura déserté les lieux.
Et pendant ce temps, j'ai
tout mon temps. Je pousse la porte des librairies : « Bulle
de papier » au rez de chaussée dédiée à la bande dessinée
et à l'étage, après avoir emprunté un escalier de bois, « la
baignoire d'Archimède ». Drôle de nom n'est ce pas pour une
librairie. Les propriétaires, à la recherche d'un local, ont
découvert un appartement locatif où trônait encore une baignoire.
Le coup de foudre. Et la baignoire en fait partie. Elles ont décidé
de la garder et leur chat – qui se nomme Archimède, ça ne
s'invente pas ou alors... – a tout naturellement pris possession de
l'endroit, tache rousse sur fond blanc. Le chat et le livre, chacun
avec sa part de mystère que l'on essaie sans cesse de percer. Une
mascotte, Archimède, qui se cache sous une planche pleine de livres.
Tout d'abord,
l'impression très vive de rejoindre ma forêt. Mon autre forêt.
Quoi de plus naturel :les arbres n'enfantent-ils pas les
livres ? L'accueil y est le même. Simple et chaleureux. Vous
êtes reçue en amie des livres. On vous laisse déambuler entre les
étagères avec, quand on se croise un sourire, un mot aimable, une
proposition d'aide. Ici, se côtoient les grands formats et les
poches. La littérature française fait la part belle à la
littérature étrangère. Ici, un livre est un livre et n'a pas de
nationalité. Il n'y a pas de beaux et de moins beaux ouvrages. Je
soupçonne les deux libraires de malice. Ce joyeux mélange est
propice aux découvertes et elles l'ont bien compris.
Le voilà mon plaisir, le
grand : déjà, éprouver la magie du lieu. J'y pénètre comme
dans une église. Se laisser envoûter par l'odeur qui y règne, à
nulle autre pareille, du papier et de l'encre. Être attirée par
les couleurs, les titres. Ne plus voir le temps passer. Fouiller. Se
pencher et trouver le livre que l'on n'espère même pas. Se hausser
pour attraper celui qui vous nargue là-haut. Prendre avec les deux
mains. Caresser la couverture pour en goûter le grain comme d'une
peau aimée. Lire parfois les appréciations enthousiastes de l'une
ou l'autre des libraires qui sont des passionnées aimant le partage.
Lire la quatrième. Feuilleter du bout des doigts, tourner les pages
et écouter leur langage. Le livre parle.
Ouvrir au hasard et lire
une phrase, comme ça, parce qu'elle vous a happé, comme si elle
n'attendait que vous. S'asseoir dans le fauteuil qui vous tend les
bras et fermer les yeux, un livre sur les genoux. Enfin, se décider
et en choisissant, se dire que l'on tient là sa gourmandise, celle
qui va aller rejoindre sa pile à lire et la savourer par avance. Et
ce n'est pas forcément le roman que l'on avait envie d'acheter. Ou
alors, il s'y rajoute et c'est très souvent un recueil de poésie.
On les emporte comme des trésors en le serrant sur sa poitrine
jusqu'à la caisse.
Oui, la lecture est le
sel de ma vie. Je fais mienne la citation de Jules Renard : «
quand je pense à tous les livres qu'il me reste à lire, j'ai la
certitude d'être encore heureuse. »
Bien vu, et je m'y suis vu : la mienne s'appelle "Ombres blanches", c'est à Toulouse, elle est vaste, un vrai labyrinthe de pièces et d'étages, il y a une cour intérieure-bistrot, s'y tiennent des rencontres, et j'y passe une fois par semaine.
RépondreSupprimerJe râle s'il faut se baisser ou s'il faut prendre le tabouret à roulettes éclipsables si c'est trop haut, et, comme toi, il n'est pas rare que je me "venge" sur la poésie.
J'ai pensé à te lire aux visites de "La Grande Librairie" à la télé.
Merci JCP ! Je préfère les librairies indépendantes. Il n'en reste pratiquement plus, du moins chez moi. La Baignoire est bien moins grande que la tienne à Toulouse et que celles des chaînes ici. C'est pour cela que la préfère : elle est à taille humaine.
SupprimerVoilà une librairie qui donne envie de s'y attarder et de "farfouiller" jusqu'à y trouver le livre plaisir, l'achat coup de coeur !
RépondreSupprimerEureka ! On en respire le parfum
RépondreSupprimerUn plaisir que personne ici ne trouvera bizarre : il n' y a que des amoureux des mots et des livres, ici...
RépondreSupprimermerci pour ce moment dans un des endroits les plus merveilleux qui existent : une librairie...
•.¸¸.•*`*•.¸¸☆
Célestine j'ai bien conscience que parler du plaisir lié à la librairie et aux livres n'est pas très original ici. Mais il fallait bien que quelqu'un en parle !
SupprimerTout comme toi et Vegas avaient évoqué d'autres plaisirs moins conventionnels. :-)
magnifique et émouvant voyage en librairie où les amoureux des livres pourront se retrouver car ils ont tous éprouver cette émotion, et ces sensations dans ces lieux enchantés des librairies qui ont une âme
RépondreSupprimerMerci Tisseuse ! Tu me gâtes dans tes commentaires. Je ne sais pas si c'est mérité mais en tout cas, ça me touche et me fait plaisir.
SupprimerAndiamo et Maryline : merci !
RépondreSupprimerMerveilleux petit plaisir qui donne envie de repartir en chasse d'une librairie. Merci pour ce très beau texte.
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